Il y a une blague qui circule dans le cercle des chefs d’État africains; elle est simple : « Tu vas faire des élections? Attends-toi à ce que les résultats soient contestés par l’opposition! Ah bon? Je pensais l’opposition… démocrate et bon perdant en Afrique…» Les élections ont ceci de particulier en Afrique que ceux qui sont au pouvoir et les organisent, ne les perdent presque jamais. Pour autant, le cas guinéen qui ne se présentait pas sous cet aspect, se prépare à nous offrir une contestation dont les citoyens pouvaient bien se passer. Saveur après saveur, tous les ingrédients sont actuellement réunis.
Nul n’est plus qualifié à être citoyen de la Guinée que les autres, pas plus les intellectuels dans leur suffisance que les chefs de groupes sociaux dans leur ignorance. Choisir un chef relève du sens commun, du respect et de la dignité humaine qui autorisent à écouter les inquiétudes des uns autant que celles des autres à huit jours des élections présidentielles en Guinée, faute de l’avoir fait auparavant.
Il est vrai que le temps va à l’encontre des contestataires de la procédure électorale, dans son ensemble, mais cela ne rend pas non pertinentes les observations dont ces personnes se sont donné la mission tardive. Tout, malheureusement, annonce des lendemains électoraux qui chantent faux en cette Guinée qui pourtant a besoin de l’harmonie la plus large pour faire son passage initiatique à une démocratie dont l’ensemble du pays a soif.
Il est difficile de livrer un blanc seing d’étanchéité à une structure de gestion des élections, la Commission électorale nationale indépendante (CÉNI), dont le président est condamné pour malfaisance. Naturellement, dans un environnement politiquement exemplaire, le président de la CÉNI, Ben Sékou Sylla, dès sa citation, devrait avoir formellement démissionné de cette fonction. Il se trouve maintenant qu’il est condamné à une sentence d’emprisonnement ferme, en plus d’être absent de la Guinée pour des raisons de maladie.
Impossible n’est pas guinéen
Le président de la CÉNI, condamné, malade et à l’étranger ou à l’étranger, malade et condamné; dans un sens ou l’autre, il y a un lourd déficit politique, une curieuse souillure historique et une insuffisance éthique certaine qui, ensemble, plombent l’envolée des espoirs démocratiques et campent ces élections dans une contestation facilement prévisibles si rien de significatif n’est fait dans ces jours cruciaux.
Mais alors, pourrait-on faire quelque chose d’acceptable dans les circonstances et malgré tout? « Impossible n’est pas guinéen! » entend-on. « Il peut être opéré une correction raisonnable et suffisante de la situation présente » ajoute-t-on. Cette correction résiderait davantage dans la bonne foi de la reconnaissance des insuffisances, plutôt que dans la surenchère juridique et déclaratoire qui s’est emparée de tout le monde à Conakry et au-delà.
Il est donc urgent d’aider la Guinée dans le sens du rétablissement précautionneux et sensé de la confiance jamais retrouvée, depuis les nombreux cafouillages de la CÉNI. Il ne s’agit nullement pour le médiateur Blaise Campaoré et son envoyé spécial de pointer du doigt les insatisfaits de tout bord qui se sentent toujours lésés par une administration électorale des plus approximatives. Il s’agit véritablement d’apporter des solutions pratiques que ces quelques jours décisifs pourront apporter dans le renversement du destin de la Guinée.
Il est alors difficile de passer à côté de la possibilité de changer, de manière consensuelle, le président de la CÉNI et son bras-droit Boubacar Diallo, coupables tout de même d’avoir fait détruire ou faire disparaitre complètement des procès-verbaux du premier tour des élections. Il est surtout impératif de combler les manquements administratifs de divers ordres, et souvent des omissions douteuses ayant trop souvent défavorisé le même camp dans cette course présidentielle de tous les dangers.
En réalité, la bonne foi et la preuve d’une capacité de bonne gestion électorale doivent être apportées par la CÉNI. C’est ce que, maladroitement, l’actuel premier ministre, Jean-Marie Doré, voudrait corriger il y a quelques jours en tentant de donner plus de place à l’administration publique, au détriment de la CÉNI elle-même, dans l’organisation du second tour présidentiel. Il en est sorti amoindri et désormais suspect aux yeux d’une certaine opinion guinéenne.
La Guinée est à un carrefour particulier. Ce dimanche 19 septembre 2010, quelques jours avant le premier anniversaire des tristes évènements du 28 septembre 2009 ayant sonné le glas du désormais tristement célèbre Moussa Dadis Camara en politique, de l’intérieur comme à l’extérieur, la Guinée est fébrile et cela se voit. Elle est surtout fébrile face au risque de perdre sa chance d’entrer dans l’histoire moderne; entrer définitivement dans la démocratie réelle ou perdre encore sa chance dans un avatar démocratique, difficile à corriger plus tard, comme il en pullule désormais en Afrique francophone, si ce ne sont carrément des démocratures, c'est-à-dire de vraies dictatures habillées de quelques attributs scintillants d’une démocratie tropicalisée qui fondrait sous l’effet des premières critiques dans n’importe quelle autre partie du monde. Tout commence bien et souvent patatras, tout s’écroule, faute d’une entente de bonne camaraderie que les institutions et les principaux protagonistes auront dessinée par leur seule volonté.
Au début de cet exercice électoral, les propos de l’envoyé spécial de l’Union africaine, M. Édem Kodjo, étaient prémonitoires à ce sujet : « Nous ne venons pas en donneurs de leçons (…) Nous venons en frères », persuadés que c’est avec un certain souci de la Guinée que cette étape déterminante vers la démocratie pourrait être franchie à la satisfaction de toutes les composantes de ce Peuple à « l’illustre épopée ».
Heureusement que la Guinée est là, « fière et jeune » de son histoire autant que de son avenir, une Guinée droite devant nous et appelant toujours au Travail, à la Justice et à la Solidarité, une Guinée dont l’Afrique attend encore d’être un modèle glorieux de son renouveau. Pour avoir souvent chanté et rêvé l’Afrique, c’est toute l’Afrique qui se doit aujourd’hui d’exhausser et d’exalter la Guinée à la démocratie, vraie et non faussée, vivement.