Vous n'avez jamais été un bon client pour la presse people, mais vous parlez tellement d'Isabelle qui semble tant peser sur vos décisions et sur vos indécisions...
J'en parle avec la retenue et la pudeur qui me caractérisent, mais avec une entière franchise. Depuis 20 ans, je vis une belle aventure amoureuse. Elle m'a sauvé dans la période tourmentée que j'ai traversée. J'ai appris à ses côtés à hiérarchiser mes malheurs et mes bonheurs et ce bonheur-là est tout en haut de la liste.
Au niveau sentimental, vous n'êtes pas comme Sarkozy...
Je ne lui jetterai pas cette pierre, car si, tout un pan de ma vie, j'ai été instable, j'ai la chance après de vivre un amour durable...
À vous lire, on a aussi le sentiment d'une carrière politique gâchée...
J'ai eu comme tout un chacun mon lot d'épreuves, d'échecs et de souffrances. Mais non, lorsque je regarde derrière, je n'ai pas à me plaindre.
N'était-ce pas de l'orgueil d'avoir mis en jeu le grand ministère de l'écologie contre une victoire aux législatives ?
C'était moins de l'orgueil qu'une exigence morale. La condamnation n'était pas effacée de ma cervelle. Je recherchais dans cette consultation une légitimité démocratique. Je ne l'ai pas eue, j'en ai tiré les conséquences.
Cette sentence « Vous avez trompé la confiance du peuple français » vous mine encore ?
Elle a été corrigée en appel où la cour écrit que je me suis consacré au service de l'État, sans aucun enrichissement personnel, et me reconnaît implicitement le rôle de bouc émissaire.
Mais je n'oublie pas que lorsque j'ai débarqué à New York, les services de sécurité de l'aéroport m'ont placé en isolement, comme un repris de justice !
Qu'un ancien Premier ministre évoque l'inhumanité de la justice, c'est à peine croyable...
C'est l'homme qui a dénoncé cette espèce de machine à broyer dont bien d'autres que moi pourraient porter témoignage. Je n'ai pas de rancoeur, mais qu'on me laisse au moins le droit de dire comment j'ai vécu cette période très éprouvante de ma vie.
Il y a des erreurs que vous ne commettriez plus ?
Le rythme des réformes engagées en 1995 : j'ai eu les yeux plus gros que le ventre. J'ai appris à mieux gérer le temps. J'aurais dû mettre aussi plus de vigilance dans la remise en ordre des affaires du RPR. Je n'aurais pas subi tout ce que j'ai subi.
A l'évidence, vous êtes aussi un gros gaffeur...
Je regrette surtout celle commise en 1996, lorsque j'ai déclaré à l'Assemblée nationale que l'entreprise Thompson, alors percluse de dettes, ne valait plus rien. Cette petite phrase à l'emporte-pièce dont j'ai le secret a blessé les femmes et les hommes salariés qui se sont sentis réduits eux-mêmes à plus grand chose.
Ce sont les responsabilités qui déshumanisent ou l'arrogance est-elle un bouclier pour ne pas se laisser atteindre humainement ?
Un peu des deux. À Matignon, on n'est pas coupé de la réalité. Elle remonte en permanence avec les députés qui vivent au milieu de leurs électeurs. Mais on est soumis à une telle pression au moment de prendre des décisions difficiles, parfois impopulaires, que la tension atteint des paroxysmes et, de temps en temps, ça pète.
Vous admettez donc avoir été parfois hautain et égocentrique ?
Sans doute, mais je n'arrive pas à m'expliquer l'image qu'on m'a collée. Jusqu'en 1995, j'avais plutôt bonne presse. Puis, j'ai été perçu comme un type froid, insensible, rigide. Alors oui, c'est peut-être une façon de me protéger car je suis en réalité hypersensible, et ce décalage entre ce que je pense être et ce que certains disent que je suis me désole. On me connaît beaucoup mieux à Bordeaux...
Vous avez souffert d'avoir longtemps été un mal-aimé de l'opinion ?
Tout homme politique veut être aimé et bien compris des autres. J'aime le contact, les effusions, la controverse. Je préfère l'agora à la solitude, même si j'aime la solitude à petites doses.
C'est de l'ingratitude, alors...
Plutôt de l'incompréhension. Qu'on ne m'aime pas, d'accord, mais pas à partir de choses fausses. J'ai déjà assez de défauts vrais comme ça...
Qui se souvient, par exemple, que c'est vous qui aviez baissé le plus les impôts ?
Pas grand monde. Aussi, vous imaginez le petit frisson de plaisir à la lecture du magazine L'expansion de novembre 2008 qui, en conclusion d'une étude comparative entre les cinq derniers Premiers ministres, me gratifiait d'un bilan fiscal flatteur...
Vous voyez bien que vous avez conservé un gros ego...
J'ai toujours aimé recevoir des compliments et Isabelle m'a fait comprendre combien cela pouvait faire plaisir que je puisse moi-même en donner. Alors, je fais des compliments. Bien sûr, il faut qu'ils soient sincères, et pas trop exagérés...
Ça a été dur de vous livrer ainsi corps et âme ?
Ce n'est pas dans mon tempérament, c'est vrai. Mais c'était le moment de sortir en quelque sorte de moi-même et de partager. J'ai plus de temps de liberté et plus de liberté de ton. C'est un peu thérapeutique aussi, et j'ai préféré la plume au divan.
Depuis, les gens vous regardent différemment ?
C'est encore trop frais pour le dire, mais les témoignages que j'ai reçus sont très positifs. Les gens me disent : On sent que vous parlez vrai. Il y a comme un retour de sincérité et ça me touche.
Nicolas Sarkozy a lu lui aussi le livre ?
Il l'a lu et m'a envoyé un petit mot.
Il dit quoi dedans ?
Ça reste dans le cadre de nos relations privées, mais c'était sympathique.
Quand vous parlez de lui, on vous sent à la fois admiratif et sceptique...
Vous avez bien résumé. J'admire son dynamisme, sa puissance de travail, sa capacité d'initiatives, tout ce que j'ai pu éprouver dans les années 88/93 lorsque nous animions côte à côte les états généraux de l'opposition. Mais nous n'avons pas la même formation, la même culture, le même style et ça crée forcément de l'incompréhension.
Vous pourriez retourner au gouvernement ou vous présenter à la Présidentielle ?
S'agissant du gouvernement, la décision appartient au chef de l'état. Mais ce serait très indécent de ma part de répondre à cette question.
Ce ne sont après tout que des hypothèses de carrière...
À la lumière de mon parcours, vous comprendrez que je sois réticent à construire des hypothèses de carrière.
Vous vous dites pourtant prêt à servir votre pays...
Et je le confirme, mais il y a mille et une façons de servir son pays. Par exemple, ambassadeur de l'Antarctique comme Rocard...
C'est tout ? Vous n'êtes plus le « meilleur d'entre nous » ?
L'ai-je seulement jamais été ? Je vous rappelle d'ailleurs la citation précise de Jacques Chirac : Il est probablement le meilleur d'entre nous. Vous voyez bien, lui-même n'était pas très sûr!
Jean-Marc Rafaelli, Monaco-Matin