Profil
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.
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L’ère Macron est particulièrement symptomatique de la perversion de l’idéal démocratique en Afrique francophone
L’affranchissement du Niger de la France, car c’est bien de cela qu’il s’agit, intervient après ceux du Mali et du Burkina Faso dans un Sahel en proie au terrorisme, particulièrement depuis la fin chaotique, en 2011, du régime Kadhafi en Libye . La France politique doit pouvoir en tirer tous les enseignements et préceptes, agir en conséquence surtout, face à la réalité d’un monde en pleine mutation quant à la redéfinition des rapports entre les États.
La formule originale nous vient du Québec : « La Liberté ne fatigue pas les Peuples », disait l’écrivain et cinéaste Pierre Falardeau ; il en est ainsi également de la Dignité des Peuples qui reste difficilement marchandable à travers les âges. La vocation de l’Afrique n’est pas d’être un continent d’approvisionnement en ressources brutes, éternellement soumis aux intérêts externes. C’est véritablement ainsi, et de nombreuses populations humaines ont retenu la leçon de Montesquieu, depuis quelques siècles déjà : « nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement » selon les enseignements publiés en 1748, depuis Genève, à travers « De l’esprit des lois ». Librement, le monde change et il n’arrêtera pas de changer; c’est même un principe inaltérable qui peut être élevé en loi universelle, sans grand risque de se tromper. Dignement, l’Afrique change et elle change plus vite qu’elle ne le laisse paraître à travers ses représentants officiels, les dirigeants politiques, les chefs d’État et de gouvernements notamment. Cette dichotomie entre l’Afrique des gouvernants et l’Afrique des profondeurs qui n’est rien d’autre que la jeunesse africaine concentrée dans les villes africaines ainsi que dans celles du reste du monde, une telle distance demeure encore une énigme, voire un embarras pour la gent politique. Contrairement aux idées reçues, la connexion est entière, suffisante et quasi journalière entre la jeunesse des villes, des campagnes et des diasporas africaines. Pour être substantiellement représentatives, les perspectives d’émancipation et du renouveau africain, celles du désir de changement, de liberté et de dignité véhiculées par la jeunesse africaine n’ont pas besoin d’être unanimes, mais suffisamment majoritaires pour se reconnaître dans les tournants audacieux de l’histoire. Dans cette jeunesse mondialisée se retrouve le besoin pressant d’une autre Afrique. Une telle exigence est amplifiée par d’innombrables perversions de la démocratie promise par des Constitutions devenues incertaines, aléatoires et soumises aux fantaisies des élections systématiquement truquées ne produisant que des résultats falsifiés, des recours fardés, de fréquents abus de pouvoir ainsi que des violations de droits de la personne cautionnées par le silence de la France politique, etc. Très curieusement, l’ère Macron est particulièrement symptomatique de la perversion de l’idéal démocratique en Afrique francophone . C’est de cette France-là que les Africains francophones veulent s’émanciper. Et, ils sont bien compris et supportés par le reste du continent au point que la solidarité naissante met véritablement en danger les intérêts et la respectabilité de la France-État. C’est une tâche énorme que de combattre les Peuples qui pensent n’avoir rien à perdre, au point de « lutter pour l’Honneur et la Dignité ». C’est une tâche immense pour la France de vouloir « rétablir l’ordre constitutionnel au Niger » après un coup d’État reçu comme libérateur, tout simplement frondeur d’une France en déphasage avec l’Afrique réelle, l’Afrique jeune, forte et friande d’un avenir émancipatoire.
L’Afrique s’est réveillée… la France tremble
C’est donc à une FRANCEthique qu’il faut faire appel dorénavant. Une France moins arrogante qui aura l’humilité de savoir s’adapter à l’éveil africain. Investir dans une France débarrassée de ses aspérités obsolètes est aujourd’hui un impératif catégorique, inaliénable et inévitable. En son temps Alain Peyrefitte l’écrivait dans un essai retentissant, et en misant seulement sur la taille et la croissance de la Chine en pleine révolution culturelle : « Quand la Chine s’éveillera… le monde tremblera » . Malgré toutes les critiques, le parlementaire et homme politique français avait eu raison en voyant un peu plus loin, et assez tôt que plusieurs de ses contemporains… Dirions-nous un demi-siècle plus tard précisément, en 2023, alors que l’Afrique regorge autant de ressources minières, humaines et territoriales, dirions-nous maintenant que: « Quand l’Afrique s’éveillera… le monde tremblera en commençant par la France? » La tentation est grande… Résistons toutefois! De toutes les aventures colonialistes d’une autre époque, la France est restée la seule à n’avoir pas assumé son désengagement effectif, sa démobilisation administrative, militaire, politique et monétaire. Le franc CFA, les bases militaires, la béquille des dictatures et l’instigatrice de nombreux coups d’État dont le tout premier assassinat d’un chef d’État , en plein exercice de son mandat démocratiquement acquis dans une consultation sous la supervision des Nations unies, tous ces exploits rendent la France responsable de ses propres malheurs sur le continent africain. C’est à tout cela qu’il faut tenter de remédier aujourd’hui, courageusement, adroitement et prestement. L’Éthique du changement est plus qu’une intention souvent annoncée et jamais accomplie. L’Éthique en elle-même est un acte définitif, circonstancié, précis, détaillé ; l’Éthique est une décision qui resonne et peut être analysée et évaluée dans l’espace public à travers ses conséquences, ses effets et ses résultats. C’est désormais à une Éthique aussi moderne que la France doit recourir, consciemment et volontairement. Cette Éthique ne réside nullement dans le déclenchement d’une guerre d’invasion et d’occupation du Niger, directement ou indirectement, pour rétablir un ancien président considéré asservi à la France. Une FRANCEthique est bien possible. C’est d’ailleurs à cette France courageuse que se réfèrent les nombreuses voix africaines, européennes et françaises. Il n’y a donc aucun mal à écouter l’état du monde et du continent africain, sa jeunesse profonde surtout; il n’existe aucun mal à repositionner la France en Afrique et à mettre en orbite une relation originale avec l’Afrique nouvelle en effervescence. La France possède des atouts et des acquis pour relever opportunément ce défi : elle ne partirait pas de zéro. •18 août 2023• Horizon
Rédigé par PSA le 18/08/2023 à 01:00
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● [« Seul Sylvanus Olympio est dangereux. Sans lui, "l’Unité Togolaise" sera facilement orientable et réductible. » —Extrait d’un Rapport colonial.] ●
Le Togo a un modèle… Le Togo possède véritablement un modèle qu’incarne toujours le caractère républicain associé à la personnalité de Sylvanus Olympio : 6 septembre 1902 – 13 janvier 1963. Sylvanus Olympio a su concrétiser une Éthique de la République et un idéal de gouvernance qui se sont constamment raffermis, rajeunis et revitalisés au fil des décennies, au point de constituer la vision nourricière d’un patriotisme ininterrompu qui relève indubitablement du patrimoine togolais… Sylvanus Olympio, c’est à la fois l’héritage et l’avenir du Togo… Effectivement, le Togo a un solide modèle politique à sa disposition : Lector, si monumentum requiris.
Du premier président de la République togolaise, 1960 à 1963, il ressort une somme d’atouts et d’attraits qui consolident la place indestructible qui est la sienne dans l’histoire tangible et dans l’imaginaire palpable de ses concitoyens. Simplement dit, Sylvanus Olympio incarnait une vision, une proactivité et une détermination qu’il a su traduire, convertir et propager au Togo comme à l’extérieur de ses frontières, particulièrement comme : un modèle de compétence, un modèle de transparence et un modèle de clairvoyance. Soixante ans après la disparition brutale et traumatisante du père de l’indépendance et concepteur de la Nation togolaise, soixante années après le drame non élucidé du 13 janvier 1963, le meilleur hommage que nous, Togolaises et Togolais, pouvons rendre à Sylvanus Épiphanio Kwami Olympio, digne et fier Togolais, né à Kpando au Ghana actuel, inhumé à Agoué au Bénin actuel, cet hommage retentissant est de l’extraire de la banalité et du sens commun. Sortir Sylvanus Olympio de la banalité, c’est le décoder pour le restituer, pleinement et naturellement, dans sa contribution fondamentale à l’œuvre de positionner le Togo sur un chemin hautement ambitieux ; une voie audacieuse et prometteuse qu’il a su ouvrir en éclaireur et en leader enthousiaste, auréolé d’un panafricanisme réaliste et coopératif : « mobiliser les peuples autour d’objectifs tangibles de développement, les amenant ainsi à se faire les bâtisseurs de leur propre avenir » disait Sylvanus Olympio lui-même.
Une Vision… Bâtir la Nation
La mission de gouverner un pays, juste après la fin de la tutelle coloniale, est le point de départ d’un appel au devoir d’une citoyenneté nouvelle chez Sylvanus Olympio ; une telle mission lui a fait renoncer à bien d’autres sollicitations. En appui, Sylvanus Olympio recommandait des actes publics exemplaires à ses compatriotes, comme exercice d’une citoyenneté responsable : ne serait-ce que garder la propreté jusqu’au-devant de leur habitation, dans leur lieu de travail, leur école ou partout ailleurs. Une citoyenneté exemplaire qui commençait à partir de lui-même, avec grande exigence, vers l’ensemble de ses concitoyens. Le sens combiné du devoir et du sacrifice national, celui de l’honneur et de la fierté également, tout cela transparaissait assidûment dans les actes de Sylvanus Olympio. La vision de Sylvanus Olympio en tant que manière d’aborder la complexité de sa mission à la tête du Togo tient d’une confiance inébranlable en sa personne ainsi que dans les aptitudes immenses reconnues à ses concitoyens. Cette vision s’énonce clairement ainsi qu’il suit : « Bâtir la Nation togolaise ». L’indépendance politique acquise de haute lutte parfois fratricide –jusque dans les rangs de son propre parti, le Comité de l’Unité togolaise (CUT) à travers son aile jeunesse, la Juvento-, il est devenu un impératif catégorique de réaliser l’unité dans l’action de construction du Togo. Bâtir la Nation équivaut bien à faire l’unité de toutes ses composantes souvent manipulées par diverses forces exogènes. La prétendue question ethnique au Togo entre le Nord et le Sud, des rivalités disparates nées depuis le référendum du 27 avril 1958, etc. Dès lors, concevoir l’avenir du Togo indépendant ne pouvait aucunement se faire sans la concrétisation de l’appel à l’unité, le « Togolais viens, bâtissons la Cité », contenu dans l’hymne national du pays ; ce que Sylvanus Olympio rappela dans le discours d’indépendance du Togo : « Et maintenant, Togolais et Togolaises, allons, comme l'hymne national nous y convie, allons tous ensemble bâtir la cité. » Bâtir la Nation était bien la vision d’un dépassement et d’une cohésion sociale que craignaient, malheureusement, les anciens colons dans un rapport secret depuis les temps du gouvernorat sous tutelle française, et signé d’un certain P. Pauc. Ce rapport disait bien que : « (…) seul Sylvanus Olympio est dangereux. Sans lui, "l’Unité Togolaise" sera facilement orientable et réductible. » À tout prix, et très clairement, l’option stratégique d’une Nation unie au Togo est choisie par Sylvanus Olympio pour vaincre les difficultés initiales ; cette vision dérangeait depuis longtemps, et elle était combattue par tous les moyens dont la manipulation et l’utilisation d’autres citoyens togolais, selon l’infaillible règle du "diviser pour régner". Toutes les médiations pour réunir les principaux acteurs politiques togolais autour de la vision d’unité dans la construction du Togo échouèrent dans la première année d’indépendance. De guerre lasse, le samedi 13 janvier 1962, la Juvento et l’Union Démocratique et Populaire Togolaise (UDPT) –l’UDPT étant née de la fusion du Parti Togolais du Progrès (PTP) et de l’Union des Chefs et des Populations du Nord (UCPN)-, seront dissoutes par un décret présidentiel. Manifestement, Bâtir la Nation avait autant de résistances que de pièges et d’aléas, dont un "projet de coup d’État" en décembre 1961 qui avait fini par exaspérer Sylvanus Olympio… Comme vision, Bâtir la Nation a néanmoins révélé l‘ensemble des habiletés managériales réunies en la personne de Sylvanus Olympio. C’est probablement sur le plan indéniable des prédispositions de gestionnaire du nouvel État indépendant que Sylvanus Olympio fait véritablement modèle, aussi bien au Togo qu’à travers le continent africain où il avait conseillé Ahmed Sékou Touré dans le référendum du 28-septembre-1958. En dehors de l’Afrique, le président Sylvanus Olympio avait déjà été pressenti pour succéder au Secrétaire général de l’ONU, le Suédois Dag Hammarskjöld, brutalement disparu dans un accident d’avion en septembre 1961. Cette particulière sollicitation ne correspondait pas à l’ambition du président Sylvanus Olympio d’établir un État africain modèle au Togo. De leur côté, les collègues de Sylvanus Olympio dans les deux groupes de réflexion politico-stratégique de l’Afrique des indépendances, le groupe de Casablanca et le groupe de Monrovia, pourtant antagonistes sur le plan de l’approche de réalisation de l’union des États africains, reconnaissaient la valeur du président togolais au point de lui confier la supervision de la rédaction de la Charte de l’Organisation de l’Unité africaine (OUA) naissante. Ironie du sort, quoique figurant dans les pays fondateurs, à cause de l’assassinat de Sylvanus Olympio quelques semaines auparavant, le Togo ne sera pas admis à signer la Charte de création de l’OUA le 25 mai 1963 à Addis-Abeba. Une tache indélébile qui, parfois, ne met pas toujours en évidence toute la densité édifiante ainsi que la surface de rayonnement de l’œuvre et de la personnalité de Sylvanus Olympio en Afrique.
Sylvanus Olympio… Modèle de Compétence
La dimension compétence est à inscrire dans la personnalité de Sylvanus Olympio. Certes, en dehors de l’Éwé et du Mina, Sylvanus Olympio parlait parfaitement des langues étrangères comme l’allemand, l’anglais et le français. Aucune anecdote ne révèle qu’enfant, Sylvanus Olympio demandait à ses parents « quelle langue suis-je en train de parler ? » Mais, adulte, l’homme politique avait souvent répondu à la question : « dans quelle langue dois-je communiquer le mieux, à cette occasion particulière ? » Le volet communication coiffait ainsi les autres habiletés professionnelles démontrées dans le secteur privé d’abord, transportées par la suite dans la gestion publique. Cette combinaison "gestion privée-gestion publique" rehaussait bien le goût de résultat que l’on retrouvait constamment dans les communications de Sylvanus Olympio, diplômé de ce qui est connu aujourd’hui comme la réputée London School of Economics (LSE). L’enseignement dispensé par cette institution, ouverte et nantie, préparait bien aux connaissances suffisantes en économie et en relations internationales autant qu’en philosophie et en sociologie. Situé en plein cœur de Londres, très peu d’Africains avaient le privilège de recevoir à l’époque ces enseignements d’un établissement privé qui se compare aujourd’hui à ceux dispensés par les huit prestigieuses universités privées de la côte est américaine, la Ivy League : Brown, Columbia, Cornell, Dartmouth, Harvard, Pennsylvania, Princeton et Yale. Sylvanus Olympio appartenait ainsi à un cercle international illustre et restreint qui comprenait le 35e président des États-Unis d’Amérique, John Fitzgerald Kennedy, qui recevra d’ailleurs le président togolais en une visite d’État pompeuse à la Maison-Blanche au printemps 1962. Avec Sylvanus Olympio, compétence ne faisait pas que rimer avec influence internationale ; compétence justifiait influence et réputation, rigueur et flexibilité, choix des collaborateurs solides tout aussi compétents, transparents, entreprenants, etc. Sylvanus Olympio… Modèle de Transparence Rendre compte aux Togolais est l’une des valeurs de Sylvanus Olympio… On oublie souvent de le rappeler. De retour de ses visites officielles, que ce soit des États-Unis d’Amérique, de l’Allemagne, du Liberia, de la Guinée ou autres, Sylvanus Olympio se fait toujours un point d’honneur à rendre compte des résultats de son séjour. Il est de notoriété publique que les déboursés de devises reçues du Trésor public, pour les voyages officiels présidentiels, y sont retournés pour ce qui est de la partie non dépensée. Comment pouvait-il en être autrement avec un ministre des finances rigoureux et orthodoxe comme son voisin de la rue Vauban à Lomé, le quasi austère et non moins brillant et prospère Dr Hospice Dominique Coco (1902-1995), major de la première promotion de l’École Africaine de Médecine et de Pharmacie de Dakar ? C’est un fait que tous les États modernes pratiquent la reddition de compte : rendre compte aux administrés et aux citoyens, aussi régulièrement que possible et en faire une obligation institutionnelle. Sous Sylvanus Olympio, il y a plus de soixante années, mensuellement, les Togolaises et les Togolais savaient les nouvelles réalisations ainsi que les étapes des programmes gouvernementaux qui méritaient d’être connus : écoles, dispensaires, organisations décentralisées, décisions importantes et leurs justifications, routes, etc. L’année 1961 était marquée par une assiduité quasi maladive à rendre compte au peuple togolais : des moindres visites officielles jusque sur la crise du Togo-Britannique avec le Ghana, la politique du non-alignement, celle des femmes togolaises ou de l’établissement d’une fonction publique compétente ainsi que l’africanisation des cadres qui relevait de lui-même, tout passait dans les comptes rendus. La situation économique réelle du Togo n’échappait pas à cette boulimie de transparence chez Sylvanus Olympio. Ce qui n’existe pratiquement plus, au Togo, après l’ère Sylvanus Olympio… Pour la petite histoire… Bien souvent et pendant longtemps, c’était d’ailleurs en toute simplicité, à vélo et sans escorte, que Sylvanus Olympio se rendait du "1 rue Vauban" à Lomé, sa résidence, vers son ministre des finances (1961-1963) et ministre du Commerce et de l’Industrie, du Plan et du Développement (1958-1961) en plus d’être depuis longtemps son "médecin de famille", à l’autre extrémité de la rue Vauban chez l’un de ses plus fidèles amis : Dr Hospice Coco. Avec Sylvanus Olympio, Hospice Coco concevra d’ailleurs, la création et la mise en service de la monnaie nationale togolaise en remplacement du franc CFA. L’histoire de la monnaie togolaise est aussi une preuve palpable de la transparence légendaire et très caractéristique de la gestion Sylvanus Olympio. En toute transparence, le 6 septembre 1962, Hospice Coco ministre des Finances et des Affaires économiques du gouvernement de Sylvanus Olympio avait d’ailleurs rencontré son vis-à-vis français, Valery-Giscard d’Estaing secrétaire d’État aux Finances et partisan de l’Algérie française. Cette rencontre était intervenue après des échanges administratifs relativement difficiles entre les collaborateurs des deux ministres. La transparence du gouvernement togolais qui n’avait d’égal que sa détermination à se doter d’une indépendance monétaire, compatible avec ses choix de planification de développement, n’avait jamais reçu l’appui adéquat des autorités françaises, malheureusement. Par contre, les gouvernements allemands, anglais et américains avaient su apporter leur soutien à Sylvanus Olympio et Hospice Coco dans la constitution des réserves initiales, en devises internationales, au profit de la future "Banque centrale du Togo" créée, non pas par décret, mais dûment et ouvertement à travers un acte parlementaire : la loi 62-20 du 12 décembre 1962 de l’Assemblée nationale togolaise portant création et approbation des statuts de l’institution. Cette transparence républicaine assumée, à la fois monétaire, administrative et objectivement stratégique, avait-elle augmenté la méfiance des autorités françaises à l’égard de Sylvanus Olympio ? Toujours est-il que l’un des hauts fonctionnaires français de l’époque, Jean de Menthon qui avait même vécu à Lomé, et suivait les évènements économiques pour en rendre compte au directeur général de la Caisse française de coopération, avait ses hypothèses explicatives : « De plus en plus, les Français se méfiaient d’Olympio et souhaitaient s’en débarrasser. Non parce qu’il était devenu un autocrate, ce qui n’avait rien d’original, mais parce qu’il était toujours considéré à Paris comme un anti-français. Ne négociait-il pas d’ailleurs pour quitter la zone franc ? Est-ce grave pour la France ? En soi, bien sûr que non, mais d’autres pays auraient pu suivre. Car, là où Sékou Touré, peu habile financier et contraint à improviser, avait échoué, Olympio, gestionnaire qualifié et prévoyant pouvait réussir peut-être en accrochant sa monnaie au mark. » Prévoyant, compétent et transparent à outrance, de tels attributs trahissaient en réalité la clairvoyance de la personnalité de Sylvanus Olympio. Malgré la radicalité apparente dont certains ont pu affubler le père de l’indépendance togolaise, Sylvanus Olympio s’est toujours trouvé dans le camp des modérés… Un véritable et authentique modéré, Sylvanus Olympio l’était, que ce soit dans ses choix et options socio-économiques ou face au panafricanisme et au militarisme. Mais, jamais Sylvanus Olympio n’a été chef de bande ou président dans une « équipe de profiteurs » comme le lui fut assener la "Proclamation" lue par l’adjudant-chef Emmanuel Bodjollé, au nom du "Comité insurrectionnel militaire", le jour même dans l’après-midi, après son assassinat, plus tôt, le dimanche 13 janvier 1963… En tout état de cause, Sylvanus Olympio forçait admiration et respect, hier comme aujourd’hui des décennies plus tard… Sylvanus Olympio… Modèle de Clairvoyance Déjà en 1959, dans la phase active de la préparation de l’indépendance du Togo prévue pour le mercredi 27 avril 1960, Sylvanus Olympio disait devant des députés français : « La nation togolaise que nous construisons pierre à pierre, doit s’incorporer, après son accession à l’indépendance, dans cette société universelle des hommes libres à laquelle aspirent les plus nobles cœurs de notre temps. » Participer à l’universel avec autant de générosité, relève autant de la clairvoyance que de l’humanisme. En effet, Sylvanus Olympio était hautement sensible aux questions de la « Défense des droits de l’homme et du citoyen » pour lesquelles il militait, au sortir de la Seconde Guerre mondiale. La clairvoyance de Sylvanus Olympio était très visible dans sa stratégie globale de développement du Togo. Une année et demie après l’indépendance du Togo, le projet de la monnaie nationale parfaitement en route, et après des séjours en Allemagne (fédérale) et aux États-Unis d’Amérique, c’est dans un message spécial radiodiffusé le vendredi 26 octobre 1962 que Sylvanus Olympio va communiquer largement sur son "Plan de développement économique du Togo". La perspicacité de la démarche résidait particulièrement dans l’ambition de Sylvanus Olympio d’assurer, avant tout, la sécurité alimentaire de tous les Togolais. À l’actif, la modernisation de l’agriculture dans la vallée de l’Oti au Nord et dans celle du Mono au Sud, était accompagnée de divers programmes de développement rural à travers le pays (Tchitchao, Glidji, Agu-Nyongbo, Kambolé, Nuadja, Topkli, Sotouboua, Tové, etc.), des centres de formation rurale dans la région des plateaux, des réserves agricoles au niveau national, l’expérience de la Jeunesse pionnière agricole (JPA) ainsi que l’amélioration du réseau de transport, la construction du port de Lomé, la promotion des "industries légères" à travers les investissements privés, l’énergie électrique, les brigades des travailleurs, l’institut d’hygiène, etc. Il était frappant de voir comment des dépenses de prestige désarticulées de l’ensemble n’existaient pas dans ce Plan de développement économique. Toujours au titre de la clairvoyance, un article publié dans la revue américaine « Foreign Affairs » du 1er octobre 1961, « L’Afrique face à la guerre froide », permet encore de mieux situer le président Sylvanus Olympio sur sa posture face aux grands enjeux africains et internationaux. C’est bien celui-là, Sylvanus Olympio, qui venait de décliner "l’offre" de succéder au défunt Secrétaire général de l’ONU, qui prenait la plume pour communiquer autant sur le multilatéralisme dont il est un fervent défenseur que sur le panafricanisme, le morcellement de l’Afrique, l’Unité africaine, le développement en Afrique, le leadership collectif africain face aux deux blocs rivaux qui voudraient bien dominer l’Afrique : « En morcelant l’Afrique en subdivisions économiques et commerciales, les forces coloniales lui ont fait le plus grand tort. La conséquence de cette politique a été l’isolation économique des peuples qui vivent côte à côte, dans quelques cas flagrants à quelques kilomètres seulement les uns des autres, tout en dirigeant le flot des ressources vers les métropoles. (…) Nous devons d’abord traiter ces problèmes. Alors nous serions sur la voie qui mène vers l’Unité Africaine. (…) Nous ne pouvons pas nous permettre d’être impliqués dans la guerre froide avec toutes ses conséquences. Les États africains se trouvent au stade le plus bas du développement économique et devraient sagement consacrer toutes leurs énergies et ressources au développement de leurs peuples. » Ici encore, la clairvoyance, la lucidité et la perspicacité de Sylvanus Olympio sont manifestes ; son obstination à concevoir l’avenir de l’Afrique à travers l’émancipation socio-économique de ses populations est partout mise en exergue dans l’article. Sylvanus Olympio en arrive même à prendre la défense des citoyens contre leurs gouvernants : « Les dirigeants africains doivent également prendre garde de pousser leur peuple trop loin. Le mécanisme du gouvernement national est nouveau, et nous devons enseigner sa signification à nos peuples avant qu’ils n’acceptent ses maximes. Les dirigeants qui proposent de financer leurs projets par des taxes lourdes doivent d’abord savoir si leurs peuples sont déjà prêts à les accepter, et si, à ce stade, il n’est pas plus raisonnable de réaliser des programmes préliminaires d’éducation avec une amélioration modérée du niveau de vie que d’envisager de vastes programmes de grands travaux. » On se croirait bien installé et à l’écoute d’une allocution du Secrétaire général de l’ONU à destination des chefs d’État africain. Ce qui est sûr, en bon économiste et praticien de la gestion publique par temps d’euphorie des premières années d’indépendance, Sylvanus Olympio savait déjà de quoi les dirigeants africains devraient se prémunir pour éviter les grandes désillusions. Que tant de sagesses politico-managériales se soient arrêtées si abruptement, dans le tout premier coup d’État sanglant que l’Afrique, jeune de ses indépendances, ait connu en moins de trois ans d’exercice du pouvoir, qu’une personnalité de cette envergure ait pu faire l’objet de tant de négligences ne peut que trop durer… L’on comprend facilement que la symbolique du président Sylvanus Olympio, exemplaire, soit remontée constamment et imparablement dans la vie des hommes et des femmes du Togo.
Conclure en Éthique de la Nation
Modèle de compétence, de transparence et de clairvoyance, Sylvanus Olympio incarne indubitablement une Éthique de la Nation, celle qui gère la République pour la mettre au service des citoyens, et de la manière la plus exemplaire qui soit. En somme, Sylvanus Olympio demeure un modèle de pure fierté, une personnalité simple et intègre, un artisan rigoureux et persévérant d’une indépendance véritable, un exemple de générosité et de grandeur aucunement altéré par le temps et certaines morsures humaines inévitables : la conjonction entre une personnalité fiable, méthodique, efficace et une vision audacieuse génératrice d’une gestion saine du Togo. Inhumé dans une relative précipitation, le troisième jour après son assassinat et la découverte de son corps aux portes de l’ambassade des États-Unis d’Amérique sur la rue Caventou à Lomé, l’épitaphe de Sylvanus Olympio aurait pu être celle qui a accompagné son ami et ancien médecin personnel : « Il nous laisse l’exemple d’une vie sans compromissions, une vie de fidélité à un idéal, une vie sans d’autres ambitions que celle de servir dans la simplicité et la générosité. » À moins que certains ne préfèrent l’épitaphe de Christopher Wren à la cathédrale Saint-Paul de Londres, dans la ville où Sylvanus Olympio avait effectué sa formation supérieure pratique : Lector, si monumentum requiris, ce qui signifie « Si vous cherchez son monument, regardez autour de vous ». Pour priser l’œuvre patrimoniale monumentale de Sylvanus Olympio, premier président du Togo indépendant, tous, regardons autour de nous. Son héritage se retrouve aussi bien dans l’invisible que dans le visible du Togo, tel que ce pays se présente aux regards et aux appréciations des Togolaises et des Togolais eux-mêmes. Au Symposium Sylvanus Olympio déjà, à Duisbourg en 2019, en dehors de toute émotivité, il s’était révélé que tant de compétence, tant de transparence et tant de clairvoyance ne pouvaient que faire persistant modèle chez les citoyens du Togo, de génération en génération. Sylvanus Olympio reste un impérissable modèle togolais, une éternelle inspiration. Avec la même sérénité, quelques années plus tard, bien en dehors de toute excitation, les soixante ans de la disparition brutale de Sylvanus Olympio éveillent et instruisent encore, bien en dehors de toute polémique. C’est probablement cet esprit d’ouverture et de conciliation, ce sens de l’observation et du détail qui se retrouvent également chez le doyen Godwin Tété, 95 ans, dans sa toute dernière sortie au sujet de la commémoration d’une si cruelle disparition que celle de Sylvanus Olympio : « Oui ! Le 13 janvier 2023, cela fera soixante ans jour pour jour qu’un dimanche, au petit matin, le Président de notre République, le Père de notre Nation et de notre indépendance, Sylvanus Kwami Épiphanio Olympio fut assassiné. Assassiné lâchement, gratuitement, par la tristement fameuse FrançAfrique. Parce qu’il venait de créer une monnaie nationale togolaise. Assassiné avec les bras armés de Gnassingbé Éyadéma. J’étais à Lomé … Aujourd’hui, à l’âge qui est le mien : 95 ans le 16 janvier 2023, je crois pouvoir me permettre de faire, au brave Peuple togolais, les quelques suggestions suivantes. Primo. Que cet anniversaire soit une inestimable occasion pour nous de REFONDER un Collectif de combat politique basé sur une plate-forme minimale” acceptée, signée, respectable et respectée par toutes les parties prenantes. Secundo. Que cette journée du 13 janvier 2023 soit chômée sur toute l’étendue du territoire togolais – pour une réflexion relative à la destinée de la Terre de nos Aïeux. Tertio. Que le drapeau du Togo soit mis en berne trois jours d’affilée : les 13, 14 et 15 janvier 2023. Quarto. Que le boulevard loméen dit du 13 janvier soit rebaptisé Boulevard Sylvanus Olympio. En effet, attribuer cette maudite date à la principale artère de notre capitale s’apparente fort à une IGNOMINIE !!! Quinto. Que le reste soit confié à l’Histoire… » Ainsi… C’est dans la tempérance de sa vision de "Bâtir une Nation" que Sylvanus Olympio a gagné la qualité, la valeur et le mérite d’une référence républicaine qui dépasse tous les clivages composites du Togo : une compétence, une transparence, une clairvoyance. Dans leur vaste majorité, les Togolais peuvent exhiber cette immense personnalité et l’ensemble de ses œuvres comme un monument de ralliement pour construire un avenir de vérité. L’art d’une Nation réconciliée et apaisée au Togo repose en Sylvanus Olympio. Quand Sylvanus Olympio sera restitué pleinement à la notoriété et à la dignité, le Togo s’éveillera dans l’enthousiasme de l’avènement d’une Nation réussie. ● Commémoration Olympio ● ֍֍֍ 13 janvier 2023 ֍֍֍ Remerciements : La suggestion de produire un Texte de Commémoration des 60 ans de la disparition de Sylvanus E. K. Olympio, m’a été faite dans le cadre du groupe "Commémoration Olympio". Le contenu de ce texte dont je porte l’entière responsabilité a néanmoins bénéficié des apports, divers et pertinents, de certaines personnes dont Yao Paul Assogba, Philippe Amédodji, Claude Améganvi, Charles Awitor, Raymond Foley, Isidore Messavussu, Jean-Sylvanus Olympio, Godwin Tété. Tous et chacun, recevez mes amitiés et mes remerciements… —PSA |