L’homme balaie la salle d’un regard. Furieux. Au pied de l’estrade des invités la semaine dernière au Grand Palais de Lille, Manuel Valls avait du mal à se contenir. Pas assez de militants nordistes. Une grande partie de l’immense salle restée vide, dans la ville de Martine Aubry, fief historique du socialisme français.
«Manuel scanne tout. Il est déjà sans son costume de ministre de l’Intérieur», ironise un responsable de l’équipe «François Hollande 2012», dont le maire d’Evry dirige la communication. L’affaire, d’ailleurs, est entendue. Manuel Valls, l’ex-candidat aux primaires, le «Tony Blair» français, s’est imposé comme le vrai patron du QG au détriment de Pierre Moscovici, directeur de la campagne en titre. «Pierre est un surdoué des concepts. Manuel un expert en logistique. Or une élection, ça se gagne sur le terrain», persifle un élu PS de Picardie.
Le mélange des genres est inévitable dans l’entourage du candidat socialiste. Chaque meeting, chaque déplacement, chaque prise de parole de l’adversaire de Nicolas Sarkozy est doublée, en coulisses, de prises de contact politiques, de tractations discrètes, de rapports confidentiels destinés à s’assurer, dès le 6 mai, de la maîtrise de l’appareil d’Etat si «François» est élu. Les personnages politiques clés de ce dispositif à double commande se nomment Alain Rousset, président de la Région Aquitaine chargé du pôle économie, Marylise Lebranchu, patronne du pôle élus, Jean-Yves Le Drian, chargé des questions de défense, Catherine Trautmann pour le pôle Europe. D’autres, comme l’ancien secrétaire général du PS, Maurice Braud, activent leur réseau international. Les notes pleuvent au fil des rendez-vous. Pour remonter ensuite jusqu’à Faouzi Lamdaoui et Stéphane Le Foll, respectivement chef de cabinet et principal collaborateur de l’ex-patron du parti.
«Girl power»
Faouzi Lamdaoui est «la» clé. Celui qui suit partout François Hollande, avec Christian Gravel, le jeune responsable des relations presse. Le premier, toujours tiré à quatre épingles, affable, charmeur, est surnommé «le filtre». Le second, plus décontracté, flegmatique dans la cohue des caméras et des micros, joue dans l’ombre une partition destinée à surtout mettre dans la lumière les séduisantes Aurélie Filipetti, Delphine Batho et Najat Vallaud-Belkacem, les trois «amazones» de la campagne. Les deux premières sont parlementaires, l’une en Moselle, l’autre dans les Deux-Sèvres où elle a succédé à Ségolène Royal. Toutes sont de la «génération Sego». Charmeuses. Conquérantes. «Girl Power» titre à leur propos les «Inrockuptibles».
Christian Salmon, spécialiste de l’image en politique, aime opposer le récit «long» de François Hollande, de la Corrèze à l’Élysée, au «24 heures chrono» de Nicolas Sarkozy. Le QG de campagne socialiste, lui, ne se pose pas ces questions. L’impression de placidité qui s’en dégage est contredite par l’organisation «au jour le jour». Un haut fonctionnaire proche du candidat confirme: «Le message, c’est: étape par étape. Surtout ne pas anticiper.» Un rôle très important est ainsi dévolu au «panel des élus de base», une centaine de conseillers municipaux, départementaux et régionaux chargés de sonder l’électorat. C’est ce panel qui, avant le premier tour, a décelé la montée du Front national. François Hollande a aussitôt été informé. Aurélie Filipetti confirme: «On est tout, sauf un QG de campagne hors-sol.»
Cette dernière est l’archétype de cette synthèse que François Hollande a su engendrer. En 2007, Ségolène était assaillie. Les éléphants du PS la snobaient. Najat Vallaud-Belkacem, à ses côtés, «sentait chaque jour la pointe des poignards». Aurélie Filipetti, passée depuis sur les bancs de l’Assemblée nationale, en a tiré les conclusions. Aux grands élus les travées VIP, les applaudissements des militants, les images-souvenirs des clips vidéos. A elle le soin de chauffer les salles, d’incarner le changement. «Hollande a ce qui manquait à François Mitterrand en 1981: des groupies intelligentes», ricane un diplomate socialiste. Lesquelles savent aussi donner à la campagne son ton festif.
«A la Mitterrand»
Le choix du décor, de la musique, des ambiances, est en effet décisif. Mitterrand, pour sa réélection en 1988, avait accepté que la chanson Un autre monde de Téléphone, ouvre ses meetings. En se bouchant les oreilles pour ne pas l’entendre… François Hollande l’a réclamé, «pour que les militants se souviennent». Tout en mélangeant les registres. Il a relu, avant le premier tour, tous les discours de l’ancien chef de l’Etat en 1981. Il a demandé à sa «plume», Aquilino Morelle, d’écrire «à la Mitterrand». Il s’est mis à agripper les pupitres «à la manière de…». Tout en faisant ce que Mitterrand détestait: passer du temps avec les élus, s’attarder, blaguer. «Un apparatchik qui aime les gens», résume un cadre du PS lillois.
La conquête du pouvoir est programmée en coulisses. Confiée à des experts reconnus pour leurs compétences. Jean-Yves Le Drian, président de la région Bretagne et pressenti comme futur ministre de la Défense, en est l’archétype. A tous, ce dernier indique que sa mission «s’arrête le 6 mai au soir». Tout en pointant l’agenda du prochain sommet de l’OTAN des 20 et 21 mai à Chicago. Les fêlures de la Sarkozie permettent en plus les «coming out». Jean-Pisani Ferry, le patron de l’institut Bruegel, ancien collaborateur de Dominique Strauss-Kahn, est à la manœuvre à Bruxelles. Jean-Pierre Jouyet, l’actuel président de l’Autorité des marchés financiers qui fut le ministre des Affaires européennes de Nicolas Sarkozy en 2008, intime de Hollande, est un «connétable» indispensable. Le plus frustré, dit-on, est Jacques Delors. Ce grand européen râle de ne pas être consulté ou, mieux, associé. «La vérité? Il est trop âgé pour le rythme de la campagne. On le perdrait en route», pique un cadre.
Le commun dénominateur de ces différentes équipes est le consensus. François Hollande, à chaque meeting, le rappelle aux élus qu’il rencontre. Il doit apparaître comme l’anti-Sarkozy. «Au fond, il a compris que sa mollesse supposée était son meilleur atout. Il veut incarner le compromis possible», explique un collaborateur de Manuel Valls. «Sa démarche n’est pas militaire, elle est collégiale. Il ne veut pas être le chef suprême», poursuit René Dozière, un autre élu picard. L’équipe Sarkozy, en 2007, avait été surnommée «la firme» pour son côté tribal, fermé, brutal. «Lui voulait prendre le pouvoir. Nous on veut l’exercer» conclut l’eurodéputée Catherine Trautmann. ///////// Richard Werly