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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Le débat n’est plus de savoir si l’on est pour ou contre Alassane Dramane Ouattara (ADO) ou Laurent Koudou Gbagbo (LKG). Des semaines plus tard, et après toutes les péripéties connues ainsi que les arguments de tous et de chacun, il y a lieu de se préparer à accepter ce qui se dégagerait des assises de l’Union Africaine (UA) à Addis. Entre les chefs d’État africains, la dissension est à son niveau le plus élevé, certes. Mais la règle de la proximité institutionnelle devrait prévaloir. Cette convenance diplomatique coutumière jointe à la lassitude que génère le cas ivoirien sont loin de favoriser le camp Gbagbo. Partout, le changement est aux portes! En route pour Addis, Ban Ki-moon n’hésite pas à déclarer que: « Les enjeux liés à la Côte d’Ivoire sont majeurs. Il en va des principes fondateurs de la démocratie. Mais aussi du respect de la volonté sincère des Ivoiriens. »


Afrique, Que fais-tu encore? La Révolution!
La division est persistante en Afrique et au-delà. La Côte d’Ivoire divise et continue à diviser le monde entier. Ce clivage est d’ailleurs parmi les fonctionnaires de l’UA elle-même, entre les Africains eux-mêmes autant que chez les Amis de l’Afrique, des intellectuels aux plus intéressés des citoyens de ce monde ouvert.

Comme citoyens du chez-nous et d’ailleurs, comme citoyennes du monde, tout ce qui concerne la Côte d’Ivoire, la Tunisie, les États-Unis et même la lointaine Australie ne nous est plus indifférent. Autant nous sommes Ivoiriens, Berlinois, tous et toutes, autant nous demeurons Centrafricains, Égyptiens, Yéménites et autres Gabonais –le ridicule de l’auto-proclamation d’André Mba Obama en moins toutefois. Il demeure que la lecture des faits reste quelque peu embrouillée… pas pour longtemps. Les faits sont têtus; ils le sont particulièrement en Tunisie et en Côte d’Ivoire.

En Tunisie, le grand retard enregistré dans la communication des noms des personnalités retenues dans le gouvernement remanié prouve à suffisance que la rue a raison contre l’élite gouvernante, toujours empêtrée dans le décodage du message de cette Révolution Yasmina. La rue tunisienne a d’autant plus raison qu’elle ne pouvait rien attendre de cette élite qui se découvre seule capable de gérer le présent tournant politique, au nom d’une prétendue stabilité. Hier encore, cette élite jouissait des privilèges du système et était loin de les remettre en cause. Elle doit laisser la place à d’autres.

Les faits sont têtus en Tunisie que les citoyens ont le devoir d’exiger du vrai changement en refusant leur confiance aux mêmes personnes. Pas de confusion toutefois! Rien ne dit que le vieux est incapable du neuf. Loin de là! L’on peut bien réaliser du neuf avec du vieux et cela s’est fait trop souvent en politique pour que l’équivoque soit clairement levée. Ici, là en Tunisie, le vieux n’avait nullement pris le train et n’a su donner, dans un délai raisonnable et au regard de l’urgence du moment, les garanties nécessaires pour assurer le changement requis par les citoyens; un changement historique qui fait d’ailleurs école partout. Un changement éthique!

Abidjan quant à elle s’est transportée à Addis; une autre étape. Avoir l’Afrique du Sud à ses côtés n’est pas rien comme soutien; l’ami Gbagbo ne pouvait donc espérer meilleur appui. Mais ici, les faits se présentent à un niveau diplomatique où la coutume devrait prévaloir, au-delà des divergences et des opinions.

Sauf surprise, la règle de la proximité devra clairement jouer. Tout argument exposé et tout rapport fait, on voit mal comment l’UA pourrait se substituer à la Communauté des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), et encore moins à l’Union Économique et Monétaire d’Afrique de l’Ouest (UEMOA). D’ultimes négociations sont loin d’être exclues; des délais nouveaux peuvent encore être nécessaires pour des tentatives tout aussi ultimes. De nouvelles portes de sortie peuvent même s’ouvrir. Elles s’ouvriront davantage sur les perspectives retenues par les États ayant cause directe de voisinage avec la Côte d’Ivoire que vers les arguments de ceux de l’Afrique australe conduits par l’Afrique du Sud, l’Azanie du Nelson Mandela amoureux du juste. Au plan diplomatique, cette règle de proximité joue beaucoup en faveur des États ouest-africains de la CEDEAO et de l’UEMOA qui ont déjà sonné le glas du départ de notre ami LKG au profit de notre autre ami ADO.

Au fond, au-delà de la diplomatie, Gbagbo n’a pas su jouer de l’amitié, mais plutôt de la désinvolture, de l’entêtement et des coups fourrés politiques qui font que pratiquement personne dans son entourage naturel des États voisins ne peut plus le cautionner durablement. Nul doute que LKG a accumulé des victoires, mais ce ne sont là que des victoires éphémères, et pour cause. Gbagbo n’a pas su transformer la main tendue de Barack Obama, le chef de la première puissance mondiale et l’homme politique le plus influent de l’heure, qui plus est Africain. Aux premières heures de cette crise de dimension mondiale, l’offre d’accueillir Gbagbo lui a été faite par le président américain lui-même.

Certes, ce n’était pas le plan de match de LKG. Mais il avait les moyens de répondre à l’appel, diplomatiquement, et le transformer en possibilité de négociation, en porte ouverte sur ses propres agendas et plans. C’est probablement la faiblesse de LKG d’avoir snobé Barack Obama et de toujours croire qu’il aura toujours raison parce que trop de chefs d’État africains sont mal élus. L’appel à la raison d’un Africain qui a l’Afrique en lui et dans sa chair, et refuse d’offrir ce continent en ridicule aux yeux du monde, un tel appel de Barack Obama ne se refuse pas.

Jusqu’où s’arrêtera Gbagbo?
Gbagbo comme plusieurs chefs d’État africains francophones misent trop sur la France et oublient que le jeu décisif africain se joue désormais à la Maison Blanche et pour quelques années encore avec Barack Obama. Avoir concédé des intérêts ivoiriens à la France avant les élections, avoir reçu le Secrétaire général de l’Élysée pour confirmer « certaines choses et certains détails », conserver en réserve la possibilité de se rétracter et dire que l’on lutte contre le néocolonialisme et la Françafrique sont des leurres. En d’autres temps, la France aurait effectivement tourné casaque il y a longtemps, en faisant pression sur ADO et lui demander de rentrer dans un gouvernement d’Union nationale avec LKG. C’est la règle avec la politique africaine de la France, qu’elle soit d’un gouvernement de gauche ou de droite. Cette règle prévaut et sera en œuvre probablement en Centrafrique et ailleurs bientôt.

Seulement, lorsque l’environnement international a changé de manière aussi drastique, lorsque quelques mois auparavant Washington et non Paris –bien avant que Paris n’accourt à Rabat pour participer aux discussions, Washington décide que Dadis Camara ne retournera plus à Conakry et que le ridicule Dadis-Show s’arrêterait bel et bien, les conseillers de Gbagbo auraient du l’aviser ou l’intéressé lui-même aurait été mieux avisé en décodant la situation avec de nouvelles lunettes. Aussi longtemps qu’il se trouverait un Africain à la Maison Blanche, c’est de l’évidence même que les seules précautions classiques parisiennes face à de grosses exagérations et de flagrant abus ne devraient plus suffire. Qui aurait pensé possible, il y a quelques mois, la partition du Soudan au nom de l’éthique politique et de la démocratie? Avec Obama, la chose est devenue possible et acceptable même en Afrique ou l’intangibilité des frontières issues de la colonisation est pourtant sacrée.

Par ailleurs, l’existence de chefs d’État mal élus n’autorise pas la survivance de tous les cas de mauvaise élection. « Le monde n’est pas juste et ne le sera probablement jamais » disait bien John F. Kennedy. Chaque cas politique est mis en son contexte et, l’acceptation de l’ONU dans le processus électoral ivoirien –une acceptation née de l’absence de confiance entre les protagonistes ainsi que l’existence des forces militaires non-républicaines autant chez les uns que chez les autres, a miné la stratégie d’invocation de la souveraineté nationale ivoirienne pour refuser la certification par un tiers non-belliqueux, et surtout un tiers connu comme garant de la paix mondiale… Nul ne peut s’attaquer impunément à l’ONU.

À l’analyse, le meilleur ennemi de Gbagbo est Gbagbo lui-même et son option sans issue : On Gagne ou On Gagne! Personne ne voyait la fermeture de cette stratégie auparavant; elle se révèle sans avenir aujourd’hui, même avec les prolongations d’Addis et surtout la maladroite décision de réquisitionner les avoirs et les réserves des Agences nationales de la Banque Centrale des États de l'Afrique de l’Ouest (BCEAO). Finalement, trop c’est comme pas assez : « Jusqu’où s’arrêtera Gbagbo? » doivent se demander tous les autres collègues de LKG. Pour cette autre insécurité –surtout qu’une alternative crédible et émotionnellement stable existe en la personne d’ADO, les chances de survie politique de Gbagbo sont d’autant moindres. Ce sont les chefs d’État qui se joignent à la Révolution en cours actuellement en Afrique. Manifestement, ils sont nombreux dans les voisinages à être fatigués de leur collègue Gbagbo.

Il arrive que l’on ait raison seul contre tous. Mais généralement, en pareille occasion, on le fait savoir suffisamment sans se transformer en un genre d’État surexcité, dévalisant même les banques centrales, un État dénonciateur de l’ONU et détruisant ses biens. Un État sans-limite, l’État Gbagbo? Étonnant! Ce faisant, nous sommes vraiment loin de la lutte populaire contre le néocolonialisme et la Françafrique pour nous rapprocher davantage de la falsification politique et des expéditions du Far-West qui sont plutôt dignes d’une autre époque. Tous ces faits jouent contre Gbagbo et finiront par avoir raison de lui. Lui professeur d’histoire qui veut rentrer dans l’histoire et y rester, alors qu’il sait parfaitement que le meilleur moyen de faire l’histoire est de savoir en sortir honorablement.

Tous les arguments juridiques et ceux liés à la fierté nationale sont bel et bien épuisés. C’est l’image et la perception diplomatiques ainsi que le surprenant vandalisme d’État qui subsistent désormais; ils ne semblent pas favoriser LKG qui pourtant a un atout, une carte maitresse en main… l’avenir de la Côte d’Ivoire. Une carte qu’ADO ni Bédié n’ont jamais possédée; une carte que seul lui, LKG, peut jouer pour gagner ou pour perdre. Avec si peu de reconnaissance internationale, le pouvoir LKG est aussi peu viable; c’est une évidence. Gbagbo n’a de choix que de jouer et de gagner. Gagner, c’est trouver une prochaine grande raison de sortir; il en existe une et une seule de noble : la Côte d’Ivoire!


PROPOS DU SG DE L'ONU SUR LA CÔTE D'IVOIRE: INTERVIEW

Le Temps: La Côte d’Ivoire est l’un des dossiers chauds du moment. Le pays s’enlisant dans la crise, faut-il intervenir militairement?
Ban Ki-moon: Les enjeux liés à la Côte d’Ivoire sont majeurs. Il en va des principes fondateurs de la démocratie. Mais aussi du respect de la volonté sincère des Ivoiriens. L’Union africaine, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), les Nations unies et la communauté internationale ont été unanimes pour soutenir le vainqueur des élections ivoiriennes de novembre, Alassane Ouattara. Cette victoire a été annoncée par la Commission électorale indépendante et certifiée par l’ONU. Cette unité de vues doit être préservée. Mais je suis inquiet de constater quelques fissures dans l’unité de l’Union africaine. Il est essentiel que cette dernière s’exprime d’une seule voix.


Allez-vous vous impliquer davantage dans la question ivoirienne?
– Je vais coprésider une réunion trilatérale le 29 janvier à Addis-Abeba avec le président de l’Union africaine. Un jour avant, le 28, les pays clés de l’Union africaine dans ce dossier vont se réunir en session extraordinaire sous l’égide du Conseil de paix et de sécurité de l’UA. Par ailleurs, le président de la Cédéao (ndlr: le chef de l’État nigérian Goodluck Ebele Jonathan) va demander à plusieurs envoyés spéciaux de se rendre aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et dans d’autres pays pour coordonner l’action de la communauté internationale. Il y a aussi un mandat sur la table qui se base sur le chapitre VII (ndlr: permettant l’usage de la force) de la Charte des Nations unies.


Êtes-vous favorable à une intervention militaire?
– Les responsables de la Cédéao n’ont cessé d’adapter leur approche. Ils ont tout d’abord engagé le dialogue pour résoudre la crise pacifiquement de sorte que la volonté des Ivoiriens soit respectée. Ils ont ensuite décidé de prendre toutes les mesures nécessaires, y compris militaires, tout en précisant qu’ils continuaient de vouloir régler le problème par des négociations politiques. Personnellement, j’espère que la voie diplomatique va encore primer.


Horizon


Rédigé par psa le 27/01/2011 à 21:12



Philippe HUGON est Directeur de recherche à l’IRIS, en charge de l’Afrique. Consultant pour de nombreux organismes internationaux et nationaux d’aide au développement (Banque mondiale, BIT, Commission européenne, OCDE, Ministère des Affaires étrangères, PNUD, UNESCO), il est Professeur émérite, agrégé en sciences économiques, classe exceptionnelle à l’Université Paris X Nanterre.


Himi Kozue, La RCI se compare parfois au GOP.
Himi Kozue, La RCI se compare parfois au GOP.
« Nous avons le temps et vous avez la montre»
Hâmpaté Bâ



À CE JOUR, la situation politique, institutionnelle mais également économique, financière de la Côte d’ivoire demeure bloquée et personne ne peut en connaitre l’issue. Avant d’envisager les défis à relever, rappelons les racines de la crise.

Les racines de la crise ivoirienne sont lointaines et les votes des urnes ne pouvaient à eux seuls les éradiquer. La crise politique que connait la Côte d’Ivoire depuis 10 ans résulte de la faible légitimité des responsables politiques de l’après Houphouët Boigny (mort en 1993), du poison de l’ivoirité inoculé par Konan Bédie puis par Laurent Gbagbo, de la forte baisse du revenu par tête, de l’explosion démographique et du taux élevé d’immigration. Depuis 15 ans l’argent sert à financer les armes et à asseoir les pouvoirs politiques aux dépens du développement économique. Seuls les accords de Ouagadougou du 4 mars 2007 avaient constitué une avancée. La présence des casques bleus (plus de 9 000 hommes) et de 9OO soldats français de la force Licorne avait rendu impossible des conflits généralisés mais le désarmement des Forces nouvelles du Nord et des milices du Sud avant les élections n’avait pas vraiment eu lieu. Certes, les symboles de l’État étaient de retour (drapeau) et la zone de confiance avait été démantelée mais le pays était divisé entre le Nord et le Sud et avait un pouvoir bicéphale. Le Nord demeurait organisé selon un système « féodal » d’après le rapport des Nations Unies de 2009. Les Forces armées des forces nouvelles (FAFN) et « com zones » étaient maîtres du terrain, elles contrôlaient les ressources naturelles et le commerce (essence, coton). Elles assuraient la sécurité, et pratiquent des péages et rackets. Leurs fonds financent les achats d’armes ou sont placés au Burkina Faso, au Mali voire dans les paradis fiscaux. Au sud, Abidjan vivait dans le désordre et la corruption était généralisée. Le cacao, le port d’Abidjan, le pétrole et les prébendes étaient la base de financement du pouvoir.


Quand des élections tournent au « hold up » électoral

Beaucoup avaient depuis 5 ans fini par ne plus croire aux élections présidentielles qui avaient été six fois reportées. Nous avons toujours écrit que Laurent Gbagbo n’acceptait les élections que parce qu’il était certain de les gagner et que s’il les perdait il n’accepterait pas son échec et que les risques des armes pourraient l’emporter sur le choix des urnes. Rappelons que le premier tour des élections présidentielles a eu lieu le 31 octobre 2010, sans incidents notables, après une campagne apaisée et avec une forte participation de la part de 5,7 millions d’Ivoiriens appelés aux urnes. Le second tour du 29 novembre 2010 entre Alassane Ouattara du RHDP (avec le ralliement de Konan Bédié) et Laurent Gbagbo du FPI a été marqué par certains incidents, des intimidations et une plus faible participation. La commission électorale a annoncé les résultats en proclamant Alassane Ouattara vainqueur avec 54,1% mais le Conseil constitutionnel au lieu d’invalider certains votes ou de proposer de nouvelles élections a inversé les résultats en proclamant Laurent Gbagbo vainqueur avec 51 %.

Il n’y a pas de doutes de la part des observateurs quant aux résultats réels des urnes. Il y a eu certes des fraudes électorales notamment au Nord mais dont l’ampleur ne permettait aucunement d’inverser les résultats. Les déterminants du vote n’ont été que partiellement ethniques et religieux du fait de l’instrumentalisation de l’ethnicité depuis 10 ans notamment par le concept d’ivoirité. Ils ont été nationalistes et populistes vue la posture indépendantiste et souvent anti française de L. Gbagbo qui a voulu engranger des voix en présentant ses adversaires comme les candidats de l’étranger. Ils ont été démographiques et sociaux (la jeunesse privée d’emplois représente la moitié des électeurs). Le pays a un pouvoir bicéphale entre le Nord et le Sud. Abidjan regroupe 1/3 des électeurs. La communauté internationale est fatiguée par la situation ivoirienne avec quelques 9 500 casques bleus assurant la sécurité auxquels s’ajoute la force Licorne. La lassitude des ivoiriens était grande. La maturité politique des citoyens ivoiriens a montré le refus de la division et du poison de l’ivoirité.
Il y a eu condamnation de ce « hold up électoral « par la communauté internationale, la CEDEAO, l’UA, l’UE, l’ONU et par les grandes puissances. L. Gbagbo a été isolé diplomatiquement mais s’est maintenu au pouvoir pendant que A. Ouattara restait enfermé dans un hôtel protégé par les forces de l’ONUCI. Il y a eu alors deux chefs d’État, deux premiers ministres et deux gouvernements. Le pouvoir bicéphale du Nord et du Sud s’est transformé en un pouvoir bicéphale, fruit des élections, localisé à Abidjan. Guillaume Soro est toujours premier ministre mais aujourd’hui de A. Ouattara.

Gbagbo a fait le gros dos et a pratiqué une posture de hérisson
Le blocage de la situation dure depuis près de deux mois. Les affrontements ont fait plus de 200 morts avec de possibles charniers. Il y a eu conjonction de médiations, de sanctions, de menaces d’intervention militaire de la part de la CEDEAO, de l’UA, du FMI et de la Banque mondiale. Le front a été jusqu’ à présent peu fissuré même si la Russie a cherché à bénéficier de la situation et l’Angola a apporté son appui militaire. Mais la condamnation de L. Gbagbo est surtout restée au niveau de la rhétorique. L. Gbagbo a fait le gros dos et a pratiqué une posture de hérisson.

Chacun des protagonistes dispose d’armes différentes. La légalité interne et la légitimité internationale sont du côté de A. Ouattara mais L. Gbagbo dispose de la force, de la puissance du feu et d’une légitimité auprès d’une partie de la population du Sud qui est persuadée qu’il a gagné et (ou) qu’il est victime d’un complot étranger et qu’il y a ingérence voire recolonisation de la Côte d’Ivoire.


Le temps semble jouer en faveur de L. Gbagbo. Il veut jouer sur la lassitude de la communauté internationale, les fissures au sein des pays africains et surtout les risques des guerres civiles et des affrontements entre armées. L. Gbagbo dispose de nombreuses armes, d’un art consommé de la manipulation, de l’armée ou plus exactement des forces spéciales de sécurité (environ de 5 000 fidèles sur 50 000), la possibilité de faire jouer les escadrons de la mort ou des milices et les jeunes patriotes de Blé Goudé et de jouer sur la peur, l’appui de l’Angola et des mercenaires libériens, la manipulation de l’information par le contrôle des medias, le soutien d’intellectuels enseignants, étudiants et du sous prolétariat urbain. Il s’appuie sur un discours ethno-nationaliste et populiste vantant une seconde décolonisation et l’indépendance et dénonçant les candidats de l’étranger et instrumentalise l’ethnicité. Il est convaincu que A. Ouattara était à l’origine de la rébellion de 2002. La séduction d’un discours africain et d’un résistant contre le monde occidental à la Robert Mugabe et les ingérences internationales est grande auprès de certains Africains. Avec habileté, il a signé des contrats avant les élections avec les grands groupes français (Bouygues, Bolloré, Total). Il dispose de réseaux « France Afrique » qu’il sait activer et il joue sur la menace concernant la sécurité des 15 000 français (dont 60 % de bi nationaux). Il sait jouer de l’argumentaire deux poids deux mesures en notant le caractère non démocratique de nombreux régimes africains qui le condamnent. Les gels des avoirs de la part de l’UE, les menaces de la CPI, les ultimatums pour son départ ont plutôt renforcé sa stature de résistant. En revanche, il a besoin de 70 milliards FCFA par mois pour payer les fonctionnaires et les militaires, or il a hypothéqué pour 2 ans les recettes pétrolières (110 milliards FCFA) et risque de ne pas bénéficier des recettes cacaoyères (329 milliards FCFA).


A. Ouattara a gagné la bataille diplomatique. Il a la légitimité de la victoire électorale mais n’a pu mobiliser ses partisans dans la rue. Il a l’appui du Nord dont il est originaire et la stature d’un ancien premier ministre d’Houphouët Boigny et d’un directeur adjoint du FMI. Il a la plus grande légitimité auprès de la communauté financière internationale pour redresser l’économie et les finances du pays. Mais il a été relativement absent, en dehors de déclarations verbales et n’a pu montrer sa posture de chef d’État étant dépendant de la protection de l’ONUCI. Il est resté enfermé dans son hôtel et ne pourra participer à la prochaine conférence de l’UA que par l’intervention des hélicoptères de l’ONUCI. Il bénéficie des Forces nouvelles (4 000 hommes) pouvant recevoir des appuis africains. Il peut tirer profit de l’assèchement économique et financier de L. Gbagbo du fait de l’affectation des comptes de la BCEAO même si son gouverneur a été nommé par Gbagbo.


Quelles perspectives ?
Quelles sont les perspectives, après près de deux mois d’impasse ? Tout a été fait pour éviter le scenario du pire celui de la guerre civile. Mais les médiations de la CEDEAO et de l’UA ont échoué comme prévu et les solutions diplomatiques ont montré leurs limites. Les sanctions de l’UE, de la Banque mondiale ou du FMI, les menaces de la CPI n’ont eu, jusqu’à présent (20 janvier 2011) que peu d’impact. Les réunions des chefs d’État major de la CEDEAO continuent de faire planer la menace d’une intervention militaire.


Plusieurs scenarii sont possibles. Le départ de L. Gbagbo à la Haïtienne parait plus que jamais très improbable. Une cohabitation à la Zimbabwéenne ou à la Kenyane a montré ses limites. Un affrontement entre les forces nouvelles et l’armée loyaliste appuyée par l’Angola et les mercenaires Libériens présenterait des risques très élevés de guerre civile et aurait des coûts considérables non seulement pour la Côte d’Ivoire mais également pour la région. De nouvelles élections auraient pu être proposées par le Conseil constitutionnel mais on reviendrait à la case départ alors que les élections ivoiriennes ont été les plus chères que l’on ait connu dans le monde. Une opération ciblée éclair concernant L. Gbagbo de type Entebe est peu réalisable du fait du système de protection assuré notamment par les Israéliens. Une partition du pays en deux conduirait à un retour à la case départ et entérinerait une opposition entre le Sud économiquement utile et le Nord enclavé. Un coup d’Etat militaire est toujours possible même si Gbagbo contrôle les forces spéciales de sécurité.

L’étranglement économique et financier a des coûts élevés pour les populations mais il peut asphyxier le « système » Gbagbo. Les mouvements populaires ont été jusqu’à présent limités mais ils peuvent se développer avec le non paiement des fonctionnaires, la flambée des prix et la montée du chômage.

Les défis à relever post crise et conflit sont considérables. Si A. Ouattara l’emporte en définitive, il devra réaliser une pacification durable et une reconstruction économique avec l’adhésion de la population et pas seulement les appuis extérieurs. L’économie ivoirienne est paralysée. On estime à plus de 500 000 les pertes d’emplois. Les départs des immigrés ont été supérieurs à 1 million. Les grands groupes peuvent faire le gros dos mais la situation est catastrophique pour les PME où les Libanais mais également les Ivoiriens ont un rôle central. Les filières cacao et café se sont maintenues (1,2 millions tonnes soit 40% des exportations mondiales) mais un fort ralentissement est notable pour les secteurs de PME. Le port d’Abidjan a vu se réduire de moitié son trafic. Les primes de risques des grands groupes ont flambé. L’administration est divisée et paralysée.

C’est par des mouvements populaires montrant une détermination de rompre les blocages politiques qui paralysent ou ruinent l’économie que A. Ouattara aura sa forte légitimité. Peu de pays ont autant mobilisé de financement, d’efforts de la communauté internationale pour sortir de la crise. Chacun sait qu’une crise durable ou des affrontements violents concerneraient toute l’Afrique de l’Ouest. //////
Manuscrit clos le 20 janvier 2011. Publication le 21 janvier 2011.
Copyright Janvier 2011-Hugon/Diploweb

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