Profil
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.
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Frédéric Koller, envoyé spécial à Chicago du journal suisse Le Temps a vécu l’histoire et rend témoignage, ici, avec une diversité enrichissante de perspective. Ville d'Al Capone devenue cité de Barack Obama, Chicago incarne désormais le changement universel. « Bienvenue à Obama City, la mégapole où tout est devenu possible » titre ce matin Le Temps genevois.
Jesse Jackson
«C'est incroyable! Le prochain président des États-Unis, l'homme le plus puissant de la planète, habite juste au bout de la rue. A quatre blocs de chez moi. Ce pays est dingue!» Joey est chauffeur de bus sur la ligne 28, celle qui sillone Hyde Park, son quartier. Et celui de Barack Obama. Du moins pour deux mois encore, avant qu'il ne déménage à la Maison-Blanche.
Si la planète s'enflamme pour Obama, imaginez Chicago, sa ville d'adoption, son berceau politique, son terreau social. Cette mégapole de 8 millions d'habitants, sans qui Obama ne serait pas Obama, est sur le point de verser dans le culte de la personnalité, version américaine. Dans la cité des Vents - un surnom qu'elle doit autant au climat qu'à ses promesses non tenues -, l'ivresse est contagieuse. Au pub: «Cheers Obam!» hurle un groupe de dames. Dans la rue, les jeunes portent des T-shirts Obama, les Noirs des casquettes Obama, les mendiants des badges Obama. A la radio, le dernier discours d'Obama passe en boucle, remixé, en musique, en intégral. Le maire - démocrate - a décoré le centre des affaires avec des bannières pour féliciter Obama. Au restaurant, dans les bus, à la maison, au travail, Barack Obama est de toutes les conversations.
De l'ancienne école de Barack à Djakarta...
«Au sommet du monde»
Dans Chicago, le jour d'après, les gens courraient dans les rues pour s'arracher les journaux. Le surlendemain de l'élection, jeudi à 8 heures, tous les kiosques étaient à nouveau dévalisés. Historique. Tout le monde a le mot à la bouche. Alors on collectionne tout ce qu'on peut. «Jamais je n'aurais cru vivre cela de ma vie, dit une femme qui fait la queue pour un exemplaire du Chicago Tribune. Un jour, je le montrerai à mes petits-enfants et je leur dirai: j'y étais et j'ai fait partie de l'histoire.»
Ce jour-là, le journal titre: «Au sommet du monde». Barack Obama bien sûr. Mais aussi Chicago. «Nous avons divisé l'atome, inventé les gratte-ciel, détourné une rivière, relié un continent par le rail, bouchoyé les porcs de la planète entière, reconstruit une ville sur ses cendres après un incendie historique, élevé la corruption à une forme d'art et inventé la machine politique, écrit l'éditorialiste. Chicago, ville des superlatifs et de l'ingéniosité, n'avait pourtant pas encore produit le leader américain suprême. C'est chose faite.»
... à Kogelo, au Kenya avec la belle mère Grace Kezia Obama.
«Mon mari sourit à nouveau»
Cette victoire a aussi un goût de revanche dans cette cité pionnière, mais cantonnée aux seconds rôles derrière New York ou Los Angeles. L'éditorialiste poursuit: «Bien sûr, Chicago a toujours été cosmopolite. Mais sa grandeur urbaine est demeurée l'un des secrets les mieux préservés. A ce jour, jusque dans les coins les plus reculés du globe, beaucoup continuent à associer la ville, selon une image renforcée par Hollywood, au banditisme et à Al Capone.»
Ces temps sont révolus. Aujourd'hui, à Chicago tout est possible. «Avec Obama, nous aurons les Jeux olympiques de 2016, dit Cory, membre du service de sécurité de la méga fête organisée mardi soir au cœur de Chicago pour célébrer le nouveau président. L'argent fédéral va affluer vers notre ville pour les pauvres, pour les infrastructures, pour du travail. Les choses vont s'améliorer. C'est certain.»
Désormais, les Chicagoans sont fiers. «Mardi j'ai pleuré, explique Meena Razvi, consultante en perceptions culturelles (sic). Hier j'avais perdu espoir. Aujourd'hui tout est possible. Je pensais mourir sans voir cela. Les femmes, les jeunes, toutes les ethnies derrière un seul homme, clair, consistant, visionnaire. Pour la première fois depuis le 11 septembre 2001, mon mari sourit. Il est à nouveau fier.» Le mari vient du Pakistan. Elle est originaire du Kenya. «Comme Obama. Jusqu'ici personne ne s'en souciait. Aujourd'hui tout le monde m'interroge!»
Les immigrés de fraîche date ne boudent pas non plus leur plaisir. Chauffeur de taxi, Oliseh est arrivé du Nigeria il y a quatre ans: «J'étais au rally mardi soir. Les Africains sont fiers. Enfin quelque chose de bien qui vient d'Afrique. Ma famille m'a appelé toute la nuit.»
Mêmes les sceptiques sont emportés par la vague. Comme Michael Foley. Depuis deux ans et demi, cet informaticien de 66 ans se poste tous les mercredis après-midi sur une place du centre des affaires avec cette pancarte: «Quittons l'Irak aujourd'hui». Il y a trois semaines, il a changé de message: «Le Congrès nous a entubés». «Il a bien marché celui-là.» Michael Foley n'a pas voté et il pense qu'Obama ne changera rien à l'affaire. Mais il est heureux de cette élection «car les gens se sentent mieux».
L'Histoire est devenue d'une joie inconsolable
A la paroisse de Wright...
Si Chicago est le berceau de l'«obamaïsme», la ville a bien failli aussi être le lieu de son tombeau. L'association de Barack Obama avec Jeremiah Wright - «un ami depuis vingt ans»- aurait pu tourner à la Berezina lorsqu'en début d'année certains médias et les Républicains ont reproduit des phrases incendiaires du pasteur dénonçant dans ses prêches le racisme et les génocides de l'Amérique. Barack Obama s'en est sorti en se distançiant de son ancien mentor religieux et en prononçant un discours sur la réconciliation des races qui fait référence.
A la Trinity United Church of Christ, l'église de Wright jusqu'à sa retraite il y a peu, les journalistes ne sont plus les bienvenus. Une porte-parole indique que le nouveau pasteur n'a rien à dire sur l'élection d'Obama. «Vous trouverez une déclaration sur notre site internet. Et si les gens de la paroisse vous parlent c'est en leur nom propre.» Sur le site, rien. Dans ce quartier du sud de Chicago, à la lisière de zones de grande pauvreté et de classes moyennes, qui avait il y a encore quelques années une réputation de redoutable coupe-gorge, les fidèles sont unanimes: il n'y a pas de problème. «On a beaucoup exagéré les propos de Wright qui ont été tirés de leur contexte, explique un homme qui vend des T-shirts Obama. Mercredi soir, lors du culte, c'était extraordinaire.»
Capitale raciste...
Au bout de la rue Jeremiah Wright, la bibliothèque locale contient les archives du Chicago Defender, l'un des plus anciens journaux de Noirs aux Etats-Unis. Gracie Gaston, une bibliothécaire, soupèse chaque mot: «Pour nous, les Africains américains, cette élection a une signification historique et elle va apporter beaucoup de changements. Toutes les races se rejoignent. C'est la première fois, du moins pour ma génération.» Elle rappelle que la ville, qui était un temps considérée comme la capitale des Noirs aux États-Unis, fut aussi l'une des plus racistes. Après l'assassinat de Martin Luther King, en 1968, des émeutes dans ce quartier s'étaient soldées par la mort de sept personnes. Aujourd'hui, cela va beaucoup mieux. Pourtant, les lieux de mixité raciale sont réservés aux classes moyennes supérieures.
«Cette élection, c'est le destin, poursuit Gracie Gaston. Les gens étaient fâchés, à la dérive, les riches devenaient toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres. Et tout à coup tellement de portes se sont ouvertes. Quand Obama a emporté les primaires en Ohio, un État à 95% blanc, j'ai compris qu'il serait président.» Mieux, cette victoire ne s'est accompagnée d'aucune violence. Tout au plus la police de Chicago a-t-elle procédé, dans la nuit de mardi à mercredi, à quelques arrestations de Noirs sortis dans la rue pour célébrer la victoire à coups de pistolet.
Dans le petit musée DuSable d'histoire des Africains américains, on découvre la version noire de l'épopée du nouveau continent. Jean Baptiste Pointe du Sable, un métis franco-haïtien, fut le premier immigré à s'installer sur les bords de la rivière Chicago en 1779. Longtemps ignoré en raison de ses origines, il ne fut reconnu comme le père de la ville qu'en 1968. Barack Obama et sa femme Michelle, une descendante d'esclave originaire de Chicago, viennent régulièrement dans ce musée situé non loin de leur maison. La libraire connaît Obama depuis de nombreuses années pour avoir un temps fréquenté la même église. «Il est simple, direct, sympathique avec tout le monde. Il me fait beaucoup penser à Harold Washington, le premier maire noir de Chicago élu en 1983 et mort d'une crise cardiaque. Dès notre première rencontre, j'étais sûr qu'il deviendrait quelqu'un d'important. J'espère qu'il ne changera pas.» Les responsables du musée songent à créer une nouvelle pièce dédiée au premier président métis.
Dans le quartier de Hyde Park, une zone résidentielle de classes moyennes aux abords du lac Michigan, chacun a son histoire à raconter sur Obama. Tel chauffeur de taxi l'a vu le matin même faire son jogging avec ses gardes du corps. Tel autre gardien d'hôtel croit savoir qu'Obama, pour fêter sa victoire, mercredi, a invité toutes les personnes qui se rendaient dans tel restaurant durant toute la journée. Des enfants du quartier l'ont vu passer en vélo il n'y a pas si longtemps. Mais plus aucun étranger n'accède à sa rue. La police et les services secrets ont bouclé le périmètre. Car il n'est pas question de perdre l'homme le plus précieux de Chicago, avant qu'il n'ait entièrement réalisé son destin à la Maison-Blanche.
Diplomatie Publique
Rédigé par psa le 08/11/2008 à 14:29
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