Profil
Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Il est des mots que tu ne peux garder pour toi seul, tellement ils sont sincères et transpirent de la reconnaissance et de la profondeur… Il est des moments où l’authenticité du vécu vient t’auréoler mais alors par surprise. C’est pourtant un petit mot que j’ai envoyé à Frédéric, en découvrant son contact, par hasard, dans une recherche hier sur le Net. Et voilà qu’il déclenche des souvenirs en moi par son débordement d’enthousiasme et une amabilité communicative. Un autre en avait fait autant il y a quelques années, publiquement par deux fois : à son mariage –j’y étais, et à son lancement de magazine –j’y étais représenté. Les mots bienveillants de Fred aujourd’hui méritent d’être connus et partagés pour rendre témoignage de la beauté et de la force de l’éthique ainsi que sa durabilité. Faire aussi un clin d’œil à mes parents… C’est drôle que ce coté que nous tenons de Président, notre vieux père Prési qui vit des moments particuliers ces jours, ne semblent pas se dissoudre avec le temps; peut-être parce que je le cache trop bien en moi. Voici le plus simplement du monde ce que j’ai envoyé comme message à Frédy : « Salut Fred' -- Toutes mes amitiés... Tu peux me contacter par mon courriel. --- Au plaisir --- Courage ! » Et voilà tout ce que le Fred déverse sur moi et que je ne peux contenir ni retenir …


Rockwell, "The Problem We All Live With” à la Maison Blanche
Rockwell, "The Problem We All Live With” à la Maison Blanche
Salut Pierre,

Tu ne peux imaginer à quel point ça m'a fait plaisir de découvrir ton e-mail ce matin en parcourant ma boîte mail. Déjà 13 ans ont passé depuis la dernière fois que nous nous sommes vu la dernière fois à Montréal ! Tu ne t'en souviens sûrement pas mais après Montréal, j'ai rejoins à Paris, Annie, qui n'était alors que ma petite amie et pour qui j'ai renoncé à mon projet canadien. Amour quand tu nous tiens n'est-ce-pas ?

Nous ne sommes restés que quelques mois à Paris, le temps de profiter de cette période bénie qu'a été pour la France la coupe du monde de foot 98. J'ai vécu l'explosion de joie dans les banlieues quand Thuram a qualifié son pays pour la finale de la coupe du monde puis la frénésie, que dis-je l'ivresse black-blanc-beur qui a suivi la victoire des bleus face au Brésil. A ce moment-là, il faisait bon vivre à Paris et tous les espoirs de fraternité, justice et bla bla bla semblaient permis. 13 ans après, que reste t-il de ce doux rêve ? Beaucoup d'amertume semble-t-il. Toujours est-il qu'Annie et moi après quelques mois de réflexion avons choisi de plier bagage et de rejoindre notre île natale de Martinique dès l'été 98.

Annie est enseignante et n'a eu aucun mal à se recaser sur place. Pour ma part, après quelques emplois alimentaires, j'ai intégré une jolie maison française, la société Rémy Cointreau qui possédait en Martinique les rhums Saint James et à la Barbade les rhums Mount Gay. Je sais qu'ils sont présents au Québec. Les noms te diront peut-être quelque chose. J'y ai passé de très belles années comme représentant de la société sur la Caraïbe francophone et hispanophone. J'ai découvert des îles que je ne connaissais pas (Haïti, Rép. Dom, Cuba, Porto Rico) en vendant rhums, champagnes, cognacs et autres liqueurs. Je me suis beaucoup plu dans cet univers des vins et spiritueux qui est très sérieux de jour mais très festif dès que tombe la nuit, comme tu peux l'imaginer. Mais, j'ai fini par me lasser des restructurations incessantes qui secouent le secteur (les rhums Saint James ont par exemple été vendus par le groupe en 2003) et des petits chefs qui se succédaient avec pour seule vision de se bien faire voir de Paris et de repartir dès que possible avec une promotion. Ainsi à partir de 2008, j'ai décidé de m'établir à mon compte comme agent commercial indépendant pour aider des petites sociétés agroalimentaires désireuses de s'implanter ou développer leurs ventes en Caraïbe. J'ai noté le mot "Courage" dans ton e-mail et je sais que ce mot a de la signification venant de quelqu'un qui sait ce que c'est que créer et développer un business. Je m'arme donc de courage et de patience car la crise est passée par là et il faut être encore 3 fois plus rusé et plus endurant pour décrocher des marchés. Mais je tiens bon et je crois en l'avenir.

Côté perso, Annie et moi nous sommes mariés en 2000 et sommes les heureux parents de 4 charmants bambins qui nous comblent (encore) de leur affection. Le plus grand, Guillaume a 10 ans, puis est venue Chloé (8 ans), Emilie (4 ans) et Rodrigue (3 ans). Avec Rodrigue s'achève ma contribution à l'humanité… Je te joins une photo de la fratrie. Elle a déjà 2 ans mais, honnêtement, on ressemble encore à ça mis à part le petit Rodrigue qui a gagné quelques centimètres et gambade partout.
J'espère que tu vas bien cher Pierre. Comment va la famille ? Montréal est-elle toujours la ville charmante et hospitalière que j'ai connue ? Collabores-tu encore avec Claudette Brodeur ? Si c'est le cas, transmets-lui mes amitiés.

Tu ne me croiras pas mais il n'y a pas une semaine, je parlais de toi à ma femme. En effet, nous regardions une émission de caméra cachée "Juste pour rire" qui se passait dans une ville du Québec et j'ai cru te reconnaître dans un passant que les comédiens ont essayé de faire tomber sans grand succès dans un de leurs gags bien lourds. Tu peux donc imaginer la surprise que j'ai eue à découvrir ton e-mail ce matin.
Bien amicalement,
Frédéric


Ad Valorem


Rédigé par psa le 29/07/2011 à 21:12



Agota Kristof fumait beaucoup et parlait peu. Venue de Hongrie en 1956, elle avait péniblement appris le français, accaparée par son travail à l’usine et ses trois enfants. Le français deviendra ensuite sa langue exclusive d’écriture. La romancière d’origine hongroise est morte hier à Neuchâtel où elle vivait depuis 1956. «Le Grand Cahier», paru en 1986, l’a inscrite d’emblée parmi les grands auteurs francophones du XXe siècle.


Agota Kristof, 2004, par Olivier Roller
Agota Kristof, 2004, par Olivier Roller
L’exigence et le silence. Ce sont les deux mots qui viennent à l’esprit à l’annonce du décès d’Agota Kristof, hier, à Neuchâtel où elle vivait dans un appartement clair de la vieille ville. Elle qui avait connu une consécration immédiate avec son premier roman, Le Grand Cahier, en 1986, condensé d’effroi sur la guerre et le totalitarisme, n’écrivait plus depuis une quinzaine d’années. Quand on lui demandait pourquoi, elle disait qu’elle n’en avait plus envie. Et rien de plus. Elle laissait au silence le soin d’expliquer qu’elle préférait se taire plutôt que de bavarder. Plutôt que de s’éloigner de la littérature. Son fameux style, ses phrases évidées, comme extirpées de l’enfance, elle les avait trouvés au prix d’un travail acharné, exigence absolue pour dire ce qui ne peut l’être. C’est peut-être de cela en fait qu’elle ne voulait plus s’approcher, en gardant le silence. Le Grand Cahier est traduit dans plus de 35 langues et est étudié dans les écoles du monde entier.

Hongrie, 1956: Agota Kristof et son mari, un professeur d’histoire très engagé politiquement, fuient les chars soviétiques avec leur petite fille de quatre mois. À pied puis en car, ils atteignent Vienne puis Zurich puis Neuchâtel. Elle n’en bougera pas. L’exil, l’arrachement imposé, elle le gardera au cœur à jamais.

Agota Kristof trouve un emploi dans une usine horlogère à Fontainemelon. Elle pointe et se laisse bercer par le bruit des machines pendant cinq ans. Elle écrit des poèmes d’amour en hongrois aux longues et belles phrases. Tout l’inverse de ce qu’elle fera par la suite. Elle apprend le français pendant les pauses dans un gros dictionnaire hongrois-français.

Une fois appris, le français deviendra définitivement la langue d’écriture. Les poèmes d’amour triste sont écartés. Elle écrit plusieurs pièces de théâtre pour la Radio suisse romande, Le Monstre, L’Épidémie, La Route, L’Expiation.

Le Grand Cahier est né de l’envie de raconter à ses enfants son enfance à elle, en Hongrie. Sous forme de nouvelles, elle met sur le papier ses souvenirs avec son frère Jano. Trouvant fastidieux d’écrire à chaque fois, «mon frère et moi», elle opte pour le «nous». L’idée du jumeau est venue ainsi, puis l’idée du roman qui écartera, petit à petit le strict recours à l’autobiographie.

Lorsque le roman paraît, en 1986, au Seuil, il est reçu comme la fable des horreurs du siècle. Agota Kristof a réussi à piéger l’enfer dans ses phrases. Il faut décrire le procédé qu’elle a imaginé. Deux jumeaux, Lucas et Claus, sont mis à l’abri des combats d’une guerre qui tonne quelque part en Europe. Les voilà à la campagne chez leur grand-mère, sale, pauvre, méchante. Face au froid, à la faim, aux cruautés dont ils sont les témoins, ils décident de mater la souffrance. Pour cela, ils vont décrire ce qu’ils voient dans un grand cahier, en s’en tenant aux faits, rien qu’aux faits, en excluant toute émotion.

Le roman se présente donc comme le journal de deux enfants dans la guerre. Avec des phrases dénuées de tout affect, ils décrivent la violence la plus crue. Et en deviennent eux-mêmes acteurs.

La voie du silence s’est éteinte
Le roman secoue, dérange. En 2000, des parents d’élèves d’un collège français avaient porté plainte devant le procureur de la République pour protester contre la mise au programme du roman. Le professeur est arrêté en plein cours et placé en garde à vue. En cause, une scène de zoophilie, décrite froidement, comme toujours, par les deux jumeaux. «L’affaire» avait fait grand bruit. Jack Lang, le ministre de la Culture de l’époque, avait dû intervenir, pour lever la plainte. Au téléphone, depuis son appartement de Neuchâtel, la romancière, d’une voix très douce, avait dit: «Oui, évidemment, cette scène est pornographique. Et alors? Enfants, en Hongrie, nous parlions énormément de sexe. Cela fait partie de la réalité d’une société en guerre. La guerre et ses horreurs, voilà la vraie pornographie

Les années 1980 et 1990 ont été des années d’intense activité d’écriture. Agota Kristof en parlait comme d’un flux hémorragique. Elle ne pouvait pas s’arrêter d’écrire au point de se détacher de la vie réelle, de n’être pleinement que dans ses personnages, ses deux jumeaux, prolongements d’elle et de son frère. Après Le Grand Cahier (Prix littéraire européen, 1987), elle ne cessera donc pas d’écrire, dans un seul flot, les deux romans suivants, La Preuve (1988) et Le Troisième mensonge (1991, Prix Livre Inter). L’ensemble forme une trilogie sur les effets silencieux de la guerre, les cicatrices invisibles, profondes, celles qui trouent l’âme sur plusieurs générations.

Après ce souffle d’écriture, le silence donc. Souffrante, elle reste comme en attente, dans son appartement vidé de livres. Elle ne veut plus écrire, elle a donc vendu sa bibliothèque de travail, sa machine à écrire, ses cahiers de notes, ses brouillons aux Archives littéraires suisses. En 2007, elle avait décrit à la Revue Recto/Verso ses tentatives de renouer avec l’écriture. Ses échecs répétés. Les scènes maintes fois écrites mais le blocage à chaque fois. Elle voulait raconter encore une histoire de frère et de sœur, son grand amour, à l’âge de 6 ans, pour le meilleur ami de son père, un pasteur. Le choc qu’elle a reçu quand il lui a annoncé qu’il se mariait avec une autre femme. Elle n’y est pas arrivée. Cela ne l’intéressait plus, au bout du compte. Alors elle fumait dans son appartement clair. En attente./////Lisbeth Koutchoumoff


Silence


Rédigé par psa le 28/07/2011 à 00:22



1 ... « 225 226 227 228 229 230 231 » ... 727