Profil
Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Le texte qui suit est une observation intéressante de notre ami Tchakie Thomas Sékpona-Médjago, Ph.D. Le texte est intéressant et raisonné, voire instructif et académique. Il l’est jusqu’au dernier paragraphe qui parle du Togo; un paragraphe dans lequel l’émotivité sous-jacente a fini par prendre le dessus sur le raisonné. Pourquoi? Autant l’on peut expliquer les réticences de Socrate à s’évader sous les conseils de son ami Criton, autant sommes-nous en mesure d’expliquer pourquoi il était devenu nécessaire, en son temps, de mettre fin à la tragédie des ex-yougoslaves soumis à la folie de Slobodan Milosevic. Et aujourd’hui, il est tout à fait justifié et justifiable de botter dehors cet impétueux de Laurent Gbagbo qui autrement continuerait à narguer le monde entier; autant avec toute la lucidité, nous devons être capables de savoir pourquoi la quête du changement politique n’a jamais porté ses fruits au Togo. Ne pas le savoir est une insuffisance majeure. À l’analyse, les raisons sautent aux yeux; avec la même rigueur, il est donc possible d’énumérer les causes de l’insuccès togolais qui sont loin de relever des autres qui font juste bataille aujourd’hui à nos portes, à Abidjan. Pour n’avoir pas osé en explorer aucune piste, le texte de Tchakie mérite une bonne lecture et nos félicitations, jusqu’avant son dernier paragraphe… à retravailler, à approfondir pour éduquer les actions futures de l’art politique au Togo. Lisez, lisez Tchakie, sans sa lie non bénie… Il y réfléchit encore.


La tragi-comédie n'a que trop duré
La tragi-comédie n'a que trop duré



Socrate était jeté en prison à la suite d’un procès politique inique et odieux. Pendant qu’il passait ses derniers jours dans la geôle de la démocratie en attendant la mort, un de ses amis, Criton, était allé le voir pour lui proposer de s’en évader. Fidèle aux lois de la cité- des lois qui ne sont même pas justes-, et à coups d’arguments robustes, Socrate décline l’offre de son ami en lui disant qu’il vaut mieux subir l’injustice que la commettre et qu’il ne faut pas faire «le mal pour le mal», ni «rendre l’injustice par l’injustice» en s’évadant de la prison.

Nous lisons également dans la Bible où il nous est dit d’aimer tout le monde, sans exception, même nos ennemis. Ces leçons de morale, il faut se l’avouer, sont parfois extrêmement difficiles à pratiquer dans certaines circonstances, même pour les croyants. Il faut avoir une grandeur d’âme de Socrate ou de Gandhi pour s’astreindre à un tel rigorisme.

Je pense plutôt comme Machiavel que dans certaines circonstances le mal est une nécessité. C’est ce qu’il appelle le «moindre mal» par rapport au grand mal, au mal radical, au tsunami qui vient au galop, impétueux et imperturbable. Le moindre mal n’est pas la violence aveugle, féroce, mais il apparaît plutôt comme le juste milieu, c’est-à-dire ce qui convient à la situation actuelle, un mal donc proportionné. Le mal dans ce cas est un certain bien. Ainsi en est-il des guerres justes, même si toute guerre, aussi juste soit-elle, finit toujours par verser dans l’injustice comme le dit si bien le philosophe américain Michael Walzer : «Dans l’enfer de la guerre, tout n’est pas égal. Blocus, Bombardements de civils, représailles, dommages collatéraux traversent tous les conflits. Mais la guerre juste existe, qui peut à chaque instant basculer dans l’injustice. Déterminer l’inacceptable comme l’inévitable est un jugement auquel nul ne peut se dérober.» (Michael Walzer, Guerres justes et injustes).

On trouve également dans la Bible, et notamment dans l’Ancien Testament, des exemples de guerres justes, dont Saint Augustin d’Hippone s’inspirera pour élaborer sa théorie. Répétons que la guerre, fût-elle juste, est toujours source d’affliction, de douleur pour le sage; elle est la misère. Ce qui fonde, justifie et motive la guerre juste, c’est la défense sans condition de la justice.


L’histoire récente de l’humanité connaît des guerres justes. Je pense aux frappes aériennes de l’OTAN contre la République fédérale Yougoslave (RFY) le 24 mars 1999. Ce qui obligea Slobodan Milosevic, alors président, à signer l’engagement à retirer ses troupes du terrain. Il sera traduit plus tard devant le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à la Haye et accusé de « crimes de guerres, crimes contre l’humanité et génocide». Il a laissé sa vie en prison. Je pense également à l’intervention de l’Union africaine le 24 mars 2008 pour bouter dehors le Colonel président, Mohamed Bacar, frauduleusement élu, et qui narguait la communauté africaine et internationale comme aujourd’hui Laurent Gbagbo qui dans son intransigeance absolue mais à courte vue et irrationnelle plonge la Côte d’Ivoire dans un chaos indescriptible, où les Ivoiriens souffrent et sont exposés à des actes inhumains, subissent toutes sortes de brimades, d’exactions et meurent, alors que lui-même et sa femme Simone sont bien protégés. Pendant combien de jours les sbires, les stipendiés et les gangs de rue qui se battent pour eux peuvent-ils tenir tête à ce feu nourri, à cette guerre sur laquelle pèse de son poids la France, et appuyée discrètement mais sans réserve aucune par le Nigéria et le Burkina-Faso?... Les Ivoiriens meurent inutilement pour que vivent Gbagbo et sa famille. Ainsi va la politique et c’est inacceptable pour la conscience humaine!


Maintenant posons la question de savoir si la guerre qui se passe actuellement en Libye est une guerre juste. En effet, ce 19 mars 2011, les Occidentaux dirigent une opération coalisée appelée «Aube de l’Odyssée» contre le très flamboyant Colonel président à vie, qui dans une folie meurtrière dégaine ses arsenaux de guerre (des armes lourdes, des chars, des avions de guerre) contre son propre peuple.


Rappelons, et ce n’est un secret pour personne, que Kadhafi est un terroriste impliqué dans plusieurs attentats dont ceux de Lockerbie le 21 décembre 1988 et du vol 772 UTA le 19 septembre 1989. Ces attentats ont coûté la vie à 440 personnes, dont 196 Américains et 57 Français. Dans son pays, toutes les contestations sont étouffées dans le sang; les opposants bâillonnés, brutalisés, assassinés sans autre forme de procès. Devant cette horreur et cette terreur inqualifiable, qui peut alors avoir aujourd’hui de la compassion pour Kadhafi? Qui peut avoir pitié de lui ? Vraiment qui prendre fait et cause pour ce personnage fulminant et fumeux qui a trop de sang sur ses mains? Personne ne peut regretter qu’on fasse aujourd’hui un sort à Kadhafi parce que les actions qu’il pose sont immorales et impardonnables.


Il y a des guerres justes. Ce qui se passe actuellement en Libye est une guerre juste. C’est un devoir d’ingérence à titre humanitaire pour sauver un peuple au désarroi, absolument las de 40 ans de règne sans partage. Les Libyens ne demandent rien d’autre qu’à vivre autrement, qu’à être dirigés autrement par d’autres personnes. Il y a, et tout le monde le sait, un contrat qui lie toujours un peuple à son dirigeant. À partir du moment où ce dernier retourne contre son peuple les armes qu’il a achetées à la sueur de son front, eh bien, le contrat qui est le ciment de leur entente est définitivement rompu. Et du coup, ce dirigeant devient illégitime. Et c’est cette illégitimité qui commande l’intervention à titre humanitaire.


Le dirigeant qui a le sens de l’honneur et de la dignité humaine doit accéder à cette légitime demande du peuple et s’effacer avec humilité. User de subterfuges en tentant d’étouffer de façon sanglante la légitime aspiration du peuple, c’est commettre un acte odieux et barbare qui mérite d’être condamnée et pourfendue avec vigueur. Lorsqu’on massacre son propre peuple, il est normal que nécessité fasse loi. Il faut faire parfois de «l’inacceptable l’inévitable» pour sauver des vies humaines. C’est ce que font les Occidentaux à la place de l’OUA, ce syndicat de dictateurs africains, qui montre encore à suffisance ses limites. Les forces coalisées font de nécessité vertu.

Certes, ce qui se passe dans ce pays ces jours-ci, est une cruauté, mais bien une cruauté bénie. La façon d’intervenir peut sans doute ne pas plaire, mais l’intention qui sous-tend l’action est absolument bonne : prendre la défense d’un peuple assujetti et vassalisé par 40 ans de règne abject, jonché de crimes crapuleux et de cadavres. Seule l’intention ou la bonne volonté, dit Kant, confère à une action sa moralité. Et donc cette guerre contre Kadhafi est une guerre juste. C’est un devoir et le devoir est une obligation morale; c’est ce qu’il convient de faire «suite à un commandement, à une loi, à une obligation.» Dès que le devoir s’impose, on ne peut pas ne pas l’accomplir. C’est un impératif catégorique qui commande sans appel : «fais ce que dois.» Ce que font les Occidentaux présentement en Libye n’a rien à voir avec les sentiments ni avec les intérêts. La maxime, l’intention qui sous-tend leur action est bonne inconditionnellement.

De la sorte, lorsque je lis sur certains sites des réflexions dans lesquelles on tente de clouer au pilori le président Obama en mettant devant son titre de prix Nobel de la paix, j’ai la désagréable impression que nous faisons diversion aux lecteurs. Nous devons être objectifs dans nos prises de position pour ne pas céder à la complaisance et défendre l’indéfendable au nom de, Dieu sait, quel panafricanisme. Est-ce ce panafricanisme que nous voulons? Le panafricanisme dont nous avons besoin doit avoir des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, une tête pour bien réfléchir. Ce panafricanisme dont on ne cesse de nous rebattre les oreilles s’apparente par trop à un m’as-tu-vu. Je ne vois personnellement pas ce qu’Obama peut faire devant une telle situation. Qu’il laisse Kadhafi encore une fois écraser les Libyens faibles et impuissants? La critique est trop aisée, c’est l’art qui est difficile. Lorsqu’on est en dehors des rênes du pouvoir, on pense qu’on peut faire mieux. La réalité du pouvoir est toute autre chose. Être toujours taupe envers soi-même et lynx envers les autres est un vice. Cultivons un tant soit peu aussi les vertus en disant les choses objectivement et de façon acceptable.

La légitime question que je suis maintenant en droit de poser est ceci : pourquoi ce qui vaut pour la Libye ne vaut pas pour les autres pays du continent? Pourquoi n’y a-t-il pas cette ingérence à titre humanitaire au Togo, un pays dont le peuple se bat contre une dictature sans nom depuis 1990, et où il y a des violences innommables, des violations massives des droits de l’homme? Il y a alors deux poids, deux mesures pour le même continent. C’est là ce qui est inacceptable et injuste. C’est vrai que nous assistons depuis quelques temps à un délitement des parties politiques, au turnover des leaders politiques dans l’entreprise des Gnassingbé, à leur haine les uns pour les autres et à leur profonde dissension, mais cela ne semble pas suffire pour qu’on nous abandonne à notre triste sort. C’est injuste d’autant que le pouvoir togolais très apeuré par la révolution qui se passe dans le monde arabe est devenu plus brutal, chatouilleux et paranoïaque. Les Togolais vivent aujourd’hui dans un État d’urgence qui se refuse à dire son nom. ////////// Tchakie Thomas Sékpona-Médjago, Ph.D.