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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




La littérature n'excuse pas tout. Comment accepter –ne serait-ce que par le silence, les excédents langagiers qui débordent jusqu’à vouloir cautionner la tuerie d’Utoya perpétrée par Anders Breivik ? L’affaire Millet, la tentative d’approbation d’un tel forfait sous le prétexte du rejet du multiculturalisme et de certains de ces travers, offre l’occasion à l’académicien français, Pierre Nora, de rejeter la posture confuse et suffocante de Richard Millet qui, comme lui, est aussi membre du Comité de lecture de la maison d’édition Gallimard. Aujourd’hui même, nous apprenons que Richard Millet a démissionné de ce Comité ; le désaveu de l’historien Pierre Nora ci-après, et d’autres réactions aussi bien senties comme celle d’Antoine Gallimard, ont sans doute poussé Richard Millet à ce retrait du piege dans lequel il tentait d’enfermer les uns et les autres. La demande de Pierre Nora à Richard Millet était claire : « À vous donc de trouver le moyen de nous en sortir, sans hurler que l'on veut votre mort, et avec vous, celle de la littérature et même de l'Occident. » Polémique justifiée autour d’un inutile Éloge littéraire d'Anders Breivik.


"Nous voilà dans un piège"
En tant que membre du comité de lecture de Gallimard, – depuis quarante-cinq ans ! –, je me sens le droit et même le devoir de réagir à ce qui est devenu maintenant "l'affaire Millet". Nous sommes professionnellement associés, et je m'en réjouis. Mais je ne peux avoir l'air ni de me réfugier dans une abstraction supérieure ni de paraître par le silence cautionner des propos insanes et dangereux, au motif que la "littérature" excuse tout.

Qu'est-ce qui permettrait, en effet, à un écrivain de porter un jugement de nature littéraire sur quelque chose qui n'a rien à voir avec la littérature, en l'occurrence une tuerie massive qui ne relève que de la psychiatrie, de la police et de la justice ? C'est abuser du grand mot de littérature, de son prestige, de sa vocation, de son pouvoir. Elle n'est pas l'ultima ratio et la loi souveraine du monde. De deux choses l'une : ou bien l'Eloge littéraire d'Anders Breivik tombe pour son intention ou certains de ses passages sous le coup des lois, et qu'on les applique ; ou bien il ne tombe que sous le coup du jugement personnel, et le mien tient en un mot : consternation.

Pour qui est professionnellement et amicalement lié à Richard Millet, son cas est franchement déconcertant, pénible, et la situation, avouons-le, plutôt embarrassante et inextricable. Richard est un écrivain remarquable et fécond, l'un des rares qui aient à ce point le sens et l'amour de la langue. On ne peut avoir que de la considération pour son œuvre et pour son travail d'éditeur, dont se félicitent tous les auteurs qui en ont bénéficié. Il n'est pas le déshonneur de la littérature, il en est l'honneur.

Et en même temps, ses positions idéologiques me paraissent lamentables. Je le confesse : je n'arrive même pas à prendre au sérieux son Eloge littéraire d'Anders Breivik. Ses propos ne me font pas bondir, à part quelques phrases inadmissibles sur Breivik, "écrivain par défaut", et sur "ses victimes, qui n'étaient que de jeunes travaillistes, donc de futurs collaborateurs du nihilisme multiculturel", dont la mort, par conséquent, ne serait pas à tellement déplorer. Devant ces élucubrations puériles, qui relèvent de l'esprit d'opposition adolescent et de la volonté provocatrice, je reste moins indigné que pantois. Cette manière de se construire un personnage d'écrivain réprouvé, de prophète maudit, persécuté, si possible martyr, est un peu fatigante et légèrement dérisoire. On n'est plus au temps des surréalistes et d'Aragon, on ne recommence pas Céline, et n'est pas Jean-Jacques Rousseau qui veut.

C'est surtout la construction idéologique d'ensemble que Millet répète de pamphlet en pamphlet et d'opuscule en opuscule qui me paraît frappée d'une grande confusion et d'une incohérence majeure. Elle ne tient que par ses obsessions personnelles. Non que son pessimisme radical n'ait pas de raison d'être ; je le partage largement. Ni que tout ce qu'il soutient soit faux, c'est parfois juste et frappé au coin du bon sens. Il y a de bons arguments pour condamner le multiculturalisme et en redouter les conséquences. Il y a de bonnes raisons pour déplorer dans la période actuelle une anémie de la langue et un dépérissement de la littérature. Mais quel rapport entre les deux ?

Qu'est-ce qui permet de lier la thématique de l'immigration au déclin de la langue et de la littérature, et de faire même de la menace islamiste la cause du déclin de la littérature, laquelle a des motifs tristement vernaculaires ?
Et qu'est-ce qui l'autorise à s'excepter de ce déclin pour s'ériger en sauveur suprême d'une Europe chrétienne ravagée par la haine de soi ?

Richard Millet a le droit de penser ce qu'il veut et de l'écrire. Mais il n'a pas le droit, au nom de la solidarité amicale et professionnelle, de nous faire otage de ses opinions, de ses enfantillages, de ses confusions intellectuelles, de sa psychologie particulière, de ses foucades délirantes. On ne veut pas se désolidariser et on ne veut pas se solidariser. Nous voilà dans un piège. À cause de vous, mon cher Richard. À vous donc de trouver le moyen de nous en sortir, sans hurler que l'on veut votre mort, et avec vous, celle de la littérature et même de l'Occident.


Pierre Nora
Historien, académicien et membre du comité de lecture chez Gallimard.


Mot à Maux


Rédigé par psa le 13/09/2012 à 18:26



Une vie de président


Une vie de président… Une vie de générosité



Quelques jours après le départ de notre père, Joseph Têtêgan Adjété, voici le message que j’avais envoyé à certains de mes amis :
Je viens de perdre mon père; c'était dans la nuit de mardi à mercredi. C'est une nouvelle qui m'a beaucoup secouée... Je reviens seulement à la surface et voudrais prendre le temps de la partager.
C'était un Samaritain pur jus que tout le monde appelait et consacrait "Président": une vie à tout donner sans compter, tout donner, et donner encore avec sourire et sous admiration de tous... C'était le genre simplement humain, richement humble; c'était lui notre Président à tous, c'était l'Autre avant Soi-même et même pas "Soi-même comme un Autre"... C'était Président!
Merci pour vos pensées...



Pratiquement tous ces amis destinataires du message ne connaissaient pas notre père. Pratiquement tous ces amis ont réagi, et avec beaucoup de compassion et d’admiration, pour une vie aussi simplement et généreusement livrée à toutes les portes qui donnaient sur le chemin du pèlerin Président. Il ne pouvait d’ailleurs qu’être Président. Président de clubs sportifs : football, cyclisme, etc. Président de tout le monde : autour de lui et avec lui, chaque personne se sentait aimée et considérée, instantanément. Dans Lomé d’une époque, pas un pas dans la ville sans Président par-ci, Prési par-là lancés par jeunes, vieux et enfants aussi.

Aucune différenciation entre celles et ceux que Président devrait considérer comme ses enfants, ses petits-enfants et les autres. D’ailleurs, les uns comme les autres étaient désignés et surtout accueillis par : Grande Sœur… Grand Frère. Des amis qui ne se faisaient plus voir, et voilà Président de nous demander : « Je ne vois plus ton frère Untel… est-ce qu’il va bien? » ou encore « Et ta sœur Unetelle, as-tu de ses nouvelles? » Il ne pouvait qu’être Président, tellement il rassemblait généreusement, tellement il donnait de lui-même. Et, face à notre étonnement, il répondait assidûment en nous renvoyant à la réflexion et à l’acte: « L’aumône sauve de la mort ». Puis il recommençait à donner : des livres, des cahiers, des plumes, des ardoises, encore des cahiers, des « fournitures scolaires » disions-nous… une vie à donner, une vie à prendre en exemple.

Au fond, c’est cette vie que nous célébrons de nouveau. C’est cette vie qui nous rassemble aujourd’hui, celles et ceux qui nous reconnaissons dans une telle simplicité volontaire et naturellement communicative. Il y a véritablement un peu beaucoup de Président en chacun de nous; un peu beaucoup de Président autour de nous. Nous pouvons donc nous réclamer, toutes et tous, un peu beaucoup de Président. Et c’est sans l’ombre d’un doute que même dans la mort, il aimerait que des lauriers ne lui soient tressés que ne peut porter chacune de nos têtes, que des éloges ne lui soient chantés que ne peut supporter chacune de nos modesties, qu’aucune distinction ne lui soit octroyée sans qu’elle ne soit la marque commune à notre vie. C’est bien en cela qu’il demeurera paisiblement Président, éternellement une semence d’harmonie entre nous tous ses héritiers si proches, si heureux, si comblés et instruits par son édifiant pèlerinage sur terre. Adieu Prési!


En votre nom,
Pierre Séwa Adjété

Une vie de président

Ad Valorem


Rédigé par psa le 10/09/2012 à 01:45
Tags : Adjété Joseph Têtêgan Notez



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