– La personnalité de Jean Paul II présente plusieurs zones d’ombre. Il a couvert des scandales sexuels, notamment les abus commis par le Père Marcial Maciel, le fondateur des Légionnaires du Christ, sur des séminaristes et sur ses propres enfants. Tout indique que Jean Paul II était au courant et qu’il a freiné l’instruction du dossier.
Jean Paul II n’était pas un ange, et il ne s’est jamais considéré comme tel. Il a au contraire honoré son humanité avec les parts d’ombre et de lumière qui sont en tout homme. Mais sa démarche allait vers la lumière. Concernant l’affaire Maciel, Jean Paul II semblait effectivement être au courant puisque l’un des fils naturels du Père Maciel l’avait alerté personnellement. Mais le pape avait fait des Légionnaires du Christ son cheval de bataille parce qu’ils travaillaient à la reconquête chrétienne qu’il souhaitait. C’est là qu’apparaît la part stratégique et politique de Jean Paul II. Il a sans doute estimé qu’il valait mieux taire les crimes de Maciel pour éviter à l’Église de perdre sa crédibilité. Jean Paul II était un guerrier de Dieu, il avait une volonté militante et épique. Les problèmes du Père Maciel étaient secondaires par rapport aux défis planétaires qui l’occupaient: il voulait réunir les deux Europes, occidentale et orientale, et étendre le catholicisme au monde entier.
– Il a aussi entretenu des liens avec des dictateurs et réduit au silence des théologiens de valeur.
Il faut voir d’où vient Jean Paul II. D’une Pologne ultra-catholique, où la pratique religieuse serait semblable aujourd’hui à celles d’intégrismes. Il a vécu toute sa jeunesse dans un contexte religieux très sévère, où l’Évangile était pris à la lettre. Il a toujours pratiqué un catholicisme de combat, militant et conquérant, qu’il a fortifié dans sa lutte contre le communisme. Jean Paul II était un diplomate, il était obligé de traiter avec des dictateurs. Il savait bien que certains chefs d’État d’Amérique latine étaient des voyous, des escrocs et des assassins. La théologie de la libération n’était pas dans le droit fil de sa pensée. Selon lui, elle représentait un danger. Il a fait des choix qui sont peut-être contestables. Sa formation et son éducation l’ont poussé à régler les problèmes qui se présentaient d’une certaine manière.
– Les zones d’ombre de Jean Paul II sont tout de même assez prononcées. Comment peut-on le considérer comme un saint?
Ce qui ressort de ce pontificat, c’est qu’il a rendu les catholiques fiers de leur religion. Jean Paul II a été un modèle immense, il a régénéré le peuple catholique. Et tous les saints ont leur part d’ombre. Le fait d’être saint ne signifie pas être un homme parfait. Un saint n’est pas non plus un être divin. Il est saint parce qu’il est homme. Jean Paul II a toujours tenté d’avancer vers la vérité. Il l’a fait avec puissance, ardeur et violence. On ne demandera pas à un saint d’être un ange. C’est peut-être une dimension moderne de la sainteté: l’imperfection des hommes. Il faut toutefois préciser que Jean Paul II n’est pas encore saint, il est bienheureux. Le fait de le proclamer bienheureux n’engage pas l’infaillibilité papale. Celle-ci sera engagée lors de la canonisation.///////Propos recueillis par Patricia Briel, Le Temps.