Annoncé politiquement mort à maintes reprises ces dernières années, Mahmoud Abbas pourrait bien finalement s’inscrire dans l’Histoire comme étant l’homme qui a précipité la reconnaissance d’un État palestinien après plus de soixante années de vaines luttes. Le président de l’Autorité palestinienne va demander ce vendredi l’adhésion de son pays à l’ONU en tant qu’État membre à part entière. Il fait ainsi le choix d’entrer en collision frontale avec Israël et son principal allié américain, qui a déjà annoncé son veto à une telle démarche.
Il a pour lui une bonne dose de légitimité. Juridique, d’abord, avec un droit international qu’il ne demande qu’à faire appliquer. Politique, ensuite, en dénonçant le blocage depuis deux ans des négociations de paix et la poursuite par Israël de la construction de colonies. Populaire, enfin, puisqu’une large majorité de Palestiniens et d’Arabes le soutiennent, de même qu’une frange grandissante de l’opinion internationale. Sans oublier la promesse du président Barack Obama, il y a tout juste un an, d’accueillir un 194e État lors de l’Assemblée générale de l’ONU qui s’ouvre cette semaine.
Son geste n’en demeure pas moins un pari risqué. Mahmoud Abbas sait en effet qu’il va irriter ses principaux bailleurs de fonds, américains et européens, et provoquer des mesures de rétorsion financières de la part d’Israël. Il sait également que son geste – non suivi d’effet concret et immédiat – peut nourrir les frustrations de son peuple et donc ranimer le cycle des violences. Il sait enfin que le Hamas, toujours en embuscade, serait le principal vainqueur de cet épisode s’il devait sortir humilié de son passage par la case ONU.
S’il persiste, c’est que Mahmoud Abbas est aujourd’hui convaincu que le vent de l’Histoire est cette fois-ci du côté des Palestiniens. Difficile de lui donner tort. Le Printemps arabe a déclenché un mouvement qui rend le statu quo actuel totalement anachronique. Le repli du gouvernement israélien derrière ses murs apparaît de plus en plus pour ce qu’il est: un déni de réalité. Les promesses d’une paix ne peuvent plus se substituer à la paix elle-même. Et celle-ci ne peut se réaliser que dans l’acceptation d’un nouvel État.
La demande d’adhésion de la Palestine à l’ONU, est contestée par les États-Unis et provoque beaucoup de remous diplomatiques. La délégation palestinienne à New York affirme qu’il s’agit là d’une stratégie de long terme dictée par l’échec du processus de paix. Une fois leur demande d’adhésion à l’ONU déposée, les Palestiniens ne s’attendent pas une décision rapide du Conseil de sécurité. L’important étant de commencer le processus d’adhésion, peu importe s’il n’aboutit pas dans l’immédiat.
Droit de veto
« Ce n’est pas un bluff, affirme Nabil Shaath. Nous allons essayer et si nous échouons, nous reviendrons devant le Conseil de sécurité plus tard. L’adhésion à l’ONU a pris neuf mois pour la Macédoine, un an et demi pour Israël et cinq ans pour la Jordanie ». La démarche palestinienne au Conseil de sécurité prendra sans doute plusieurs semaines ou plusieurs mois. Les Palestiniens se tourneront ensuite vers l’Assemblée générale pour un statut intermédiaire d’État non membre.
Les efforts américains ont été vains : Hillary Clinton a reconnu, en quelque sorte, son échec en déclarant : « Quoiqu'il arrive vendredi nous restons concentrés sur le jour suivant ». Le jour suivant, c'est une façon de parler puisqu'il n'y aura pas de vote immédiatement au Conseil de sécurité sur cette demande d'adhésion. La procédure peut prendre plusieurs semaines. La France compte sur ce délai pour débloquer la situation, éviter un veto américain et éviter que la rue arabe ne s'embrase sur cette question palestinienne. Mais sans même parler de veto, la demande palestinienne, pour passer, doit être validée par neuf voix sur quinze au Conseil de sécurité. Quel est le rapport de force au sein du Conseil ?
Pour l'instant, cinq membres soutiennent officiellement la démarche palestinienne. La Chine, la Russie le Brésil, le Liban et l'Afrique du Sud souhaitent que la Palestine devienne un État membre à part entière. Les États-Unis sont farouchement opposés au projet palestinien. La Colombie qui fait aussi partie du Conseil de sécurité va s'abstenir. Une position qui arrange les Américains. La délégation palestinienne à l'ONU affirme que trois membres sont sous pression américaine pour voter contre : la Bosnie, le Gabon et le Nigeria.
Et puis il y a ceux qui laissent planer le suspense : l'Inde, L'Allemagne, la Grande-Bretagne. À la tribune de l'ONU, David Cameron s'est placé dans les pas des Américains : « Aucune résolution des Nations unies ne peut à elle seule se substituer à la volonté politique nécessaire pour amener la paix », a déclaré le chef du gouvernement britannique sans dire quel serait son vote. La France répète que la question de son vote ne se pose pas, puisqu'il n'est pas programmé. Paris a proposé un plan intermédiaire pour éviter justement de placer le Conseil de sécurité dans une position trop délicate. /////////Frédéric Koller, Karim Lebhour