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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Devoir d’Afrique : Démocratie
Aussi loin que proche de mon Afrique natale, le Canada. Hier, samedi, tout le pays était suspendu à la curiosité de l’élection du nouveau chef de l’opposition officielle à Ottawa. Le dénouement fut tardif, au quatrième tour, relativement tard, la tendance de la victoire du meneur sur les autres était pourtant forte. Mon député, celui sur qui mon choix s’est porté à Outremont aux deux dernières élections fédérales est désormais le chef du Nouveau parti démocratique (NPD). Thomas Mulcair, Maitre Tom Mulcair est désormais l’adversaire redoutable de Stephen Harper, premier ministre du Canada et déjà en fuite au Japon ou quelque part en Asie, dans une visite simulée, pour vivre de loin cette élection qui va lui fournir un vis-à-vis de poids au Parlement à Ottawa.

Puis ce fut le discours d’acceptation de Tom Mulcair. Un discours minable. Pas de remerciements à la chef intérimaire, pas de punch à quelques jours du budget fédéral canadien, un discours très ordinaire alors que la fenêtre d’opportunité sur tous les foyers canadiens, d’une rive à l’autre, lui était grandement ouverte pour semer déjà sa différence face à l’idéologie droitière qui sévit au Canada du gouvernement Harper. Seulement, Tom Mulcair a le temps de se remettre d’une si longue campagne électorale interne qui l’a mené à la tête de son parti, le NPD. Dans son rôle de chef de l’opposition officielle, il a tout le temps de se remettre et de réellement devenir le « pire cauchemar de Stephen Harper » comme il le disait lui-même. Dans une démocratie avancée, l’on peut avoir le temps, prendre du temps… Pas au Mali, pas au Sénégal, pas en Côte d’Ivoire, pas au Bénin, pas au Burkina, pas au Togo, pas en Guinée, pas en Afrique où de partout sur ce continent la démocratie devient pressante, à juste titre.

Pour le Sénégal, on s’entend presque : Abdoulaye Wade doit dégager démocratiquement. C’est notre clair souhait qui devrait se réaliser dans les heures prochaines de ce dimanche 25 mars 2012. Au Mali, la controverse va devoir nous occuper pour longtemps. À un mois des élections présidentielles, les militaires maliens ont cru devoir mettre fin à l’incompétence notoire du président Amadou Toumani Touré (ATT) qui mettait l’État et particulièrement l’armée en danger. Quand l’incompétence politique atteint un tel point, qui plus chez un ancien militaire comme ATT, le silence devrait-il être la règle au prétexte que le pouvoir devrait changer de main bientôt?

Manifestement, la réponse serait positive de partout : silence, pour que vive la démocratie, même la démocratie la plus boiteuse. C’est bien ce qui ressort de l’analyse des forces en présence. Le Mouvement populaire du 22 mars (MP22) dirigé par le parti Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance (SADI) qui appui les militaires rebelles en disant : OUI pour la démocratie, mais une démocratie rectifiée, redressée une fois que le coup d’arrêt est opéré; pour le MP22, la démocratie malienne doit vivre sans ATT, maintenant que les militaires s’y sont invités. De l’autre côté, les puristes du Front uni pour la restauration de la démocratie, un front de députés, de 38 partis et associations diverses qui adhèrent à un silence démocratique sans interférence; un silence aveugle qui veut ignorer l’intrusion des militaires en dénonçant le coup d'État et demande un retour à l'ordre constitutionnel avec ATT.

Ainsi donc, les uns et les autres sont des démocrates face au devoir de la démocratie africaine à l’échelle de leur pays, le Mali. Il est tout à fait difficile de soupçonner qui que ce soit de manquer de vigilance politique, sauf que le Mali doit avancer, l’incompétence et l’inaction en moins. Le devoir démocratique exige alors un devoir de dialogue pour établir un calendrier d’avancement et de retrait des militaires rebelles.

Les militaires ont beau se soumettre à l’autorité du pouvoir civil en démocratie, rien ne leur fait obligation de subir le déshonneur tel qu’ils en ont connu en janvier dernier dans l’assassinat des leurs par les rebelles touareg et l’inaction étonnante, voire le dénie du pouvoir démocratique d’ATT. Nous sommes véritablement au cœur d’une particulière péripétie démocratique dans laquelle l’exercice douteux de la responsabilité suprême d’un État. Ce qui est en jeu au Mali est loin de la confiscation de pouvoir; il est question d’une réaction malencontreuse contre un amorphe président que jamais le Mali n’a connu, au point de mettre en danger tous les acquis de ce pays. Un défi analytique à tous les démocrates africains, où qu’ils se trouvent.


Horizon


Rédigé par Pierre S. Adjété le 25/03/2012 à 09:09
Tags : Afrique Démocratie Mali Notez