Il y a désenchantement lorsqu’on ne s’émerveille plus devant une réalité que notre imaginaire nous faisait croire merveilleuse, mais que nous comprenons rationnellement désormais. Par exemple, dans le cas des fêtes de Noël, lorsqu’on grandit, il y a un processus de rationalisation qui fait qu’on ne croit plus au père Noël qui descendrait du pôle Nord et entrerait dans les maisons par la cheminée. Le désenchantement est donc le processus d’élimination des représentations magiques dans la compréhension et l’action sur les réalités sociales.
Par ailleurs les sociétés humaines sont construites sur des mythes. Ceux-ci sont des sources de connaissance qui s’inspirent généralement de métaphores reliées aux phénomènes naturels et sociétaux. Les mythes se présentent sous forme de récits, de croyances, qui servent à expliquer le monde qui nous entoure. Les mythes ont une incidence sur les attitudes et les comportements des sujets sociaux qui y adhèrent.
Depuis le XIXe siècle, époque de la colonisation de l’Afrique par l’Europe-Occident, le continent africain est marqué par un imaginaire social dominé par quatre grands mythes qui l’enferment dans une logique mortifère et d’échecs : le mythe de l’Occident, le mythe de l’indépendance, le mythe du développement et le mythe de la démocratie. Inventés par l’Europe-Occident, ces mythes ont structuré et structurent encore aujourd’hui l’imaginaire africain, en paralysant toute action novatrice et alternative eu égard à la position de périphérie qu’occupe l’Afrique dans le Système-Monde. C’est l’éveil à ces mythes et à la conscience de leur dépassement que j’appelle le désenchantement de l’Afrique.
Le premier grand mythe qui détermine tous les autres est celui de l’Occident. Un Occident intériorisé, à la fois imité et rejeté. Son corollaire est la problématique de l’identité culturelle africaine qui s’est traduite par le mouvement de la négritude initié par Césaire, Senghor et Damas, mais qui deviendra une idéologie figée. D’une certaine manière, on peut placer dans le même ordre de mouvement, les discours et les pratiques « d’authenticité » des années 1970-1980 au Zaïre de Mobutu et au Togo d’Eyadema.
Le second mythe est celui de l’indépendance qui structure également l’imaginaire africain. Dans les années 1960, il fut la réponse à toutes les questions, à tous les défis. Mis à l’épreuve par les réalités, ce mythe s’est cependant brisé. L’indépendance a été confisquée par le colonisateur qui a réussi à remplacer le colonialisme par le néo-colonialisme.
Le troisième, le mythe du développement, a sans tarder pris le relais. Le développement, c’est pour les populations africaines, l’accès à la modernité occidentale. Mais le développement, tel que représenté, a failli. Une fois érodé, ce mythe par mimétisme se présente sous d’autres variantes mythologiques qui ont pour noms : « développement autocentré », « développement adapté », « développement approprié », « micro-développement », etc. Le bilan de tous ces cas de figure n’est guère plus reluisant. Sauf que les populations africaines ont riposté à ce processus de mimétisme et inventé, au ras du sol, des formes alternatives de développement qui leur permettent de survivre et même de vivre.
Enfin, le quatrième mythe, celui du mythe de la démocratie et du pluralisme politique, s’est imposé à l’Afrique dans les années 1990 suite à la chute du mur de Berlin, l’effondrement du Bloc soviétique et les contestations de rues ont ébranlé les régimes despotiques et les dictatures africains. Ce dernier mythe apparaît comme la dernière tentative pour résoudre de façon quasi magique l’ensemble des problèmes du continent noir. Tout au plus, il se présente en une caricature que le politicologue Max Liniger-Goumaz désigne par le néologisme « démocrature », c’est-à-dire « la dictature déguisée en démocratie, une alchimie subtile de démocratie et de dictature, une sorte d’habillement institutionnel recouvrant les réelles méthodes et pratique d’un régime dictatorial ».
Tous les peuples se sont donnés des mythes par lesquels ils ont connu l’enchantement et le désenchantement. Pour l’Occident le mythe de Prométhée, et pour l’Asie le mythe de Confucius, s’inscrit dans ce chapitre. Quant à l’Afrique, elle s’est partiellement enchantée et totalement désenchantée par la mythologie occidentale. C’est peut-être en faisant une rupture radicale (qui n’est pas sans rappeler la notion psychanalytique freudienne du meurtre du père (l’Occident), et en recherchant dans le tréfonds de leurs propres cultures, que les Africains trouveront les mythes fondateurs authentiques par lesquels ils enchanteraient et désenchanteraient leur renaissance. Une saine utopie à réaliser !
Yao Assogba
Sociologue
Professeur émérite
Université du Québec en Outaouais (UQO)
Canada
● 28 octobre 2020 ●