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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Il est un gourou instantané : un Malcom X avec une foi d’un Martin Luther King Jr. Il a grandi dans des rues étranges. Il pose devant les grilles de la Maison Blanche. Mais qui est Kendrick Lamar? Le rappeur californien n’a pas 30 ans. Il vient de rafler, avec cinq trophées et une performance impérieuse, la cérémonie des Grammy Awards. Il témoigne des métamorphoses de la scène culturelle afro-américaine. Barack Obama lui-même ne peut que constater les dégâts. Le tout petit poing levé de Beyoncé, à la mi-temps, du Super-Bowl 2016 ou encore le mouvement Black Lives Matter? Vous n’avez rien vu encore d'un engagement social aussi incandescent.


On croyait avoir tout vu...
On croyait avoir tout vu...
À cet instant précis, à l’instant où Kendrick Lamar s’avance enchaîné, en tenue de forçat, sur la scène californienne des Grammy Awards, on songe à tous ces Américains qui ont lancé des pétitions pour fustiger le petit poing levé de Beyoncé lors de la finale de football; ils croyaient avoir tout vu de ce retour de flamme politique dans la pop culture noire américaine. Et Kendrick débarque en file indienne, de bagne sudiste, il mêle deux de ses chansons, «The Blacker the Berry» et «Alright», dans un opéra jazz où l’Amérique pénitentiaire laisse la place à une Afrique passée par le filtre de Mardi Gras, de la Louisiane. Les rares plans sur l’assemblée ne révèlent qu’une chose: la sidération.

L’histoire des Grammys, ce sabbat hollywoodien qui s’obstine à danser sur les cendres de l’industrie musicale, est marquée par des performances péremptoires. Celle de Michael Jackson, lorsqu’il déjoue «Billie Jean» en 1984, et qu’il devient d’un pas inversé le King of Pop. Il s’agissait alors déjà de couleur de peau: ne pas rester le King of R&B, ne pas se contenter de son monde, défoncer les frontières raciales.

30 ans plus tard, on pourrait croire que tout a changé. C’est pire en réalité. Qu’un artiste né en 1987 dans la banlieue intérieure de Compton, en revienne aux formes les plus incandescentes de critique sociale, qu’il parle dans son morceau de meurtres d’Afro-Américains et qu’il finisse son show par une carte de l’Afrique où le nom de Compton est imprimé, tout cela pue la défaite de la société post-raciale.

Beyoncé
Beyoncé
Une pose devant les grilles de la Maison Blanche

Sur la pochette de son troisième album sorti il y a quelques mois, «To Pimp A Butterfly» dont le titre raille celui du roman «To Kill A Mockinbird» de Harper Lee, Kendrick Lamar pose avec sa bande devant les grilles de la Maison Blanche. Mardi matin, après la victoire triomphale du rappeur aux Grammys, le compte Twitter de la présidence américaine bénissait Kendrick Lamar et «tous ces artistes qui œuvrent à un futur meilleur».

«Shoutout to @KendrickLamar and all the artists at the #Grammys working to build a brighter future. #MyBrothersKeeper https://t.co/XM0KwV3jNB»
— The White House (@WhiteHouse) 16 Février 2016

Clin d’œil à un artiste qui a déjà eu les honneurs des salons washingtoniens et que Barack Obama n’omet jamais de glisser dans ses playlists. Le président ne peut en réalité que constater l’ampleur des dégâts. Kendrick a donné son hymne aux émeutes de Ferguson, il traite dans une poétique de champ de bataille les dérives policières, les ghettos dont on ne s’extrait pas. Chrétien radical, il est Malcolm X avec la foi de Martin Luther King.

Une poétique de champ de bataille sociale...
Une poétique de champ de bataille sociale...
Il a grandi dans des rues étranges

Kendrick Lamar est apparu sans qu’on s’en aperçoive. Ses parents chicagoans lui ont donné le 17 juin 1987 le nom d’un chanteur de soul, Eddie Kendricks. Il a grandi dans ces rues étranges, faussement résidentielles, implacablement ségréguées, de Los Angeles. Dans le film «Straight Outta Compton», qui chante la mémoire vive du groupe de rap N.W.A. et de son maître d’œuvre, le producteur Dr. Dre, on relit la naissance du gangsta rap, l’invention d’une contre-culture par le flingue brandi, les voitures lustrées et le verbe tellurique. En quelques morceaux, grâce notamment à son association avec Dr. Dre, Kendrick s’impose. Son premier album, «Section.80» en 2011, puis «Good Kid, M.A.A.D City», fomentent un hip-hop qui puise à toutes les sources, dont la conscience historique rivalise avec la vitalité mélomane. Lamar est un gourou instantané.

Lors de la cérémonie des Grammys, il est monté sur scène. Ice Cube lui remettait l’un des cinq bidules dorés qu’il emporterait. Kendrick Lamar a rendu hommage aux prédécesseurs, à Snoop Dogg, à Nas, à ces artisans du rap qui n’ont jamais obtenu ces trophées.

Le petit bonhomme au calme patriarcal s’inscrit dans une histoire du hip-hop. Son album «To Pimp A Butterfly» récupère la voix de 2Pac dont il avait assisté, adolescent, au tournage d’un clip. Il va chercher plus loin: le héros funk George Clinton fait partie du casting, Snoop Dogg, Pharrell Williams, mais aussi le DJ Flying Lotus, le chanteur Bilal et le pianiste Robert Glasper. Kendrick coagule autour de lui les révolutions silencieuses du hip-hop, cette orgie esthète dans laquelle le jazz, la soul, le rock, sont les outils d’une désincarcération. Au moment où l’Amérique assigne à résidence ses communautés, où elle joue clan contre clan, Kendrick Lamar explose les barrières.

Gangsta Rap, l’invention d’une contre-culture
Aux sources de l’ouragan Lamar

Pas un hasard si D’Angelo obtient lui aussi deux récompenses aux Grammys avec son album «Black Messiah»; il a été, avec son album «Voodoo» en 2000, une des causes les plus évidentes de l’ouragan Lamar. Lui aussi mêle un discours profondément politique à un colossal brouillage des genres musicaux. Le hip-hop est une bibliothèque universelle, son salut passe par la conquête. Alors, on pourrait voir les choses avec optimisme. Kendrick Lamar a terrassé la concurrence. Il produit sur la scène la plus conformiste du monde un spectacle où les vers révolutionnaires d’Amiri Baraka croisent le feu avec le saxophone d’Ornette Coleman, avec les tambourineurs de Congo Square à La Nouvelle-Orléans, avec les basses érotiques de Sly Stone. Il n’a pas 30 ans et il parvient à raconter en cinq minutes à peine quatre siècles de présence noire sur le continent américain.

Mais Kendrick Lamar abandonne les Grammy les plus importants à Taylor Swift (album de l’année), ou à Ed Sheeran (chanson de l’année). Hormis le clip, il n’obtient des statuettes que pour les catégories qui ont été définies pour sa communauté. Il n’est, pour cette assemblée, qu’un rappeur. Mais, filmé en très gros plan par trois caméras, dans un déluge stroboscopique, il finit son medley sur un monologue foudroyant. A cet instant précis, il est déchaîné.

Mot à Maux


Rédigé par psa le 17/02/2016 à 00:00



Retour vers le futur? Ici, réellement, le futur s’entremêle et se nourrit de son passé; et cela change tout à l’étrange présent. Il est clair que le président François Hollande frôlera la catastrophe de l’humiliation à l’allure actuelle, si rien n’est fait en termes d’incarnation de l’action gouvernementale, c’est-à-dire le renversement de la courbe politique de la crédibilité elle-même, plutôt que du renversement de la courbe du chômage. Une éternité 2017? Pas si sûr!


Taubira et Hollande: respect et souvenirs
Taubira et Hollande: respect et souvenirs


Certes, ceci n’était pas de l’ambition de Christiane Taubira. Néanmoins, François Hollande aurait nommé une battante comme Christiane Taubira au poste de Premier Ministre, légitimement Première Ministre dans ce cas, que les choses ne seront pas aussi difficiles pour lui dans cette année préélectorale. Parce que les choses ne se présentent toujours pas bien pour François Hollande, qu’il faut en arriver à l’évidence que c’est plutôt d’un Premier Ministre politiquement combatif et fortement charismatique qu’il lui faut pour affronter le primordial prochain rendez-vous électoral. Manuel Valls n’a jamais fait recette véritablement. Or, politique rime avec charisme crédible, et de plus en plus.

Nous le savons. À moins d’une contrefaçon institutionnelle des statistiques, jamais la courbe du chômage ne sera à la renverse, en si peu de temps, comme baromètre des réussites de l’action gouvernementale. D’ailleurs, les chômeurs autant que les citoyens ont besoin d’une voix crédible, à défaut de travail ou d’un projet emballant, même tardif.

Après tout, ce sont les citoyens qui se transforment en « entrepreneurs autonomes » ou en « entrepreneurs salariés » qui créent la richesse génératrice d’emplois, c’est-à-dire d’autres « entrepreneurs autonomes » et « entrepreneurs salariés ». Tout est dans la créativité qui ne peut être ensemencée dans aucun pays si la confiance a déserté les lieux. C’est cela créer du travail aujourd’hui en France, pas dans un monde global désincarné, mais avec et pour des citoyens exigeants et légitimement incontrôlables qui, au-delà des attentats terroristes, affichent inlassablement : « Valls m’a tuer ».


Hollande n’avait pas besoin d’une copie de Sarkozy

Difficilement, Manuel Valls peut être considéré comme capable de porter des perspectives ambitieuses et adaptées à la France, et qu’il soulèverait l’enthousiasme citoyen qui reste le moteur de la croissance et de la créativité. Nous l’aurions déjà vu faire et le vent d’espoir aurait longtemps soufflé sur cette France depuis mars 2014.

À chaque occasion cruciale, il faut un apport différentiel à la politique. Trop souvent, cette plus-value vient du flair politique. Il est trop tard maintenant de vouloir ramener Christiane Taubira au gouvernement. Le problème est d’avoir succombé aux sirènes anti-citoyennes, in-enthousiastes et chimériques, dont la porte-flambeau immerge ostensiblement en Manuel Valls. La France, et surtout pas sa gauche officiellement au pouvoir, n’avait besoin d’une pâle reproduction de Nicolas Sarkozy aux côtés de François Hollande.

Et les choses tombent mal! Voici un Nicolas Sarkozy au comble de la démagogie politique qui confond allègrement le neutre paquet de cigarettes aux bouteilles de vin français qui font la distinction universelle du pays dont il a présidé aux destinées. Voilà une sortie cauchemardesque qui confirme d’ailleurs le caractère infructueux du retour de cette personnalité aux plus hautes fonctions républicaines. Jamais Alain Juppé ne ferait une telle sortie, profondeur et crédibilité obligent… Le temps et le Québec l’y ont aidé, et depuis il ne s’en cache plus, ne gardant « rien en réserve » désormais : « France, mon pays: Lettres d'un voyageur », « Je ne mangerai plus de cerises en hiver », etc.

Avatar de Nicolas Sarkozy s’il faut encore le dire, Manuel Valls pas plus qu’Emmanuel Macron d’ailleurs, tourbillonne davantage qu’il ne soit porteur de projets crédibles de reprise socio-économique pour cette France qui s’étale sous nos yeux. Toutes et tous fouettés par le départ de Christiane Taubira du gouvernement –et de la manière la plus digne, il nous est rappelé qu’il faut toujours habiter la politique, et non occuper l’espace politique de manière trop souvent ordinaire et vouloir amender une Constitution presque par opportunisme. Il s’agit bien de toujours faire de l’ordinaire un acte politique extraordinairement éthique, et ne nullement extraire des opportunités des attitudes revanchardes, intempestives et démesurées. Nous y sommes, malheureusement!

Si sosie politique de Christiane Taubira existe avec autant de charisme et de crédibilité –elle-même loyale à François Hollande pour accepter toute confusion supplémentaire, c’est le moment ou jamais de sortir cette doublure enchanteresse; particulièrement, après le refus de Nicolas Hulot de s’associer au gouvernement remanié. Il est véritablement temps de sortir la France de l’ordinaire… Prière de ne pas envoyer des fleurs.

Ad Valorem


Rédigé par psa le 04/02/2016 à 22:22



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