La politique du Grand Pardon, cette seule Politique qui tranquilliserait les cœurs et libèrerait les énergies du développement; la seule Politique susceptible d’apaiser les rancœurs, de réparer les erreurs de la République et rétablir les confiances ainsi que les fondements du dialogue bien longtemps perdu et toujours recherché. La seule Politique raisonnable qui assumerait le Togo et sa lourde histoire politique, restituerait fierté et dignité aux citoyens et ensemencerait l’éthique –acte du bien contextualisé et durable, dans la gouvernance pour un redémarrage collectif du pays.
À quand cet être, politiquement compétent et ostensiblement convaincant, qui irait au devant des Togolaises et des Togolais pour leur dire, avec respect : « Passons à autre chose et voici Pourquoi il vaut mieux ainsi, et voilà Comment le faire pour qu’enfin émerge un autre Togo, satisfaisant pour tout le monde, et loin de la République des revanchards actuellement entretenue? » Ironie du particulier sort togolais, se regardent aujourd’hui en adversaires, deux adeptes de la Politique du Grand Pardon, Arthème Séléagodji Ahoomey-Zunu et Ata-Messan Zeus Ajavon…
L’actualité aidant la réflexion, tout ce questionnement est suggéré non par la toute dernière démission ou incompréhension du paysage politique togolais, mais par le chassé-croisé inattendument engagé par la Lettre ouverte, lapidaire, de Dr David E. Ihou –« Agboyibo a torpillé la démocratie », ainsi que la réponse défensive que son destinataire, Me Yawovi Agboyibo, a cru bon lui servir, comme invitation au Dr Ihou à « Cesser de falsifier l’histoire »; une histoire tout de même trop sommairement restituée pour n’être toujours que dure rancune.
C’est aussi un jalon politique qui traduit, probablement, la nécessité d’une clarification non partisane de la mésentente légendaire entre Me Yawovi Agboyibo et M. Édem Kodjo, à la suite des élections législatives de mars 1994. Une mésentente toujours inexpliquée pour que Dr Ihou pense –une vingtaine d’années après les faits, que Me Agboyibo avait « Poignardé le bon sens » tout en persistant à « Embrouiller ceux qui n’ont pas beaucoup fréquenté l’école », alors même que le bon peuple togolais attendrait de lui, Me Agboyibo, un sincère acte de contrition : « Me AGBOYIBO, le peuple attend que vous demandiez pardon pour votre trahison de 1994, et que vous éclairiez plutôt sa lanterne, au lieu de chercher à l’embobiner. »
Naturellement, Me Yawovi Agboyibo n’entend toujours pas ce passé douloureux de la même oreille, et s’est trouvé en droit de se présenter en victime : « Vous évoquez ce triste passé pour me reprocher de n’avoir pas accepté la nomination de M. Édem Kodjo comme premier ministre et d’avoir refusé d’occuper le poste de président de l’Assemblée Nationale. Vous avez une fois de plus tenté de blanchir votre ami Édem Kodjo et de salir la victime que j’ai été. »
Togo, pays aux traits et couteaux tirés.
Reconnaissant au passage que cet évènement historique continue de polluer le processus démocratique togolais, Me Agboyibo a cru devoir résumer les faits en trois actes, soigneusement choisis et datés des 14, 16 et 26 mars 1994, pour se disculper, asseoir sa défense, porter la contre-attaque simultanée à Édem Kodjo et au Dr Ihou avant de se replier sous la couverture du peuple togolais lui-même: « Vous convenez, au vu des éléments qui précèdent et que vous connaissez parfaitement que c’est en travestissant la vérité que vous cherchez à blanchir Édem Kodjo à mes dépens. Dans la mémoire collective du peuple togolais, il n’existe le moindre doute sur la personnalité qui a trahi à la suite des législatives de 1994. Je vous convie à cesser de falsifier l’histoire. »
Il n’en faudra pas plus pour qu’un certain Gil Fandim, du lot de ces citoyens anonymes, s’en trouve suffisamment interpellé pour souhaiter un débat sur ce sujet –grand diviseur de la gente politique togolaise, avant de lâcher des informations complémentaires, et surtout, tenter d’ouvrir des perspectives oubliées avec une véhémence généreusement débordante sur tous les acteurs principaux et des faits collatéraux :
« Qu'Agboyibo nous foute la paix avec cette affaire. Est-ce Kodjo qui lui fait perdre "sept fois la Primature"? C'est lui-même qui a fait cette déclaration sur NANA FM en 2005 dans l'émission de Peter Dogbé. Il n'y a plus eu de majorité du CAR ou de l'Opposition après 1994. Pourquoi fait-il cette déclaration ? Il a trahi Kodjo en promettant le Perchoir au RPT ; ce que Eyadema a refusé en lui disant qu’il est Avocat et qu'il faut qu'il soit là (Assemblée nationale). Il a refusé. Néanmoins, il demandera à Me Hegbor d'occuper la Vice-présidence. N'est-ce pas de l'égoïsme ? Pourquoi a-t-il interdit à ce dernier de briguer la Présidence de l'Assemblée nationale? Agboyibo, dit-nous pourquoi Eyadema, a prétexté de l'assassinat de Kégbé Mathieu (paix à son âme!) pour demander à Agbéyomé Kodjo de te traduire en justice? N'est-ce pas ta trahison, ta duplicité qui a abouti à cela ? Pourquoi promettre à Eyadema que le CAR se présentera aux législatives de 1999 (seconde législature de la IVème République) pour entrer dans ses bonnes grâces, aller jusqu'à promettre de convaincre Zarifou Ayéva pour s'associer au CAR, et de se dédire après?
Eyadema n'aime pas les traîtres, et il te l'a fait payer cher. Agbéyomé dit toujours que tu sais que ce n'est pas lui qui t'a jeté en prison et que toi-même tu connais la cause. N'est-ce pas cette cause que nous avons exposé succinctement.
Le ministre David IHOU n'a dit que la pure vérité ; il n'a même pas tout dit. Lucien Messan, ami d'Agboyibo, du journal « Le Combat du Peuple » en avait parlé en 2005 en publiant des courriers adressés par ce dernier à feu Eyadema. Agboyibo a dit qu'il se réserve le droit de porter plainte. Pourquoi ne l'a-t-il pas fait ? Il sait que la réplique lui sera très foudroyante. Qu'il cesse de bluffer l'électorat togolais. »
La dent dure à chaque fois remoulée des Togolais, les uns contre les autres, demeure symptomatique du tâtonnement de tout un pays au rêve oublié durant toutes ces nuits blanches passées à aiguiser de longs couteaux et à réchauffer d’interminables récriminations. Au Togo, chaque rendez-vous politique, chaque heure qui sonne signifie trop souvent un temps de désaccord, un moment de défiance, une partie de revanche, un cercle vicieux, une impasse annoncée, une tragédie nouvelle, une comédie amère, une prière au diable lui-même. Tenez!
Lomé, 16 novembre 2012, dialogue aussitôt commencé, dialogue aussitôt terminé. Sans surprise! L’hypothèse de la non-poursuite étant la plus réaliste dans le drame togolais, chacun semblait y être bien préparé, des participants eux-mêmes jusqu’aux évêques catholiques du pays. Et le gouvernement d’établir son constat :
« A l’invitation du Premier Ministre, des partis et regroupements politiques et associatifs se sont réunis le 16 novembre 2012 à la Primature dans le cadre des concertations sur le processus électoral.
Au cours des discussions, le Collectif « Sauvons le Togo » et la Coalition « Arc-en-ciel » ont demandé la mise en place d’un comité préparatoire du dialogue dirigé par un médiateur en vue de convenir des modalités et de l’agenda pour un dialogue structuré, franc et sincère.
Le gouvernement a pris acte de cette proposition tout en préconisant la poursuite des discussions sur le processus électoral, conformément à l’objet de l’invitation.
Le Collectif « Sauvons le Togo » et la Coalition « Arc-en-ciel » ont refusé toute discussion sur le processus électoral et, après avoir lu une déclaration préparée à l’avance confirmant ainsi leur position, ils se sont retirés. »
Entre concertation et dialogue, des veillées de revanches.
La conception du gouvernement togolais de considérer sa propre initiative comme « Concertations sur le processus électoral » ce qui était entendu et résonnait comme une invitation au « Dialogue structuré, franc et serein, qui pose les vrais problèmes » par l’opposition conduite par le Collectif Sauvons le Togo et la Coalition Arc-en-ciel, ressuscite l’éternel désaccord qui piège les uns et les autres, et rend témoignage que la méfiance règne toujours au Togo. Et, rien n’est joué encore, tout reste à venir puisque chaque camp s’en est retourné à ses justifications et à l’affutage de ses armes.
C’est pourtant bien connu : les portes du changement s’ouvrent mieux et beaucoup plus facilement de l’intérieur. Le dialogue sur des bases consensuelles est ainsi inévitable au Togo pour qu’enfin advienne un pays nouveau. Mais le bras de fer continue. Il s’appuie sur les échecs des conciliabules antérieurs et l’attente d’une salutaire médiation. C’est l’éternel revanche des protagonistes politiques togolais qui doivent néanmoins comprendre qu’il n’y aurait pas forcément de vainqueur en dehors de leur propre pays.
C’est ce constat qui reste à établir par les uns et les autres. C’est ce pas qui reste à faire et auquel les évêques togolais semblent convier, autant les acteurs du gouvernement que ceux de l’opposition : « Au cours des travaux de cette Session d’Atakpamé, nos Pères Evêques ont accordé une attention méritée à la situation politique qui préoccupe tous les concitoyens. Ils ont réexaminé les différentes démarches qu’ils ont menées particulièrement ces dernières semaines dans le sens de permettre un rapprochement entre les acteurs politiques de notre pays. Ils ont retenu l’urgence pour eux-mêmes et pour tous de continuer à travailler pour que les portes du dialogue qui se sont ouvertes ne se referment plus, et que des initiatives se poursuivent dans ce sens pour cheminer vers un apaisement et des solutions politiques consensuelles. »
C’est pour tout cela qu’il faudra bien du courage et de la conviction politiques pour débloquer une situation dont l’issue ne pourrait être atteinte sans le souci du Togo ainsi qu’une bonne dose de confiance, de bonne foi, des uns et des autres. Car, après que tous les autres moyens soient épuisés, il ne subsiste toujours que le bon vieux dialogue dans toute sa suprématie. Pour l’éternelle revanche, la preuve est désormais faite que le Togo peut s’en passer, et il doit même s’en éloigner pour enfin avancer vers le pardon collectif, le Grand Pardon.