Cette victoire, remportée le 7 novembre dernier avec 52,5% des voix contre 47,5% à Cellou Dalein Diallo est l’aboutissement d’un demi-siècle de combat obstiné, d’abord contre le «Père» de l’indépendance viré despote, Sékou Touré, puis contre son successeur, l’autocrate corrompu Lansana Conté. Cinq décennies semées d’épreuves: Alpha Condé a connu l’exil, vécu pour large part en France des années 1960 au début des années 1990; il a été condamné à mort par contumace en 1970 par Sekou Touré; et il a enduré la prison deux ans et demi sous Lansana Conté.
Musulman pratiquant, à l’hygiène de vie réputée irréprochable, le futur président guinéen «a un très fort tempérament, il a toujours été sûr de son destin et su ou il allait. Il était convaincu qu’un jour ou l’autre, les urnes le porterait au pouvoir», relate le juriste Albert Bourgi, fin connaisseur de la politique africaine et ami d’Alpha Condé. Mais sa quête n’a jamais été «le pouvoir pour le pouvoir», ajoute Jean Bothorel, auteur d’un récent livre d’entretiens avec Alpha Condé (Un Africain engagé, Éditions Jean Picollec). Un Africain, qui est tout sauf «complexé», souligne l’écrivain. Bachelier en France, au crépuscule des années 1950, diplômé d’économie, de droit et de sociologie, Alpha Condé a enseigné à la Sorbonne. «Ce «petit Mandela» possède un bagage intellectuel que partagent peu de ses compatriotes, i[poursuit Jean Bothorel. Ce qui lui confère un certain orgueil et de l’autorité. Il parle de lui comme du professeur Alpha Condé, à la troisième personne]i.»
Fier d’un parcours tout entier voué à la politique, ce panafricaniste qui fut autrefois pénétré de marxisme n’en nourrit pas moins une «volonté sincère de démocratiser la Guinée», affirme Jean Bothorel. «i[Je n’aime pas ce regard que l’on porte sur l’Afrique qui mêle insidieusement paternalisme, mépris et ignorance […]. C’est ma conviction. La Guinée peut demain accéder à la démocratie si ses dirigeants ont la volonté d’en appliquer les règles]i», assène Alpha Condé, dans son livre d’entretiens. Pour s’être refusé à la moindre compromission, et n’avoir jamais cédé à la tentation de rallier un gouvernement d’alliance, il est perçu comme un incorruptible dans un pays rongé de longue date par ses élites parasites.
«Il hérite d’une Guinée en ruine, alors qu’elle pourrait être l’un des pays les plus riche d’Afrique, lâche Albert Bourgi. Elle a été laissée en jachère par une armée de prédateurs. En Guinée, tout est à faire.» Sa devise tiendra en trois mots: «volonté, imagination et dignité», affirme lui-même Alpha Condé. Très bien introduit dans les milieux internationaux, il «ne fait pas un rêve éveillé, assure Jean Bothorel. Il a une vision saine et pragmatique» de la manière dont il entend relever les défis.
Procéder par étapes d’abord. Soit, à très court terme, œuvrer à l’amélioration des conditions de vie de la plupart des Guinéens, qui livrent chaque jour bataille pour leur survie. Il lui faut aussi réformer l’armée et les administrations clés (budget, santé, éducation et justice), remettre de l’ordre dans le secteur névralgique des mines, puis promouvoir une politique de développement agricole. Pour s’atteler à la tâche, Alpha Condé s’est engagé à mettre sur pied un gouvernement d’union nationale. La semaine passée, il appelait le candidat défait à la «concorde». «Il n’y arrivera pas sans un appui populaire le plus large possible», affirme Albert Bourgi.
Pour l’heure, Cellou Dalein Diallo a rejeté cette main tendue. Il accuse Alpha Condé d’avoir «provoqué» les violences ethniques qui auraient coûté une dizaine de vies la semaine passée. C’est peut-être l’ombre la plus noire au tableau: issu de l’ethnie malinké, alors que son opposant est Peul, Alpha Condé n’a pas hésité à tirer sur la corde ethnique durant la campagne. «C’était la première vraie campagne en Guinée, elle a été longue et il y a eu des dérapages, i[admet Albert Bourgi. Mais Alpha Condé n’instaurera jamais un pouvoir ethniciste. Ce serait contraire à son engagement]i.»/////////Angélique Mounier-Kuhn
Secteur minier: Un potentiel considérable
Le président élu, Alpha Condé, promet de réformer le secteur, en qui il voit «le poumon de l’économie guinéenne». Jusque-là, le peuple guinéen n’en a jamais tiré profit.
Certains ont parlé du «coffre-fort guinéen», beaucoup ont dénoncé un «scandale géologique». Ce dernier tient à un paradoxe. Les sous-sols de la Guinée recèlent en quantité astronomique deux minerais clés: le fer, nécessaire à la production d’acier, et plus encore la bauxite, produit de base pour l’industrie de l’aluminium – deux tiers des réserves mondiales en comptant les tonnes prouvées et probables.
Le pays est aussi généreusement pourvu en diamants, en uranium, vraisemblablement en cuivre, en cobalt, ainsi qu’en gaz et en pétrole. Malgré cette diversité inouïe, la Guinée persiste en queue du classement de l’indice de développement humain (IDH) des Nations unies (156e rang sur 169 en 2010). Sous le règne interminable de Lansana Conté (1984-2008), les conditions de vie de ses 10 millions d’habitants se sont même détériorées, alors que la contribution du secteur minier aux recettes budgétaires s’effondrait de 73,7% en 1986, à 18,3% en 2004, selon le FMI. Dans son livre d’entretiens avec Jean Bothorel, le président élu, Alpha Condé, dresse lui-même un constat effarant: «i[La proportion de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté est passée de 49% en 2002 à 55% […]. En dix ans, l’immense majorité des Guinéens est passée de deux à un repas par jour, si ce n’est à un repas tous les deux jours]i!»
Alpha Condé a promis de réformer le secteur, ce «poumon de l’économie guinéenne». Déjà deuxième exportateur mondial de bauxite après l’Australie, le pays peut, s’il arrive à exporter ses réserves prouvées en fer, rivaliser avec le Brésil. «Tout le problème est de passer de l’état de potentiel à la réalisation, la création d’emploi et la redistribution», résume Michel Billard de la Motte, conseiller en économie minière.
Les défis à relever sont colossaux, à commencer par le déficit en infrastructures. Tout manque: routes, rails, ports en eaux profondes pour accueillir les navires d’exportation. L’énergie aussi fait défaut, en dépit d’un potentiel hydroélectrique très prometteur. «Le deuxième problème est l’absence d’interlocuteur unique au niveau de l’État pour les groupes miniers», poursuit le spécialiste. L’instabilité politique, et les doutes corollaires qu’elle engendrait sur la pérennité des contrats, constituait jusque-là un troisième obstacle. Si Alpha Condé parvient à lever cette hypothèque, ce sont 25 milliards de dollars de contrats déjà signés mais en suspens qui pourraient être exécutés, assure Michel Billard de la Motte.