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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




En Afrique, l’histoire politique est encore ouverte à la même page depuis des décennies, la page de l’alternance démocratique. Dans un monde où de nouveaux enjeux émergent pratiquement toutes les semaines, les ratures, les rainures et les ratages rendent toujours illisible l’intention des dirigeants africains d’assumer honnêtement la soif démocratique des populations. Aujourd’hui, il faut être d’une grande naïveté politique pour penser que, parce l’on est à la tête d’un pays africain, l’on peut y détourner et étouffer la liberté, confisquer et suspendre la démocratie selon son seul vouloir, et trop souvent au moyen de la tromperie électorale et de la répression récidiviste. La démocratie a atteint un point de non-retour en Afrique. Et désormais, il faut prendre ce problème de démocratie à bras-le-corps; il y va de la fondation même de véritables Républiques, du respect des institutions et de la réconciliation des citoyens.


Une Afrique démocratique, ça presse désormais!
Trop, c’est assez! Il est temps de passer le reste du continent africain à la démocratie et au respect des populations : méthodiquement, un pays à la fois. Et les institutions communautaires africaines autant que les dirigeants politiques doivent le comprendre. Véritablement, l’alternance démocratique est une richesse des peuples africains sur la voie de leur développement durable.

Il n’est nullement exagéré d’établir, enfin, le constat que l’Afrique francophone est particulièrement victime d’un syndicat de chefs d’État périmés, foncièrement réfractaires à tout enracinement démocratique. Trop souvent, ce regroupement de présidents africains prend appui sur le rejet de l’un des siens pour semer la confusion et se discréditer davantage, en jouant au matamore et au fier-à-bras avec des populations aux mains nues. Comme partout ailleurs à travers le monde, en Afrique aussi, c’est « La politique à l’heure de la défiance » de tous les schémas anciens.

Lorsque l’on voit la copie du travail de médiation fournie au Burkina Faso et à toute l’Afrique par un Macky Sall pourtant président du Sénégal démocratique, l’on reste dubitatif sur les ressources éthiques dont dispose ce chef d’État porté à la tête de la communauté des quinze pays de l’Afrique de l’ouest, la Cedeao. Macky Sall a du chemin à faire pour sa réhabilitation dans le cénacle de la démocratie en Afrique; tellement il a empiété sur sa propre intégrité ainsi que sur la dignité des Peuples africains.

Lorsque le président béninois Yayi Boni quant à lui quitte directement Ouagadougou pour Brazzaville rendre compte, aussi bien à Denis Sassou Nguesso qu’au déchu Blaise Compaoré, l’on touche du doigt la réalité du fourvoiement dont sont victimes les peuples africains abandonnés dans les mains machiavéliques, solidairement entrelacées, du syndicat des chefs d’État qui n’ont aucune retenue dans le recours à la force, à la farce et à la pagaille d’État lorsqu'arrive la fin de leur mandat ou simplement quand un membre de leur syndicat est en difficulté.

Lorsque l’on lit le discours de Denis Sassou Nguesso appelant le Peuple congolais à un référendum constitutionnel démagogique pour justifier sa folle envie de s’éterniser au pouvoir, l’on distingue clairement le « piège sans fin » tendu aux citoyens congolais; aucune allusion n’étant faite au fond du problème qui demeure le désir hargneux de confiscation du pourvoir : « J’ai décidé de donner la parole directement au peuple afin qu’il se prononce sur le projet de loi énonçant les principes fondamentaux de la République, définissant les droits et devoirs des citoyens et fixant les nouvelles formes d’organisation et les nouvelles règles de fonctionnement de l’État ». Pathétique! Nous sommes véritablement loin de ces temps où les politiques étaient des êtres modèles universels, dévoués à la chose publique comme les Nkrumah, Sankara et autre Washington : « C’est passionnant et extraordinaire, cette Révolution américaine, la fondation de la République, la Constitution. Madison, Hamilton, Jefferson, John Adams — quels hommes ! Et quand on voit la situation aujourd’hui — quel déclin » échangeait-on dans des correspondances célèbres [Hannah Arendt, lettre du 16 novembre 1958 à Karl Jaspers].

Lorsque l’on voit le président togolais Faure Gnassingbé, qui n’a jamais gagné d’élections crédibles à la connaissance de tous ses pairs africains, faire appel à deux chefs d’État pour camoufler et cautionner des résultats électoraux frauduleux, sortis de nulle part, sans que ces chefs d’État, ivoirien et ghanéen, ne s’offusquent par la suite de l’usage qui est faite de leur image et de leur autorité de « facilitateurs de circonstance », l’on comprend qu’aucun sacrifice n’est trop grand pour aider son collègue à s’éterniser au pouvoir, et en attendre certainement le même soutien au retour du balancier.

Lorsqu’il était véritablement impossible de situer Blaise Compaoré sur la planète terre et de le joindre durant les premiers jours du coup d’État au Burkina Faso dernièrement –une pratique éprouvée qu’affectionnent les dictateurs qui toujours sont absents et restent silencieux lorsque les coups fourrés sont en exécution et leur homme de main criant ne pas les avoir informé de leur forfait-, il est fort aise de constater que tous les artifices ainsi que tous les déguisements sont encore et toujours utilisés par la même camarilla et ses souteneurs pour faire échec à la démocratie en Afrique.


La démocratie? Une question de dignité et d’intégrité.

Aux portes de la démocratie depuis si longtemps, et y cognant avec insistance depuis un quart de siècle, de nombreuses populations africaines découvrent qu’elles doivent pratiquement défoncer des accès menant à l’alternance politique, intentionnellement verrouillés de l’intérieur par leurs propres dirigeants. Les peuples africains doivent désormais, et systématiquement, lutter contre un puissant syndicat de chefs d’État aux intérêts obscurs, en plus d’être complaisamment soutenus par certaines des organisations internationales devenues des régiments de protection des présidents en exercice.

C’est pratiquement le cas avec la Cedeao protectrice des chefs d’État en bataille rangée contre le désir démocratique des Peuples de l’Afrique de l’ouest. Une école de formation par excellence où Mohamed Ibn Chambas a fait ses classes, avant de continuer ses forfaitures comme représentant du Secrétaire général de l’ONU en Afrique de l’ouest. Au plan politique, la Cedeao a cessé d’être une référence, et a fini par perdre sa crédibilité pour ne jamais voir aucun des travers électoraux et dictatoriaux visibles à l’œil nu. L’impensable de cette logique de la Cedeao a atteint son paroxysme au Burkina Faso.

L’étrange situation vécue au Burkina Faso est donc la parfaite illustration de l’imbroglio démocratique africaine. Rien n’a pu faire entendre raison aux putschistes du 17 septembre 2015 dont le meneur Gilbert Diendéré, iconoclaste, tantôt arrogant tantôt repentant, tantôt résistant soldat tantôt pleutre déserteur, a systématiquement soufflé le chaud et le froid selon les jours pairs ou impairs. Gilbert Diendéré, au service ardent de Blaise Compaoré dans sa forfaiture putschiste, est resté dangereusement en attente d’un hypothétique retournement de situation en sa faveur, et au détriment de la soif de démocratie du Peuple du Burkina Faso. En faisant le dilatoire et en accueillant même les présidents du Sénégal et du Bénin, Gilbert Diendéré savait qu’il pouvait compter sur la Cedeao. Seule l’Union Africaine avait alors, et très clairement, pris le pari du peuple burkinabè en identifiant les putschistes comme des gens de terreur, sans foi ni loi, de vrais « terroristes ».


Partout les Africains recherchent et reconnaissent la démocratie

Bien heureusement, la voie étroite vers l’État de droit ainsi que les difficultés inhérentes ne rendent pas inaccessible le grand boulevard du droit des Peuples africains à la démocratie et à la dignité. Mise en réserve pendant trop longtemps, c’est réellement en termes de dignité que se pose désormais la question de démocratie dans les pays retardataires, aux citoyens diversement ambitieux, pourtant : Burkina Faso, Burundi, Congo, Togo, etc.

Le parti pris des Africains pour la démocratie est réel et intense; parfois incompréhensible pour certains analystes complaisants, mais toujours authentiques en engagement. Car, souvent pris au piège des coups d’État, les populations africaines ne se sont jamais laissé tromper dans leur flair aiguisé de la dignité. Partout et en toutes circonstances, elles poursuivent la démocratie, rien que la démocratie partout où elle est maquillée. Au Niger, ces populations africaines avaient applaudi le renversement de Mamadou Tandja le 18 février 2010 par un coup d’État, parce que conformes à la volonté républicaine et démocratique. Le crépitement des armes sert aussi à protéger la démocratie et la dignité des populations.

Au Burkina Faso par contre, l’imposture du coup de force du 17 septembre 2015 n’a échappé à aucune vigilance démocratique. Le coup d’État de Gilbert Diendéré était anachronique et destiné à rétablir une nomenklatura chassée du pouvoir, et qui continue d’ailleurs à faire des siennes. Et la fausse excuse que soient recalés –pour les seules élections prochaines, certains des partisans les plus acharnés du projet liberticide de changement constitutionnel de Blaise Compaoré en octobre 2014, ne sauraient valablement justifier le coup de force des adeptes du statu quo. Le crépitement des armes ne doit servir qu’à protéger la démocratie et la dignité des populations.

Les démocrates africains persistent à rejeter le coup d’État du Burkina Faso, comme les populations continuent d’ailleurs à dénoncer la manigance référendaire concoctée et annoncée par Denis Sassou Nguesso le 21 septembre 2015. Dans ce cas également, manifestement, le but recherché est bien de pervertir la renaissance démocratique au Congo comme tente de le faire d’ailleurs Joseph Kabila sur l’autre rive du fleuve Congo. On comprend pourquoi le mot clic « #sassoufit » est devenu si populaire au point de se transformer aussi facilement en mouvement de révolte malgré les contre-attaques du régime Sassou. Ça suffit!

Malgré tous les soubresauts, il est indéniable que la réserve démocratique dont disposent tous ces Peuples africains en lutte pour leur dignité est encore intacte et même inépuisable jusqu’à la victoire finale. Depuis tout le temps que l’on parle de démocratie et d’alternance en Afrique, en Afrique francophone surtout, c’est véritablement au tour des dirigeants de comprendre la profondeur de ce besoin nécessaire à l’enthousiasme de la réconciliation et du développement. Les Peuples africains ne peuvent pas toujours être des victimes de leurs propres dirigeants. Une Afrique démocratique, ça presse pour passer à autre chose : rendre les uns et les autres, pouvoirs et oppositions, États et institutions, comptables du développement des pays africains.


Horizon


Rédigé par psa le 01/10/2015 à 01:00