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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Il y a véritablement problème lorsqu’un chef d’État de l’une des puissances mondiales n’a pas de valeur suffisamment haute pour traiter de manière égalitaire tous ses citoyens. C’est une tentative de recul qui certes ne passerait pas de si tôt comme loi en France. Mais la seule énonciation de cette possibilité traduite d’ailleurs dans les faits par un arsenal de mesures musclées du bout-au-feu, soulève autant notre étonnement que notre indignation. Encore une fois, Nicolas Sarkozy n’arrive pas à incarner la France et le monde. Il n’en demeure pas moins l’élu des Français à la tête de leur pays ; un élu qui sème le doute sur ses capacités d’assumer la France qu’il ne rassure nullement ses compatriotes et le monde entier sur les valeurs fondamentales qui le gouvernent personnellement. Pratiquement au même moment que l’instance des Nations unies qui vient de blâmer la France, le gouvernement français donc et ses plus hautes autorités sur cette dérive fondamentalement xénophobe, mon professeur Alain Juppé prend une position différente de celle de Nicolas Sarkozy ; cela ne m’étonne de lui. J’ai toujours soutenu que le Québec a mieux restitué celui qui était déjà une des plus grandes intelligences françaises contemporaines… Il prend soin de rappeler Montesquieu pour ne pas tomber dans l’obséquieux débat en cours depuis le discours de Grenoble : “Quand il n’est pas nécessaire de faire une loi, il est nécessaire de ne pas en faire.”


La démesure sécuritaire sarkozyste recadrée par Juppé
La majorité, nous dit-on, doit en revenir à ses “fondamentaux”. Soit. Et parmi, ces “fondamentaux”, figure en première ligne la sécurité.
En tant que simple citoyen, mais aussi en tant que maire, j’attache à la sécurité de mes proches et à celle de ma ville une grande importance et même une claire priorité. La sécurité est bien la première des libertés, ou, en tout cas, une liberté fondamentale.
Personne ne discute qu’en la matière, la responsabilité incombe d’abord à l’État. Mission régalienne, s’il en est.
Comment l’assume-t-il aujourd’hui dans notre pays? Le débat est animé, en cette période estivale. Plusieurs cas de violence récents, où la loi républicaine a été bafouée de manière inacceptable, expliquent ce retour en force de la question dans l’actualité politique.
Comme je m’efforce de le faire le plus souvent possible, je voudrais m’exprimer sur le sujet avec mesure.

D’abord un constat qui, je le sais, ne convaincra personne: notre pays n’est pas à feu et à sang; quand on considère ce qui se passe à l’étranger, dans des États économiquement et socialement comparables au nôtre, on voit que nous ne faisons pas plus mal que les autres. Il y a des quartiers difficiles partout ailleurs en Europe et en Amérique du Nord.

Deuxième constat, et ici je m’appuie sur mon expérience de maire de Bordeaux: des progrès indéniables ont été accomplis depuis quelques années. On m’objectera qu’on fait dire aux statistiques tout et son contraire. Mais lorsque la méthode de calcul est la même au fil du temps, l’évolution des chiffres a une signification incontestable. Or, les chiffres de la criminalité et de la délinquance, notamment ceux de la délinquance de voie publique, ont connu une baisse régulière. Et, fait plus significatif encore, le taux d’élucidation des affaires est lui en hausse, ce qui veut dire que, sous l’impulsion des responsables politiques, les services de police et la justice sont plus efficaces. Un signe ne trompe pas: il y a dix ans, une part importante des débats dans les conseils de quartier de Bordeaux, tournait autour de la sécurité ou plutôt de l’insécurité; depuis 4 à 5 ans, la question est rarement soulevée, de manière spontanée, par les participants. Le sentiment populaire rejoint l’enseignement des statistiques officielles.

Est-ce à dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes? Ce serait un déni de réalité que de le prétendre. Il y a bien, en France, des zones de non-droit où les lois sont bafouées et où la police hésite à pénétrer. Et globalement, même si les crimes et délits sont moins nombreux, c’est toujours trop. L’équilibre, même dans les secteurs réputés paisibles, est fragile.

Alors, que faire?

Durcir la loi? Ce peut être nécessaire. À condition que la loi nouvelle ne soit pas de pure circonstance et surtout qu’elle soit applicable et appliquée dans la durée. Je ne suis pas sûr que ce soit toujours le cas. Souvent les textes en vigueur suffiraient, s’ils étaient vraiment appliqués.
S’agissant par exemple de l’extension des motifs de déchéance de la nationalité française, je note avec intérêt l’interrogation de Gérard Larcher, président du Sénat, dans Le Figaro d’aujourd’hui:
“Applique-t-on réellement le droit déjà en vigueur? L’article 25 du Code civil ne fournit-il pas déjà la réponse à la plupart des questions posées? C’est ce que nous devrons vérifier. ”

Je rappellerais volontiers, dans la foulée, cette belle maxime de Montesquieu: “Quand il n’est pas nécessaire de faire une loi, il est nécessaire de ne pas en faire.”

La priorité sécuritaire ne doit pas non plus conduire à des exagérations, peu compatibles avec nos valeurs fondamentales. L’argument selon lequel une mesure recueille la faveur des “sondés” est à manier avec modération. Il est probable que, si au lendemain d’un crime odieux, on demandait, par sondage, aux Français leur opinion sur le rétablissement de la peine de mort, leur réponse serait sans ambiguïté. Faudrait-il pour autant suivre la tendance majoritaire? Ou croyons-nous toujours qu’il existe des principes eux aussi “fondamentaux”?

De là à soutenir que les libertés publiques sont en danger en France, il y a évidemment de la démesure. Malgré toute l’estime et même l’amitié que j’ai pour lui, je trouve que Michel Rocard, lorsqu’il évoque Vichy et le nazisme, perd le sens commun.

Il est même possible d’affirmer, au contraire, que plusieurs réformes récentes ont renforcé nos libertés de citoyen français. Je pense notamment à l’ouverture, voulue par Nicolas Sarkozy, des possibilités de saisine du Conseil constitutionnel. Désormais, un simple citoyen, à l’occasion d’un litige particulier, et sous certaines conditions, peut demander à notre cour suprême de se prononcer sur la constitutionnalité d’une loi qui ne lui a pas été déférée au moment de son vote. La procédure dite QPC (question préalable de constitutionnalité) a déjà eu des effets remarquables, notamment l’injonction faite au gouvernement de modifier les règles et les pratiques de la garde à vue dans notre pays.

Pour en revenir à la sécurité des personnes et des biens, le plus important, si j’en juge toujours d’après mon expérience de maire, c’est que la politique soit globale. Elle doit associer tous les acteurs concernés: la police, la justice, mais aussi les élus locaux, et le réseau associatif dont le rôle est primordial en matière de prévention, de formation, de ré-insertion…

Dans cet esprit, la loi donne au maire un rôle de chef d’orchestre fondé sur sa proximité avec les citoyens. C’est le maire qui préside le “conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance” (CLSPD) où se retrouvent tous les partenaires que j’ai cités. On y fait du bon travail, du moins si je me réfère au cas de Bordeaux.

La police, dans son rôle principalement dissuasif et répressif, a bien sûr une responsabilité tout à fait essentielle. Comment lui permettre de travailler le mieux possible? Je ne suis pas un spécialiste de l’organisation policière et je me garderai donc bien de présenter “mon plan”. Je constate simplement deux choses: d’abord l’importance de la chaîne de commandement, de Paris au terrain, et notamment de l’engagement des préfets et des directeurs départementaux de la sécurité publique. Disons le crûment: il y a des fonctionnaires plus efficaces que d’autres. J’ai la chance à Bordeaux d’avoir des bons.

Ensuite le maillage territorial. Qu’on appelle cela police de proximité ou autrement pour éviter toute polémique, qu’on tire les leçons des expériences passées, plus ou moins réussies, j’en suis d’accord. Mais qu’on soit réaliste: la présence de policiers bien formés et bien encadrés sur le terrain, selon des formules diversifiées en fonction des situations elles mêmes diverses (il est vrai que la circonscription de police de Bordeaux n’est pas le 9-3) est un moyen d’action incontournable. Quand le gouvernement a annoncé la mise en place des UTEQ, ces unités territoriales de quartier qui doivent justement assurer une présence policière quotidienne dans les zones sensibles, tous les maires ont applaudi des deux mains, moi le premier. Je souhaite que le déploiement annoncé de ces unités se concrétise au plus vite. C’est ce que nous demande la population. C’est ce que la pratique recommande.

En retour, il appartient à nos municipalités de mettre à la disposition de la police nationale (et de leurs propres polices municipales) les moyens adéquats. En particulier des caméras de vidéo- surveillance ou de vidéo-protection (de grâce, faisons l’économie des querelles de vocabulaire: il s’agit bien de surveiller pour protéger!), dont l’efficacité est reconnue. J’ai vu moi-même comment le système permet de déclencher en temps réel l’intervention d’une brigade anti-criminalité, quelques instants après que le PC municipal a détecté, sur ses écrans, un individu se préparant à utiliser son arme contre un passant. Pourquoi les dirigeants socialistes (pas tous les élus locaux socialistes heureusement!) continuent-ils à mener une guerre idéologique désuète contre un dispositif technique dont la mise en œuvre est strictement encadrée par la loi?

Moins d’idéologie, plus de pragmatisme, des moyens suffisants, une volonté politique nationale et locale forte, la mise en réseau des tous les partenaires concernés, y compris les associations engagées dans la prévention… il n’y a certes pas de recette miracle, dans une société souvent portée à la violence, mais il y a des voies de progrès possibles.


Mot à Maux


Rédigé par psa le 14/08/2010 à 05:05



Faure Gnassingbé est-il émotionnellement détaché des problèmes du Togo? La question mérite d’être posée à plus d’un titre. Cela ne veut pas dire qu’il n’agit pas; ceci veut dire qu’il n’agit pas assez, il n’agit pas en véritable leader politique en direction des Togolais pour que ceux-ci, hommes et femmes, sentent qu’il est aux commandes d’un pays, le leur. Tout cela fait bien désordre lorsqu’aucune main aguerrie et professionnelle ne semble pas être aux commandes de tout un pays en plein désarroi.


Antoine Wiertz, La liseuse de romans
Antoine Wiertz, La liseuse de romans


La chose est réellement perceptible. Dans le tumulte de cette affaire équivoque de deux congrès extraordinaires du plus grand parti de l’opposition togolaise qu’est l’Union des forces du changement (UFC), nonobstant l’alliance qu’il s’est donnée avec Gilchrist Olympio, Faure Gnassingbé a littéralement passé la main à ses ministres, même pas au Premier ministre dont la présence là, à cette charge, devient de plus en plus injustifiée… ceci est une autre histoire.

Donc, l’inaction, le silence de Faure sont-ils le signe d’un détachement émotionnel du chef de l’État togolais? Faure serait-il dans une forme de quiétude contemplative?

Il y a exactement un mois, Daniel Freedman, un chroniqueur de Forbes posait la même question au sujet du président Obama. Ce dernier, alors ne savait pas où donner de la tête, an début du mois de juillet, face aux questions diverses qui l’assaillaient : espions russes, Général McChrystal, Goldman Sachs, chômage, déficit, Iran, Corée du nord, Israël, baisse de popularité, etc.

Dans son analyse, Daniel Freedman relevait (ma traduction rapide aidée par Google) que:

« Bien que tout cela peut sembler insurmontables -particulièrement pour les démocrates qui se préparent pour les élections de mi-mandat, en réalité cela ne l’est pas. Les problèmes et les accusations de détachement émotionnel sont en fait liés. Et pour changer le cours des choses le président a besoin d'ajouter un élément important qui manquait à son processus de prise de décision: la lecture des grandes œuvres de la littérature.
Le problème avec l'équipe du président (et les décideurs d'aujourd'hui en général) est que l'approche décisionnelle qu’ils adoptent en politique est comme celle qu’ils utiliseraient dans une expérience scientifique de laboratoire: ils analysent le problème, éliminent les variables et arrivent à une conclusion. C'est un processus (à froid) purement rationnel basé rien que sur des faits et pas sur des sentiments.
La vraie vie n'est pas comme une expérience scientifique, au contraire. Les êtres humains ne sont pas des êtres purement rationnels. Ils ont des phobies, des préjugés et d'autres éléments irrationnels. Le Moi, la haine et des expériences de vie ne sont pas quelque chose qui peut être transformée en statistiques. Dans un monde purement rationnel, la menace de sanctions, assorties de certaines mesures souples, serait sans doute suffisante pour convaincre la Corée du Nord de Kim Jong-il et les théocrates de l'Iran à mettre fin à leurs stratégies malhonnêtes; mais ce n'est pas la façon dont fonctionne le monde dans sa réalité.
C'est là que les grandes œuvres de la littérature peuvent aider. Précisément parce qu'elles ne sont pas concernées par la réduction de tous les événements à des faits et à des chiffres, (…) elles décrivent le monde tel qu'il est réellement - et sont donc essentielles à la prise de décisions politiques bien avisées.
Des grands leaders ayant réussi dans le passé, on entend dire que pour eux, lire de la littérature est tout aussi essentiel à la prise de décision que l’analyse des Notes d'information préalables aux décisions. Ils étaient de grands lecteurs de la littérature, ou ils se sont assuré que leurs conseillers en étaient effectivement de grands consommateurs. Winston Churchill, par exemple, affectionnaient précieusement les Mémoires d'un Cavalier de Daniel Defoe, Alexandre le Grand ne partait jamais sans avoir avec lui l'Iliade et la reine Elizabeth demeure une passionnée de Cicéron.
»

Vous devinez bien la suite de l’analyse de Daniel Freedman… Lisez! Dirigeants, lisez les grands auteurs et les grandes œuvres littéraires; vos problèmes ne sont pas nouveaux dans ce vieux monde; vous apprendrez beaucoup de la sagesse du monde… lisez Barack! Lisez Sarko! Lisez Faure!
Bon! J’en arrive là et suis un peu hésitant… Il n’y a pas de bibliothèque à l’Université de Lomé -et ce n’est pas une blague, voilà que d’un pays où l’on peut emprunter des dizaines de livres pour une ou deux sessions (4 à 8 mois) des bibliothèques universitaires qui en débordent, voilà que je suis sur le point de demander que le chef d’État togolais s’abreuve de grands écrits pour se nourrir de sagesse, et faire face aux défis momentanés de sa charge... Au fond, je ne suis pas réaliste… Je vais le dire quand même et autrement…

Faure doit s’assurer d’être solidement entouré, il doit désormais être capable de s’affranchir de certaines personnes qui ont fait leur temps avec son père et qui n’ont pas la réputation d’avoir été des gens particulièrement éclairés –même s’ils l’avaient été il est temps qu’ils passent la main et je pense nommément à nos deux respectables oncles Moussa Barqué et Charles Debbasch, faire le tri dans les proches collaborateurs et, sans forcément passer le temps à la bibliothèque, réinvestir dans l’intelligence plutôt que dans les muscles et les démonstrations des forces de sécurité.

Il y a véritablement urgence que le Togo soit pris en main; que le gouvernement s’occupe de gouverner et se peine à gouverner réellement, au lieu de semer la zizanie à l’UFC ou vouloir instrumentaliser toutes les erreurs d’enregistrement des décisions internes des partis politiques et des associations ainsi que les querelles des familles et des églises du Togo.

La meilleure sécurité que Faure pourrait se donner est d’investir dans l’intelligence, délaisser la petite politique partisane qui fatigue les Togolais, calmer les Pascal Bodjona et autres, s’occuper du Togo, appeler Jean-Pierre Fabre –de toutes les façons Faure n’a plus rien à gagner avec Gil, appeler Jean-Pierre Fabre effectivement, engager un dialogue de bonne foi avec l’opposition, etc. Et tout cela peut-être initié en une semaine, et donnera des signaux clairement différents aux populations.

Demander seulement à ses ministres de moins se précipiter à lui et lui faire des Notes d’information de 2 pages maximum afin de supporter et justifier toutes les décisions, feraient travailler autrement tous ces faucons prêts à faire des démonstrations de muscle au Togo. C’est tout cela qui se trouve dans les sagesses du monde, transmises à travers le temps par des livres et des auteurs puissamment outillés.

Même prendre le bon vivant de Rabelais, et l’adopter comme Togolais, et traduire sa « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » dans la réalité du Togo politique d’aujourd’hui, permettrait à Faure de ne pas remonter jusqu’à Aristote avant de s’approprier des bienfaits de l’éthique. Ainsi, il donnera meilleure réponse à la forte impression d’inaction, de quiétude et de détachement qui est implicite à la question de départ. Lire ou/et investir dans l’intelligence, c’est assumer mieux le Togo.

Au passage, Stephen Harper ne lit pas plus de grands auteurs (« Tant que Stephen Harper sera Premier ministre du Canada, je promets de lui envoyer par la poste, un lundi matin tous les quinze jours, un livre réputé faire épanouir la quiétude. » Dixit Yann Martel, l’auteur de L’histoire de Pi qui, en ce milieu d’août est à son 87e livre envoyé à Harper : le Livre Numéro 1: La mort d’Ivan Illitch, de Léon Tolstoï et le Livre Numéro 87: Home Sweet Chicago, de Ashton Grey); sauf que son pays est moins à la traine comme l’est véritablement le Togo. Il faut qu’il se passe quelque chose d’autre qui ressemblerait à une gouvernance moderne au Togo; c’est désormais crucial!



Mot à Maux


Rédigé par psa le 09/08/2010 à 18:13



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