Lorsque l’ami Régis Debray est allé le trouver à l’hôpital, il lui a dit: «Alors, les framboises et les brocolis, ça ne suffit pas?»
David Servan-Schreiber (D2S) fait une rechute et il sait qu’en l’apprenant, ses lecteurs vont se poser, avec plus ou moins de bienveillance, la même question. Sorti en 2007, Anticancer s’est vendu à deux millions d’exemplaires. Son auteur a incarné, aux yeux du public, la preuve de l’efficacité de ses préceptes: après l’ablation d’une première tumeur au cerveau, n’a-t-il pas lui-même tenu le crabe en respect pendant dix-huit ans?
Au printemps dernier, l’homme à l’œil clair sillonnait encore la planète, de conférence en plateau TV, pour répéter que non, nous ne sommes pas impuissants devant la maladie, nous pouvons «maximiser nos défenses naturelles» en mangeant mieux, en faisant de l’exercice, en méditant. «D2S», à la fois médecin et malade en rémission, scientifique et grand communicateur, a su trouver le ton pour parler de l’importance du «terrain» dans la maladie. Il a donné un visage à la pensée positive et un corps à l’écologie humaine.
Depuis un an, il est rattrapé par le mal. Glioblastome de stade IV, le pronostic est sans appel. Et que fait David Servan-Schreiber? Il écrit – avec de l’aide car la fatigue et la paralysie le gagnent – un nouveau livre. Pour dire à ses lecteurs qu’ils ne doivent se sentir ni trahis ni abandonnés. Et qu’«Anticancer n’a rien perdu de sa validité». «David s’est toujours senti responsable de l’immense espoir qu’il a suscité», commente Franklin, l’un de ses trois frères, qui vit en Suisse. Depuis la sortie de « On peut se dire au revoir plusieurs fois », la fratrie, comme un seul homme, assure les interviews avec la presse.
Mais ce petit livre est peut-être avant tout celui où le psychiatre français prend congé. À sa manière: vaillante, limpide, engagée. Oscillant entre le «je» et le «il faut», entre témoignage et prescription.
«Je» observe sa peur, la décrit sous toutes les coutures: la nuit, elle prend le visage des loups-garous de ses hantises enfantines, le jour, elle se pimente «d’une sorte d’excitation». «Je» avoue que, dopé à la pensée positive, il avait fini par se sentir «quasi invulnérable». «Je» dit que «réussir sa mort» est devenu, pour lui, «une épreuve vitale» et «une source d’espoir». En fils loyal du grand Jean-Jacques, ce père «d’une hardiesse folle», il dit aussi en quoi consiste cet espoir: ne pas trembler au seuil de la mort, transmettre à ses enfants l’énergie du courage.
«Il faut» traduit son expérience en conseils redoutablement simples et utiles. «Ce n’est pas si difficile de parler à quelqu’un qui se bat contre la maladie», allez-y sans tergiverser, en écoutant votre cœur, dit aux proches ce clinicien qui a l’expérience des malades en phase terminale. Et aux malades eux-mêmes: parlez avec votre conjoint de l’avenir des enfants. C’est «bouleversant» mais «profondément rassurant». Faites votre testament, aussi, c’est utile et bénéfique. Et cet homme si réticent à l’idée de ne pas être «maître à bord», de confier: vous verrez, rédiger ses dernières volontés est un exercice «jubilatoire». Cela confère un sentiment à la fois de «générosité» et de «maîtrise totale».
Au ras des pâquerettes médicales, la rechute de «D2S» parle cru: l’«anticancer attitude» a échoué à lui assurer cette maîtrise totale de la tumeur à laquelle il s’était pris à croire. En fait, dit-il aujourd’hui, je n’ai pas suivi mes propres conseils: j’ai cru qu’un bon régime alimentaire m’autorisait à mener une vie de fou. «Ce qui l’a piégé, confirme son frère Franklin, c’est son succès américain», et les voyages incessants qu’il a suscités.
Au bout du compte, chacun trouvera dans la trajectoire de David Servan-Schreiber de quoi camper sur ses positions: les uns noteront que le crabe a fini par prendre le dessus. Les autres argueront que les préceptes «anticancer» lui ont permis de résister dix-huit ans. Une rémission exceptionnelle? Des spécialistes regrettent que «D2S» n’ait pas été assez précis sur son diagnostic initial pour permettre de trancher.
«Le fait est que sa survie ne prouve pas l’efficacité des méthodes qu’il prône, tout comme sa rechute ne prouve pas leur inefficacité», résume Matti Aapro, oncologue à la clinique Genolier à Genève.
Son confrère Pierre-Yves Dietrich a rencontré David Servan-Schreiber à l’occasion de l’une de ses conférences à Genève. Il se dit «séduit» par la première partie d’Anticancer et par la pertinence de ses observations sur nos modes de vie. Plus réticent, d’un point de vue scientifique, face à des «il est prouvé que» basés sur des liens de causalité pas assez clairement établis.
Mais ce qui frappe le professeur genevois, c’est surtout la difficulté que représente, pour certains patients, le fait d’adopter l’alimentation et le mode de vie conseillés par David Servan-Schreiber: «Lorsqu’il est venu à Genève, un patient sur deux me parlait de son livre, raconte l’oncologue. Certains vivaient très positivement ses encouragements à se prendre en main et ses conseils diététiques. Quand vous aimez, comme lui, le poisson et le sport, tout va bien. Mais si vous préférez le steak et qu’il vous reste quelques années à vivre, est-ce vraiment la peine de s’imposer une telle contrainte?»
D’une certaine manière, l’auteur d’Anticancer répond dans son dernier livre: la priorité numéro un quand on est malade c’est de trouver «un équilibre de vie qui réduise au maximum les sources de stress». Entouré des siens, «D2S» le cherche activement. En continuant d’espérer, comme son public, qu’il va lui permettre de dire au revoir encore plusieurs fois.