Climat de crise à la Maison-Blanche. Lundi soir, l’agence Associated Press dénonçait avec véhémence les écoutes téléphoniques dont ont été l’objet plusieurs de ses journalistes sous surveillance du Département de la justice. Vendredi dernier, l’Internal Revenue Service (IRS) a été accusé d’avoir ciblé ses enquêtes sur des groupes (de droite) du Tea Party ou de patriotes entre 2010 et 2012. La semaine dernière enfin, deux hauts responsables du Département d’État ont livré un témoignage musclé devant le Congrès au sujet de la tragédie de Benghazi, en Libye, où quatre Américains ont été tués lors d’un raid mené par des islamistes radicaux, aggravant un climat politique déjà délétère à Washington.
Pour Barack Obama, ces trois alertes arrivent au pire moment. Le président démocrate a entamé son deuxième mandat voici un peu plus de trois mois et espère pouvoir faire avancer plusieurs dossiers, dont celui emblématique de la réforme de l’immigration, afin de charpenter son bilan. Mais les trois crises menacent de le paralyser à l’image de Ronald Reagan après le Contra-Irangate ou de Bill Clinton après l’affaire Lewinsky.
L’histoire des écoutes téléphoniques a choqué. L’agence AP elle-même, qui avait révélé en mai 2012 qu’un attentat fomenté à partir du Yémen avait été déjoué, a manifesté son indignation. Elle avait pourtant retardé la publication de l’affaire à la demande de la Maison-Blanche pour ne pas porter préjudice à l’enquête en cours menée par la CIA. Les données obtenues sur une période de deux mois par le Département de la justice pourraient trahir certaines sources confidentielles utilisées par l’agence de presse. Les associations de journalistes crient à la violation du premier amendement de la Constitution garantissant la liberté de la presse.
La justice américaine a le droit, dans certains cas, de procéder à de telles écoutes quand les intérêts sécuritaires nationaux sont menacés. Mais la mesure doit être très ciblée et limitée dans le temps. De telles pratiques semblent découler d’une volonté de l’administration démocrate de sévir contre les fuites qui se sont multipliées dans des dossiers très sensibles. Ce fut le cas de l’affaire du virus informatique américano-israélien Stuxnet qui a endommagé des installations nucléaires iraniennes. Ce fut aussi le cas de la liste de terroristes à éliminer dressée par la Maison-Blanche. Les républicains n’ont pas manqué de dénoncer le «laisser-aller» et les manipulations de l’administration et ont exigé des mesures musclées. Aujourd’hui, ces mêmes républicains estiment que le gouvernement en a trop fait.
Les révélations sur l’IRS sont plus délicates pour la Maison-Blanche. Le biais partisan du fisc américain, s’il devait être prouvé, pourrait être le point de départ d’une guérilla républicaine sans concession. L’IRS a reconnu que son service de Cincinnati avait mené, entre 2010 et 2012, des enquêtes spécifiquement ciblées sur des groupes du Tea Party et de patriotes pour examiner si leur requête en vue d’obtenir le statut d’organisation à but non lucratif exemptée d’impôts était justifiée. Pour l’obtenir, il importe d’agir avant tout dans un but de promouvoir «le bien-être social» (social welfare). Ledit statut permet de faire du lobbying, mais interdit de verser des sommes dans la campagne électorale. L’Attorney General Eric Holder a demandé au FBI d’ouvrir une enquête.
La faute de l’IRS est d’autant plus gênante que les petits mouvements proches du Tea Party n’ont quasiment rien investi dans la campagne présidentielle. Des groupes bien plus importants, comme Crossroads de Karl Rove, l’ex-stratège de George Bush fils, n’ont en revanche pas été inquiétés par le fisc alors qu’ils violent des règles formulées de façon vague dans le code fiscal. Pour les républicains, l’affaire est une occasion en or à saisir pour saper la crédibilité des démocrates.
C’est ce qu’ils tentent de faire depuis près de huit mois avec la tragédie de Benghazi. La semaine dernière, deux hauts responsables du Département d’État ont jeté de l’huile sur le feu lors de leur audition devant le Congrès. Pour eux, l’administration n’a pas pris au sérieux les menaces sécuritaires en Libye et à Benghazi. Elle a tenté de couvrir le fait que l’attaque du consulat américain dans l’est de la Libye, qui était en réalité une base de la CIA, provenait d’islamistes radicaux afin de ne pas altérer la rhétorique électorale d’Obama sur la défaite d’Al-Qaida après la mort de Ben Laden. Les républicains du Congrès, qui ont aussi leur part de responsabilité car ils ont à plusieurs reprises refusé de renforcer la sécurité des ambassades américaines, ne sont pas près de lâcher leur os.///////// Stéphane Bussard