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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Lettre Ouverte


« Un trésor de démocratie est caché en vous »
À
Faure Essozimna Gnassingbé
Président de la République Togolaise




Monsieur le Président de la République Togolaise,

La politique est une assignation à l’espoir. Dans le cas du Togo, cela est d’autant plus vrai que vous connaissez les attentes élevées de démocratie qui drainent vos compatriotes, depuis plus de cinquante ans, ainsi que les promesses de réconciliation qui ont été les vôtres à destination de ce Peuple. De partout, une convergence s’élève encore pour vous le rappeler; vous appeler à votre devoir d’un autre Togo qui appartient enfin à son époque et féconde l’ensemble de ses enfants. Tout pays doit faire rêver ses enfants; le Togo que vous dirigez ne fait pas rêver les Togolaises et les Togolais et ne les rend pas fiers ni heureux.

L’histoire politique du Togo ne vous échappe donc pas. Pour mémoire, les faits incandescents de cette histoire politique togolaise restent toujours brûlants. À une Nation togolaise surprise et totalement médusée devant le tout premier coup d’État réussi dans une jeune Afrique indépendante –aux premières heures du 13 janvier 1963 et soldées de surcroît par l’assassinat du président démocratiquement élu— il est resté au Peuple togolais un traumatisme d’un retour légitime à la République.

Cet espoir collectif d’un avenir digne d’une République est resté inassouvi. Le règne de votre père Étienne Eyadema Gnassingbé dont le destin a partie liée avec celui du Togo –un règne long, lourd et encore plus traumatisant— s’est achevé en se réincarnant en vous, dans ce nouveau siècle, le 5 février 2005.

Alliés à la patience et même adeptes de la Providence, les citoyens du Togo ont espéré de vous voir transformer les innombrables occasions en sursauts démocratiques probants, sans équivoque aucune. Au contraire, l’amoncellement de vos Mens Rea, aussi bien objectifs que subjectifs, se sont cristallisés, en vous et autour de vous, pour n’établir que votre volonté de confiscation du pouvoir ainsi que l’aliénation du désir démocratique des Togolaises et des Togolais. Depuis, tout type d’élection au Togo possède sa dramaturgie et sa tromperie, en amont, en aval et dans son déroulé même.

Avril 2005, mars 2010 et avril 2015 : trois élections présidentielles dans un contexte constitutionnel déjà problématique et toxique –depuis le fameux toilettage du 31 décembre 2002 ainsi que votre inoubliable « forcing » de février-avril 2005— et jamais vous n’avez été le choix régulier, crédible ou enthousiaste de vos concitoyens. Toujours, vous vous êtes imposé à coup d’incantations, de proclamations, de répressions, d’arrestations et d’intimidations outrancières. D’ailleurs, divers rapports, mémorandums et comptes rendus de nombreuses institutions internationales dont des organes de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ont invariablement établi des constats effroyables, à grande échelle, qui incombent et que ces organismes imputent à « l'ensemble de l'appareil répressif et sécuritaire de l'État (police, gendarmerie, forces armées tous corps confondus) en coordination avec des partisans organisés du pouvoir politique ».

Malgré tout, aujourd’hui, il y a un consensus certain et sans équivoque au Togo même, dans sa diaspora toujours portée par l’exercice d’une citoyenneté active et dans la communauté internationale partenaire du Togo, pour un État de droit et l’avènement de la démocratie sur cette « Terre de nos Aïeux ». À l’instar de toutes les Nations, dont celles des trois pays limitrophes –le Ghana, le Burkina Faso et le Bénin, avec lesquels les populations togolaises partagent diverses composantes sociologiques autant que des valeurs humaines fondamentales— les citoyens du Togo aspirent véritablement à une République.

Et le temps, cet autre nom matériel de la Providence, leur donne raison pour qu’enfin tombent toutes les justifications subalternes et les fictions politiques; pour qu’enfin le Togo s’ajuste à l’heure du monde et, de lui-même, se serre au plus près de la vérité historique de démocratie qui caractérise le pays et son Peuple, depuis le dimanche 27 avril 1958 –la date du référendum consacrant l’indépendance nationale après un OUI retentissant de ses vaillantes populations— et sous le regard impartial de l’ONU. La liberté et la démocratie sont véritablement inscrites dans les gènes fondateurs du Togo, contrairement aux trompeuses apparences du moment. Une épouvante peut en cacher une autre, puisque toute situation possède son revers.


Monsieur le Président de la République, Vous ne saurez constituer aussi durablement et aussi iniquement un obstacle au retour à la République au Togo. Par la République, les millions de vos compatriotes entendent la démocratie, l’État de droit, la réconciliation des Forces armées et de sécurité avec le Peuple, l’indépendance et le respect des institutions, tous ces soubassements indispensables au rétablissement de l’espoir et de la fierté chez toutes les filles et tous les fils du Togo, du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, en cette « Ère des Peuples » où « Rien n’est plus imminent que l’impossible ».

La République s’entend donc comme la certitude d’une Justice indépendante et accessible, la prévalence d’un contrat social d’unité nationale et de réduction des inégalités, la concordance entre les saines rivalités et les complicités utiles au développement, la reddition de compte ainsi que la fin de toutes les impunités, de toutes les incompréhensions et de toutes les frustrations, la mise en œuvre effective d’un modèle de Vérité et de Grand Pardon, la levée de toutes les barrières et de « tout mauvais esprit qui gêne l’unité nationale », l’alternance politique vivifiante d’une administration publique ou privée dépolitisée et professionnelle, la gestion de toutes les complexités sociales, culturelles et régionales, la fin des confrontations, des exclusions et de tous les exils intérieurs et extérieurs, la résurgence du devoir citoyen et du prestige civique dans toutes les représentations publiques, l’enthousiasme des hommes et des femmes qui se redresseront pour reconquérir aussi bien leur destin que leur environnement ou tout simplement la foi en leur famille et en leurs concitoyens, la renaissance du sourire au visage des enfants du Togo, où qu’ils se trouvent et sans discrimination dans ce Togo qui vous a vu naître aussi, vous-même, le 6 juin 1966.

Certes, le retour à la République au Togo diminuera certains des privilèges; les vôtres sûrement, les prérogatives de vos amis, les passe-droits de vos nombreux protégés et même les avantages de votre famille. Mais en échange, la dignité et la quiétude des uns et des autres seront redorées. Pékin, pas plus que Rome, Paris, Washington, Bruxelles, Bonn, toute la course autour du monde et même dans les autres chancelleries africaines ne sauront vous nourrir de respect, racheter tant d’âmes autour de vous, et vous restituer l’honneur, la dignité et la légitimité autant que les cités, les contrées et les communautés togolaises ne sauront mieux vous en procurer. Le Peuple togolais est votre salut. Avancez vers vos concitoyens, ils vous accueilleront.

Le Peuple togolais attend; le Peuple togolais vous attend depuis trop longtemps. À l’impatience du Peuple togolais peut se substituer son courroux. À tout moment, les gémissements du Peuple togolais peuvent donc se transformer en rugissements. Par quel qu’entêtement que ce soit, pas besoin d’exciter davantage et pour longtemps encore, toutes les colères du Togo. La mise en spectacle des malheurs du Peuple togolais et leur déni ne peuvent servir à masquer la non-démocratie persistante.

Finalement, il n’est point besoin d’en arriver à la sauterie des temps anciens révolus, à tout autre carnage au Togo, à la vindicte populaire même programmée; il n’est nullement besoin d’en arriver là, uniquement parce que l’Histoire en ébullition qui se vit de nos jours au Togo, en Afrique et partout ailleurs n’aurait tout simplement pas été sagement interprétée, par vous-même et par les personnes qui gravitent autour de vous en faisant barrage à toute onde de changement politique. Pas besoin d’aucune irritation sociale supplémentaire ni d’aucune autre poursuite de l’aventure politique courante, particulièrement dénuée de toute qualité républicaine. Qu’il est donc temps de passer le Togo à la démocratie dans une démarche consensuelle moins coûteuse.


Monsieur le Président de la République, Vous conviendrez avec nous que dans le panthéon de la démocratie africaine, il n’existe pas de personnes parfaites sur la grande liste des Hommes d’État abolitionnistes de la dictature dans chacun de leur pays, que ce soit par exemple Nelson Mandela, le Mādibā, en Afrique du Sud, Mathieu Kérékou, le Caméléon, au Bénin ou John Jerry Rawlings, le «Junior Jesus », au Ghana et même Thomas Sankara, le « Gringo » qui a su oser, lui, inventer le tout Burkina Faso.

Tous ces héros aux noms devenus emblématiques ne sont pas des êtres parfaits. Mais, à un moment donné de l’histoire politique de leur pays, leur personnalité, leur responsabilité et leur devoir furent d’une seule et unique pièce identique, reconnaissable de partout : l’éthique républicaine. Et l’éthique est au-dessus de toute loi et de tout héritage; elle guérit même de la peur des revanches et des règlements de comptes. En réalité, l’éthique est l’essence des actes durables; elle commande donc autant les lois que les comportements, dont ceux des dirigeants qui osent devenir des Hommes d’État de référence, ceux-là qui savent éviter les illusions d’une miséricorde commercée, pour choisir de n’atteindre que les désirs profonds de leurs Peuples.

Mandela, Kérékou, Rawlings, Sankara et bien d’autres ont su poser des actes du bien, des actes éthiques, des actes républicains pour humaniser leur imperfection. Ainsi, au péril de leur vie, ils ont pris l’initiative des actes courageux compatibles avec leur contexte pour semer, induire et instaurer l’audace de la démocratie dans leur pays, susciter l’admiration et devenir les références que nous connaissons et encensons aujourd’hui. Au détriment de leurs privilèges, ils ont ainsi réalisé le bonheur de leur Peuple et ont reçu en retour les leurs propres, estampillés d’un même sceau universel de bravoure, de protection et de considération.

Mandela, Kérékou, Rawlings et Sankara étaient tout, sauf de saints hommes; ils ne sont que des humains ayant choisi de dévier de la trajectoire d’une fatalité toujours aux aguets dans chaque vie, et de s’en affranchir pour celle de la « La Grande Humanité » qu’invoque d’ailleurs, si curieusement, si majestueusement, l’hymne national togolais. Voir grand pour soi et son Peuple est donc togolais, et se traduit par l’invitation sublime à l’alchimie de toutes les transformations humaines : être « Seul artisan de ton bonheur, ainsi que de ton avenir » que chacune de ces personnes a su mettre en application pour instruire des générations.

Résolument, toute Togolaise, tout Togolais, de sa position aussi unique et for de tant d’invocations, d’exemples et de lettres peut et doit faire l’heureuse Histoire de notre pays, cette « Terre de nos Aïeux » qui saura lui en retourner davantage. Car, « l’attachement formel aux règles conduit à ne pas voir le salut » alors même que « Le nom de Dieu est miséricorde » vraie.


Monsieur le Président de la République, Un trésor de démocratie et une mine de popularité à exploiter sont indéniablement cachés en vous. Vous êtes assis sur le rêve démocratique des Togolaises et des Togolais. Levez-vous! Osez vous lever pour aller à la rencontre de vos concitoyens. Vous en êtes capable; donnez-vous-en seulement le courage, la détermination, l’audace, et un jour nouveau se lèvera au Togo. Vos concitoyens n’attendent qu’un autre versant de votre personnalité pour vous réhabiliter d’un passé trop vorace qui peut, à tout moment, se retourner contre vous; un passé trop lourd dont vous ne pourrez vous défaire seul, par maintes astuces, feintes et esquives, par une si malicieuse et improductive inflexibilité en somme. Il est temps!

C’est bien à ce tournant précis que se retrouve le Togo actuellement, jours de vos cinquante ans. Jamais la liberté, la dignité et la démocratie ne fatiguent les Peuples; elles ne fatigueront donc pas les Togolaises et les Togolais. Mais, votre adhésion pleine, et entière à cet idéal, commun et connu du « Togolais viens, bâtissons la cité » propre à la République, cette adhésion sincère reste une porte ouverte que vous pouvez encore franchir en direction de vos concitoyens. Et alors, vous serez agréablement surpris de leur réaction, de leur accueil et de leur promptitude à vous octroyer les dividendes de votre vertu républicaine retrouvée.

Respectueusement, en leur nom, « Au nom de tous les nôtres » qui ont fécondé nos caractères, nos éducations, nos instructions et nos vaillances, nous en sommes persuadés. Car, l’acte républicain du bien triomphe toujours, et il triomphe durablement, partout, lorsqu’il est offert par une main ouverte, sincère et non armée, une main qui donne accès à chacun de ses doigts qui sont autant de richesses républicaines : Vérité, Liberté, Justice, Pardon et Réconciliation. La «surprenante léthargie » postélectorale qu’observent si éloquemment les Évêques togolais ne peut valablement plus constituer un refuge à l’inaction et à l’indifférence qui se sont installées au point de constituer une néfaste « irresponsabilité tranquille ». La non-démocratie, l’autoritarisme et l’invouloir ne peuvent avoir le dernier mot au Togo; notre pays ne peut plus continuer à faire bande à part.

Le Peuple togolais est notre salut à tous, faisons-lui confiance. Ensemble, « brisons partout les chaînes » qui nous enserrent dans le passé en nous limitant aux choix politiques à contresens de la grande Histoire; des choix et des décisions politiques qui privent le Togo de lui-même, l’éloignant constamment de la démocratie, de la réconciliation et du développement. Le temps est venu d’offrir l’occasion à tous les nôtres de recouvrer leur fierté, leur intégrité et leur enthousiasme. D’ailleurs, le quotidien des nôtres renseigne énormément : au Togo, sur la « Terre de nos Aïeux », l’urgence a quitté le domaine étroit de la politique politicienne et elle loge dorénavant dans le vaste champ de la responsabilité et de la dignité humaine. L’opportunité est donc là, ici, maintenant, de faire le Togo autrement, volontairement et sincèrement, Monsieur le Président de la République Togolaise.



Diplomatie Publique


Rédigé par psa le 06/06/2016 à 00:00



L’Église togolaise n’a pas toujours été un lieu de riposte, fidèle et constant, face à l’arbitraire. De temps à autre pourtant, il en déborde un trop-plein pour atteindre les citoyens. Le surgissement du « Soyons responsables dans la justice et la vérité », une Lettre pastorale, en est le parfait exemple. Jamais le clergé catholique n’aura été aussi loin dans ses propres responsabilités de dire la vérité sur l’inacceptable politique qui persiste au Togo ainsi que la tragi-comédie gouvernementale des artisans et partisans du système qui enserre les citoyens en les privant de l’alternance, par toutes sortes de subterfuges et de folklorisation de la démocratie, à toutes les occasions.


Au Togo, une main de Dieu se fait visible
Comme dans Les Misérables, n’en pouvant plus, tous « les prêtres de la république » finissent par donner des « hosties du devoir » et distribuer de la responsabilité à tous les citoyens. S’ouvre ainsi au Togo, une période particulière : la main de Dieu sème la dissidence et, en une voix unie, ses dignitaires prononcent la dénationalisation de l’indifférence, après avoir fait une démonstration solide de leur devoir d’intervention : #IdleNoMore ou #SilentNoMore dans un #ÉtatPatapa, c’est unique, c’est du sérieux et c’est du pain bénit. Du pur Jésus Christ en somme, infatigable au milieu des siens et toujours prêt pour la rédemption du pécheur, sans vengeance ni rancune.

Ce peuple reconnaîtra-t-il une telle occasion et saisira-t-il une opportunité si admirable pour se projeter audacieusement dans l’avenir? Pour l’instant, silence d’un côté émulation de l’autre et, au milieu, le grenouillage classique des éternels indécis qui n’ont jamais su quel dieu adorer, à quel saint se vouer, à quel camp appartenir, de quelle dépendance s’affranchir, à quelle lutte s’adonner.

Acculé par l’évolution de l’environnement politique tout autour du Togo, le pouvoir togolais tente des actes désordonnés d’apparence ouverte, catholique même, comme pour annoncer une soudaine conversion démocratique : retrait d’accusations fantaisistes et vexatoires, libération de personnes innocemment détenues, et tant pis pour les victimes aux vies hypothéquées. L’exception togolaise de non-démocratie couplée à d’institutionnelles menteries ne cesse de contrarier désormais : elle gène, elle manque d’air, elle suffoque, elle peut difficilement prospérer dans une saison si nouvelle et dans un monde si changeant où « les monstres disparaissent devant les anges et que la Fatalité s’évanouisse devant la fraternité » pour reprendre les propos d’Enjolras.

Véritablement, cette époque des lendemains démocratiques de tous les pays limitrophes du Togo –Ghana, Bénin et Burkina Faso, cette époque cesse d’être un simple intermède cyclique. Longtemps banale, l’époque actuelle devient un âge d’or pour la fin de l’inaction caractéristique de la « surprenante léthargie » qui voudrait taire le devoir de changement politique au Togo et faire accroire que tout va bien. Non, rien ne va et plus rien n’est comme avant.

Courageusement, l’Église togolaise, traditionnellement précautionneuse, s’est invitée dans le débat politique, se refusant même à « faire semblant (…) comme si, par enchantement, toutes les questions que nous nous étions engagés à examiner après les échéances électorales avaient simplement disparu ». C’est à croire qu’à la table du Père, tous ses enfants, religieux et non religieux, s’installent en héritiers égaux sans gêne désormais, devant l’avenir d’une nation véritablement en crise. Il y a d’abord, encore et toujours du travail politique équitable à faire au Togo et personne ne peut plus ignorer une telle réalité. Toutes les médailles, toutes les invitations aux célébrations et autres missions de scarification et d’allégeance peuvent attendre…

Au Togo, une main de Dieu se fait visible
Finalement aucun citoyen togolais ne s’est habitué à l’hypocrisie

Dire l’insupportable n’est pas chose aisée. Persister à le dire et l’écrire illustrent une vocation. En arriver à conceptualiser le tout et y rallier les siens ainsi que diverses chapelles deviennent une prescription pastorale et une homélie métaphorique, particulièrement dans un pays où l’on n’est généralement d’accord que sur les désaccords. Songée, historique et non tapageuse, la Lettre pastorale du 27 avril 2016 est, sans extrapolation, la fin d’une omission que : l’abus d’une situation anhistorique ne peut indéfiniment altérer l’avenir démocratique de tout le peuple togolais. C’est le signal qu’un nouveau contexte gagne du terrain au Togo, et il interpelle tous les acteurs.

C’est même l’ère de la dissidence par rapport à l’apathie, la peur, la haine et la méfiance, pour reprendre les mots de l’illustre Thurgood Marshall, premier juge africain américain de la Cour Suprême des États-Unis. L’éminent défenseur des droits civiques, un diplômé de l’emblématique Howard University à Washington DC par ailleurs, disait et proclamait notre devoir universel dans les heures sombres de nos pays, lorsque la dignité humaine et le respect des citoyens sont délibérément bafoués sous le couvert des lois iniques et des volontés tremblantes : «Nous devons de la dissidence à l'apathie. Nous devons rompre avec la peur, la haine et la méfiance » (We must dissent from the apathy. We must dissent from the fear, the hatred, and the mistrust.)… C’est aussi au nom de cette universalité de la dignité humaine que tout un autre Togo doit naître sur la « Terre de nos Aïeux », et même ceux et celles qui consacrent leur vie à animer la parole divine ne conçoivent plus l’insoutenable légèreté qui perdure au pays de leur mission terrestre.

Effectivement, la responsabilité à laquelle les Évêques togolais appellent leurs compatriotes, particulièrement les gouvernants, est une distance par rapport à la fiction ambiante que le Togo pouvait demeurer dans cet état de non-démocratie et de répression constante au profit d’une caste, un groupe identifiable et bien identifié qui, au vu et au su de tout le monde, oppresse et « accapare les ressources au détriment du plus grand nombre » au point d’instaurer et de perpétuer dans toute la nation togolaise « un déséquilibre nuisible qui menace jusqu’en ses tréfonds la démocratie et le progrès » dixit Faure Gnassingbé lui-même, rappellent encore les prélats togolais.

Comme au Togo rien ne va sans une numérologie fatidique, très curieusement, ce sont treize responsabilités qui sont identifiées pour instruire un incontournable devoir du nouveau départ au Togo : Reconnaissance de ce qui se fait; appel à la cohérence; appel à la transparence et à la mise en œuvre des engagements pris; élections locales; égalité de traitement des citoyens; combattre l’impunité et promouvoir le dialogue; veille citoyenne; action en faveur des valeurs citoyennes; collaboration au service de la personne humaine; cohérence de vie au nom de l’Évangile; constante démarche de conversion; fidélité au Seigneur; ni peur ni honte d’être chrétiens.

Dans un pays où la métaphore du serrement occasionnel de mains et des correspondances systématiquement ignorées et classées « sans réponse » ont remplacé la métaphore des dialogues mythiques, dans un pays où l’Assemblée nationale s’était délégitimée elle-même en n’étant qu’une docile Chambre d’enregistrement de tous les desiderata outrageants de la dignité d’émancipation démocratique des populations, dans un pays où les rêves de liberté ont été pris, pour être depuis si longtemps confisqués ou transformés en menottes et en répressions, les citoyens du Togo ne se sont jamais habitués à l’imposture. Tout simplement parce que l’insupportable n’a rien de normal pour les Togolaises et les Togolais; même pas pour les prélats du pays, pourtant des habitués à adoucir le présent et prescrire le juste Ciel dans l’au-delà.

Au contraire, la Lettre pastorale publiée par la Conférence des Évêques du Togo (#CETogo) révèle ouvertement l’appartenance fidèle du clergé à un peuple togolais sans pitance, le refus des Évêques de participer à l’indifférence ambiante et, mieux encore, l’invitation explicite faite aux politiciens, aux partis politiques, aux forces armées, à la diaspora, à la société civile, aux hommes et aux femmes de bonne volonté, à tous les croyants d’assumer leurs responsabilités de Justice et de Vérité en vue de l’alternance au Togo. Jamais un appel aussi large n’aura été si intimiste, si grand et si interpellatif de toutes les consciences togolaises, où qu’elles se logent. Finis l’indifférence et le silence; voilà que tous nos « Tonton Father » se lèvent et s’y mêlent, ils reviennent au naturel de la solidarité humaine ainsi qu’aux fondamentaux de toute nation qui se respecte, en s’éloignant des malheurs engendrés par une forme « d’irresponsabilité tranquille » et une posture de politesse du désespoir qui répète souvent « Moi, je ne fais pas de politique ». Eh bien, ce temps est révolu dans l’état lamentable où se trouve le Togo, constate son clergé.

C’est en cela que le changement pour la démocratie, l’alternance, la réconciliation et le développement au Togo ne viendra avant tout que de la volonté de chaque citoyen à voir tout aussi grand et tout aussi politique que le clergé, devenir un grand Togolais, une grande Togolaise, dans chaque acte quotidien jusqu’à la victoire finale de la dignité à restituer aux populations. C’est surtout pour cela que personne ne veut le changement et la renaissance du Togo pour soi, mais bien pour tous. Ici et maintenant, nous disent les Évêques; ici et maintenant, nous consentons.


Diplomatie Publique


Rédigé par psa le 19/05/2016 à 01:00



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