D’abord, il y a eu le bruit des pales, l’hélicoptère dans le ciel, et elle qui refusait d’y croire a senti son cœur s’emballer. Puis cette attente, si longue. Et cette image, enfin, sur l’écran géant disposé devant la muraille de l’académie de police, immense complexe planté en bordure des sables, à l’entrée du Caire. Celle d’Hosni Moubarak, -allongé sur sa civière, en tenue blanche de prisonnier, un cathéter planté dans la main, le regard vide, les traits creusés, blafard sous la lumière crue. Comme une statue du commandeur renversée, vieillard prisonnier de cette cage de fer aux larges barreaux où la justice égyptienne parque, comme pour mieux les humilier, ses accusés.
Et Samar a pleuré. C’est une mère de chahid, un des 850 martyrs tombés pendant la révolution sous les balles de la police dirigée par Habib el-Adly, ex-ministre de l’Intérieur, présent mercredi avec six de ses collaborateurs dans la cage aux côtés d’Hosni Moubarak et de ses deux fils, Alaa et Gamal, pour répondre des accusations de -détournement de fonds et de meurtre.
Samar tient dans ses bras la photo de son fils. À ses côtés, un homme aux épaules recouvertes par un drapeau égyptien regarde l’écran, sans mot dire. Dans les voitures, les cafés, les maisons, le pays, silencieux, s’est arrêté en ce matin de ramadan pour écouter les premières heures d’audience de ce procès qu’hier matin encore, beaucoup croyaient inimaginable. L’armée lâchant enfin son ancien chef, après des mois de rebondissements, alors que tout semblait avoir été fait pour préserver le vieux raïs du déshonneur d’un procès.
«Il n’a rien fait de mal, s’enflamme une femme. C’est une manipulation des Frères musulmans et de l’opposition, soutenus par les États-Unis, qui ont raconté des mensonges pour nuire à notre pays. Revenez dans deux ans quand ils auront pris le pouvoir et qu’on aura un État théocratique. Vous verrez bien si Hosni Moubarak était un mauvais homme. Nous sommes des ingrats», lâche-t-elle, amère. Devant elle, le sol est encore jonché des pierres que se sont violemment lancées un peu plus tôt pro et anti-Moubarak. Juchés sur un des blindés protégeant l’entrée réservée aux 600 journalistes, avocats et observateurs autorisés à assister à l’audience, des militaires contemplent, stupéfaits, Hosni Moubarak toujours alité attraper un micro et rejeter toutes les accusations: non coupable.
Aux côtés de l’ex-président, ses fils au regard fermé ont chacun un Coran dans la main. A tour de rôle, ils interposent leur silhouette entre leur père et les caméras, comme pour le protéger de l’opprobre. Face à eux, pas de jury populaire, mais trois juges. Ahmed Rifaat, le président de la cour, réclame violemment le silence. Auprès de ses collègues de la Cour de cassation, le magistrat a plutôt bonne réputation. Un avocat des familles des victimes réclame la parole, réclamant des tests ADN. L’homme allongé sur la civière n’est pas Hosni Moubarak, qu’il dit mort en 2004. Certains, dans la foule, lèvent les yeux au ciel. Un autre demande que soit entendu comme témoin le maréchal Tantaoui, nouvel homme fort du pays, à la tête du Conseil ¬suprême des forces armées et ancien ministre de la Défense d’Hosni Moubarak.
Le moment est historique, les Égyptiens en ont conscience. Ils s’en doutent, à Damas, Sanaa ou Tripoli, les pouvoirs tremblent de voir ainsi, pour la première fois depuis le début de ce Printemps arabe, un chef d’Etat répondre, en personne, à la barre. Ces derniers mois, l’Arabie saoudite aurait, dit-on, usé de toute son influence et promis une aide financière conséquente pour éviter qu’Hosni Moubarak ne soit traduit en justice, minant l’autorité des dirigeants de la région.
Dans la foule, Nouha, troublée, ne sait que penser. La jeune femme est frappée par l’état de santé de l’ancien raïs, qu’elle a toujours connu le cheveu noir, figé dans une éternelle jeunesse sur ses portraits hier affichés au bord des routes ou sur les bâtiments officiels. «Il est responsable des morts de la révolution, il a tant de fautes sur les mains. Mais je ne peux m’empêcher d’éprouver de la pitié et de la peine pour lui.» Au pied du grand écran, stoïque sous le soleil accablant, un jeune militant révolutionnaire s’en inquiète: «On nous lâche Moubarak pour mieux le faire prendre en pitié. On donne du spectacle aux foules. Et le risque c’est de le transformer en fusible, pour mieux protéger le système.» Le procès reprendra le 15 août.////////Claude Guibal