Profil
Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




L’histoire du monde n’a pas toujours réservé la meilleure des places et des performances politiques aux Africains. Voilà qu’en la personne de Nelson Rolihlahla Mandela, le Mādibā, un solide pied a été mis dans la porte pour empêcher que le récit collectif des événements, et particulièrement la mémoire universelle des faits ne soit si cruelle et oublieuse de tout un continent. C’est en mettant en perspective certaines dimensions du contexte de la lutte antiapartheid que l’humanisme de Mandela ressort, suffisamment, pour éclairer la personnalité devant laquelle l’univers entier reste toujours en admiration… Hommage ultime à celui dont la famille humaine reste sa propre famille; hommage majestueux à celui qui a su trouver solution à l’un des problèmes sociaux de son temps.


Majestueusement, Adieu Mandela!
L’émotion qui traverse le monde entier pour honorer autant la personnalité que l’œuvre universellement acclamée du Mādibā est à la hauteur de la dignité et de la conviction avec lesquelles le souci inébranlable du bien commun, dans l’espace public, a été démontré chez cet homme. Abolir et éradiquer l’apartheid –l’odieux système de brutalité raciale qui consacrait sur la terre sud-africaine de l’Azanie, le développement des personnes de race blanche dans les villes séparées et protégées des autochtones de race noire ou d’ascendance métisse et indienne, toutes confinées à des ghettos. D’ailleurs, toutes ces personnes discriminées étaient considérées comme des moins que des sauvages non-porteurs d’aucun soupçon d’humanité. L’horreur et la cruauté ainsi nommées n’ont plus besoin d’aucune autre description pour être comprises de partout et combattues ouvertement.

Nelson Mandela, une fois sa conscience aiguisée par les effets quotidiens d’un tel degré de racisme d’une minorité contre la majorité des citoyens, et qui sévissait dans son pays depuis 1948, se dédia complètement à cette lutte contre l’apartheid pour n’en sortir que victorieux, digne et humble: abolir l’odieux système de l’apartheid et, sans vengeance, réconcilier tous les citoyens d’Afrique du Sud, loin des faciles tentations de règlements de comptes. Une Afrique du Sud multiraciale est depuis née, le 27 avril 1994, malgré tous les tâtonnements d’une nation en construction fragilisée par tant d’années de récrimination.

Et des tâtonnements, le monde en avait connu dans sa dénonciation timorée du système de l’apartheid; les plus célèbres de ses hésitations nous sont venues du président américain Ronald Reagan (1981-1989) et de la Première ministre britannique Margaret Thatcher (1979-1990), deux conservateurs très amis par ailleurs. De toute son autorité, Mme Thatcher traitait inlassablement le Mādibā de vulgaire « terroriste », enlevant par les moyens de son influence, toute la valeur et la noblesse à la lutte que menaient les Sud-africains ainsi qu’une partie importante des États progressistes tout comme de nombreux citoyens indignés du monde, dans le but de mettre fin à l’apartheid. Les avancées de Margaret Thatcher contre le système de l’apartheid seront même reconnues tardives par ses partisans et rapportées par le journaliste Richard Dowden (actuellement directeur de la vénérable Royal African Society londonienne) comme une protection du commerce mondial plutôt qu’un noble rejet du visible crime contre l’humanité : « she opposed apartheid more on the grounds that it was a sin against economic liberalism rather than a crime against humanity ».

Des isolements de l’Afrique du Sud ségrégationniste dans les rencontres internationales à la formation des alliances de « Pays de front », en première ligne desquels les fragiles États africains décidés à combattre le régime de l’apartheid et ses alliés jusqu’aux boycotts spectaculaires des Jeux olympiques dont ceux de Montréal en 1976, tout était mis en œuvre pour que l’apartheid prenne fin au profit de la valorisation de la dignité humaine bafouée dans le traitement infligé à la majorité des citoyens d’Afrique du Sud.

Le don de Mandela
Loin d’être un saint homme, Mandela se reconnaissait volontiers en un « pécheur qui essaie de s’améliorer », et comme tel il participa à toutes les formes de luttes contre l’apartheid et assuma avec une dignité communicative toutes ses années passées en prison pour transformer positivement son pays et nullement sa situation propre. Désespéré par une telle force de caractère, le régime de l’apartheid organisa même des conditions favorables à la fuite de Mandela de certains lieux de sa détention et se donner probablement plus de temps pour perpétuer un système resté totalement déraisonnable.

Icone du dialogue et de la réconciliation de ses concitoyens, Mandela possédait aussi le rare don de considérer la liberté comme un souffle vital aussi utile à l’autre qu’à lui-même: « i[Je savais parfaitement que l’oppresseur doit être libéré tout comme l’opprimé. Un homme qui prive un autre homme de sa liberté est prisonnier de sa haine, il est enfermé derrière les barreaux de ses préjugés […] Quand j’ai franchi les portes de la prison, telle était ma mission : libérer à la fois l’opprimé et l’oppresseur ]i». Ce qui fait dire à Nadine Gordimer, le prix Nobel de littérature 1991, celle qui donna au monde cette sublime réflexion dans L'arme domestique (1998) que « Les formules qui semblent avoir perdu tout leur sens à force d'avoir été répétées trop souvent sont celles qui contiennent le plus de vérité. », cette infatigable militante antiapartheid déclara un jour que son ami Mandela était de cette rare espèce « pour qui la famille humaine est sa propre famille. »

Une si grandiose mission de vie ne pouvait que conduire Mandela par monts et vallées, des prisons aux plus grands palais de ce monde, avant de le voir aboutir –triomphe collective après défaites et humiliations personnelles, comme premier président de l’Afrique du Sud postapartheid, sans vengeance ni haine. Et même là, Nelson Mandela a plutôt joué de la vie que de ses adversaires et encore moins de ses concitoyens, se contentant d’un seul mandat présidentiel, symbolique et annonciatrice de la réconciliation d’un peuple aux mille et une ethnies que tout divisait. Le jour de la proclamation de ce nouvel État, Mādibā donnait le gage d’une nation nouvelle à la face du monde : « Nous avons triomphé dans notre effort pour insuffler l'espoir dans le cœur de millions de nos concitoyens. Nous prenons l'engagement de bâtir une société dans laquelle tous les Sud-Africains, Blancs ou Noirs, pourront marcher la tête haute sans aucune crainte au fond de leur cœur, assurés de leur droit inaliénable à la dignité humaine –une nation arc-en-ciel en paix avec elle-même et avec le monde. »

L’importance de sa présence
On comprend aujourd’hui –non pas le deuil universellement exprimé et partagé, mais la manifestation et les réprobations mondiales contre la mort de Nelson Mandela. L’un de ses compagnons de prison, Ahmed Kathrada, a su bien traduire ce sentiment général, ambivalent et paradoxal, en confessant que Mandela représentait tant de choses qu’en n’importe quel état physique, sa seule présence vaut bien plus que l’épreuve de sa disparition : « Nous prions pour qu’il puisse rester avec nous aussi longtemps que possible, parce que nous avons besoin de lui, nous avons besoin de sa présence, de sa simple présence, parce qu’il demeure une inspiration pour notre pays, et au-delà de nos frontières. »

Et voilà que désormais, l’éternité ne sera accordée qu’à l’exemplarité de la vie de Mandela; une vie écrite en actes de pardon et de réconciliation certes, mais des actes inlassablement érigés contre toutes les oppressions indues de notre temps. À l’heure des technologies de l’information et des médias sociaux, disparait-on vraiment, lorsque l’on s’appelle Nelson Rolihlahla Mandela et que Google, le Temple de la vie médiatique mondiale, consacre un Mémorial électronique unique à l’ensemble de votre vie, et de votre vivant même?

Si la vie a quitté Nelson Mandela, celui-ci est loin de quitter notre vie commune dont il féconde les nombreuses et vertueuses aspirations. Mission accomplie pour cet homme au nom évocateur de Rolihlahla, le «Fauteur de troubles», « Celui par qui les ennuis arrivent », celui-là même qui a su trouver solution à l’un des problèmes de son temps, notre époque moderne, en empêchant le monde de tourner en rond autour de l’apartheid.

Majestueusement adieu Mandela!


Ad Valorem


Rédigé par psa le 07/12/2013 à 18:38
Tags : Afrique Démocratie Mandela Notez



Au Togo, l’expérience des dernières années hante et obsède. Effectivement, le Togo ne peut plus continuer à languir dans un régime ancien, peu novateur et peu viable; un régime ancien non-préparé à fédérer les énergies autres que celles de ses obligés, un régime ancien non-agile à susciter l’émulation des talents pour bâtir une Nation intégrée génératrice du développement. Comment le dire autrement sans penser aux peuples qui sont déjà passés par là : « C’est dur de rouler cet inexorable rocher de Sisyphe, l’État de droit; on le monte jusqu’au sommet, en 1990 et en 1992 par exemple, il retombe bas en 2005, en 2010 et sous nos yeux encore, en 2013 lors des législatives. Qu’en sera-t-il alors en 2015 aux présidentielles? »


La persistante nudité démocratique du Togo
La persistante nudité démocratique du Togo


Plus souvent qu’autrement, les occasions de réconciliation, de cohabitation et de démocratisation ont été manquées, au lieu d’être transformées en Travail-Liberté-Patrie, la devise même du pays et la recommandation constante de plusieurs commissions, nationale et internationale. Rien, absolument rien de démocratiquement fiable ne tient la route ou ne colle plus à la peau du Togo, de ses institutions et de ses dirigeants.

Des décisions de la cour constitutionnelle? De vrais théâtres avec une cascade de plaisanteries cléricales dignes des hors-la-loi. Des élections législatives? Rien d’autre qu’une comédie aux résultats préfabriqués qui relèvent d’un « gangstérisme électoral » purement effronté. Un seul dialogue politique franc, viril mais sincère et respectable? Introuvable. Un opposant dérangeant ou un collaborateur ambitieux? Interdiction, arrestation, inculpation, disparition, c’est selon l’humeur, c’est selon l’arbitraire. Une presse moindrement critique? La ferme! Et pourtant, le monde entier sait que « la liberté de l’information, c’est ce qui permet de vérifier l’existence de toutes les autres libertés. » Mais alors, des lois à respecter quelque part dans ce Togo... Quelles lois?

C’est bien cette constante et déplorable nudité démocratique du Togo qu’il sied désormais de protéger; un effeuillage de dignité qu’il convient de revêtir convenablement de nouveau, et définitivement. Ainsi, la conscience vive de la tragique précarité démocratique du Togo accroît, de nouveau, toutes les attentions aux marches du temps vers les élections à venir, qu’elles soient les improbables locales ou les incontournables présidentielles de 2015.

Cruelle ironie : toujours au Togo, le suffrage du peuple sert à légitimer toutes les impostures. Toujours, le régime ancien s’aliène le peuple en montrant les limites d’une incapacité chronique à assumer le Togo autrement. En fait foi, l’échec patent du fameux Accord de gouvernement entre le parti de Gilchrist Olympio et celui de Faure Gnassingbé au pouvoir : une stratégie politique de réels amateurs-sans-frontières, payée et exécutée davantage pour satisfaire un seul orgueil et tenter d’imploser l’opposition plutôt que pour réconcilier valablement l’ensemble des citoyens togolais. Résultat : Échec sur toute la ligne, retour à la case de départ, aucune avancée politique notable au Togo. Il ne reste donc au Togo que le courage et le devoir d’une alternance politique véritable; le peuple a souvent exprimé ce désir, le régime ancien le lui a toujours refusé.


Choisir la République : Une Res Publica véritablement commune!
Les choses sont ainsi claires qu’on connaît le désir invariable du peuple togolais d’un côté, et de l’autre la résistance farouche ainsi que la peur constante et déraisonnable de l’ancien régime. Logiquement, la cheville ouvrière du changement est désormais l’opposition togolaise qui doit se montrer à la hauteur d’une mission aussi unique et incontestable à elle dévolue. En réalité, une triple mission revient à l’opposition togolaise : face à elle-même, face au régime ancien, et face au peuple togolais. C’est bien ce rôle connu de toutes les Togolaises et de tous les Togolais qu’il faut maintenir sacré, rendre efficace et efficient au moyen d’une unité d’action sans failles. C’est là un minimum dans les circonstances actuelles du Togo.

Dorénavant, commencent des mois difficiles de travail politique vers cette impérative unité d’action de l’opposition togolaise, afin de susciter le respect et l’effervescence nécessaires à la réhabilitation démocratique du Togo. Entière, tout entière même, l’opposition togolaise est appelée à un devoir historique pour un leadership de changement politique assumé avec responsabilité et professionnalisme, et pour une réconciliation garantie sans récrimination aucune. D’ailleurs, il y a tellement à faire au Togo qu’aucune place ne reste et ne subsistera pour les règlements de comptes, sinon le partage des responsabilités et des habiletés.

À vif, la conscience de la diaspora reprend fait et cause pour une unité d’action à l’approche des présidentielles de 2015. À demeure, l’engagement de la diaspora togolaise s’investit déjà pour cicatriser les plaies d’un passé encore douloureux. La raison est simple : le privilège même de la citoyenneté togolaise demeure, non pas seulement dans la passive appartenance à un pays, mais dans la semence constante des actions concrètes qui contribuent à l’édification d’une République nouvelle sur la « Terre de nos Aïeux »; la quête d’une Res Publica véritablement commune qui ne peut plus attendre.


Choisir toujours l’aspiration de la République
C’est à ce niveau que se situe le Togo autour duquel il est urgent de se retrouver. Le silence ne peut plus continuer à être la vedette du spectacle politique malsain que présente le Togo en Afrique de l’Ouest. Avec les mêmes peuples dont les composantes ethniques appartiennent essentiellement au Bénin à l’est, au Ghana à l’ouest, et y jouissent de modèles exemplaires de démocratie dans toute l’Afrique et au-delà, le Togo, quant à lui, fait lamentablement bande à part. Solitude, toujours : surtout pays inclassable que l’on ne peut plus croire sur parole ou encore moins sur la promesse de ses dirigeants.

Dans une conjonction politique et sociale portée par un appauvrissement économique déshumanisant des citoyens, il ne saurait être question d’un aveuglement guidé par la seule veulerie opportuniste de certains. Beaucoup de travail d’occupation de terrain et de cohésion dans la définition de l’avenir reste à faire dans les rangs de l’opposition togolaise. Hors conscience patriotique, les gains d’unité réalisés, admirablement et collectivement avec le Collectif Sauvons le Togo (CST), tomberont et sombreront. Personne n’y gagnera : même les plus grandes consciences et les introuvables compétences. Signalons que depuis la mémorable « Ovation de boue » servie en avril 2010, à la plage de Lomé, à rien de moins que Gilchrist Olympio, le CST demeure la plus grande réalisation unitaire de l’opposition togolaise.

Aujourd’hui, c’est même tout le Togo qui a son sort lié à l’avènement d’une véritable République. Sans mettre en cause les ambitions de chacun à vouloir diriger le Togo, il faut choisir l’aspiration de la République, au moment où ce choix est le plus noble et le moins partisan. L’engagement politique, c’est aussi savoir lutter à contre-courant de la facilité instinctive de se déclarer candidat à tout prix et candidat beaucoup trop tôt avant les nécessaires préalables d’organisation stratégique au plan national et international, avec le grand risque d’aller à l’encontre de l’intérêt commun. La démocratie n’étant rien d’autre que la solidarité... son heure a sonné pour le Togo... et il faut y travailler ensemble.

[

Horizon


Rédigé par psa le 06/12/2013 à 01:20



1 ... « 161 162 163 164 165 166 167 » ... 726