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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Jeudi 14 octobre au petit matin, les commentateurs et éditorialistes se succédaient pour expliquer que la mobilisation contre la réforme des retraites s'essoufflait, que les appels à la grève reconductible étaient finalement peu suivies. Puis, les lycéens ont surpris tout le monde. Des manifestations, partout en France, se sont multipliées. Entre 340 et 1100 lycées étaient bloqués. Vendredi, l'affaire continue. Mais fallait écouter Nicolas Sarkozy, dans le texte, lors de sa visite en Gironde, à Bordeaux, chez Alain Juppé. Jeudi 14 octobre, il a parlé réformes, action et volontarisme. Il était surtout crispé. Et si la jeunesse s'enflammait ?


Andrée Lambert, Carla Bruni-Sarkozy... Il me les casse!
Andrée Lambert, Carla Bruni-Sarkozy... Il me les casse!
A Bordeaux, le président français a ressorti son costume d'hyperactif. L'homme qui voulait prendre du recul pour mieux se « présidentialiser », marquer une pause pour mieux améliorer les réformes passées, a changé de registre. En fait, nous avions tous rêvé. A écouter certains proches du Monarque, il n'a jamais voulu de pause. Tout ceci n'était qu'une lubie de journaliste, une interprétation erronée.

A Bordeaux, Sarkozy partait célébrer le 50ème anniversaire de la découverte du laser. C'est important, pour un président, de célébrer les anniversaires. Qu'importe si la jeunesse est, de plus en plus, dans la rue, si des flics nerveux tirent aux flash-balls contre des lycéens, si d'autres jeunes et moins jeunes en profitent pour jouer à la guérilla urbaine contre des policiers désemparés.

Dans les journaux télévisés du soir, on pouvait le voir le regard concentré, le visage crispé, écouter les explications de l'un de ses hôtes devant de curieuses machines. Alain Juppé, juste derrière, avait le visage radieux. Sur son blog, l'ancien premier ministre n'avait pas une remarque sur cette visite pourtant présidentielle. Il préféra commenter l'intervention télévisée de Martine Aubry, sur France 2, dans l'émission « A Vous de Juger ». Quel affront !

Après sa visite, Sarkozy a pu livrer l'un de ses discours favoris, face à la caméra d'Elysée.fr, devant son traditionnel fond bleu orné des drapeaux français et européens. Dans l''assistance, beaucoup de militaires en uniformes, Alain Juppé et Valérie Pécresse, et quelques élus. Aucun risque de trouble.

Dès les premiers mots, il trébuche : « cette année, nous célébrons les 50 ans de l'avention, ... l'invention du laser... » Dès les premiers mots, il doit se mettre en valeur : « ... et j'ai souhaité à cette occasion être ici, sur cette "i[route des lasers", au cœur des installations du Commissariat à l'énergie atomique et des énergies alternatives]i,... » Dès les premiers mots, il faut enfoncer quelques portes ouvertes : «... pour souligner quelque chose que vous savez parfaitement vous tous, mais dont il faut convaincre l'ensemble des Français... que l'avenir de la France et son indépendance dépendent de sa capacité à investir massivement dans la recherche, à maîtriser la recherche de pointe, et à valoriser les applications de la recherche

À Bordeaux, Nicolas Sarkozy voulait surtout parler nucléaire et réforme. Rappeler l'origine du programme nucléaire français - ah ! Le Général de Gaulle ! - et souligner combien grâce à lui la France est indépendante. Joli mensonge !

« La France est aujourd'hui un des rares pays dans le monde à être indépendant en termes d'énergie alors qu'il n'a pas d'énergies fossiles naturelles. » La récente prise d'otages, aux confins du Mali et du Niger, de 5 Français employés par Areva a rappelé combien la France a besoin de ce fichu uranium de ses anciennes colonies africaines pour faire tourner ses centrales bientôt obsolètes. « Aujourd'hui, cet élan ne doit pas faiblir et ne faiblira pas...» Écoutez la suite. En une phrase, Sarkozy révèle combien le changement de nom du CEA en Commissariat à l'énergie atomique et des énergies alternatives était une belle tartuferie : « ceux qui prétendent qu'on peut remplacer l'énergie nucléaire par des énergies alternatives prononcent une incongruité... et ça s'rait une autre incongruité d'expliquer que parce qu'on investit dans le nucléaire on ne doit pas investir dans les énergies alternatives.»

Sarkozy continue sur le laser mégajoule, un programme lancé en 1995-1996 pour prendre le relais de l'arrêt des essais nucléaires français dans le Pacifique. Il mouline encore quelques concepts qu'il ne maîtrise pas au-delà du discours qu'il lit : « il ne doit pas y avoir de fossé entre recherche fondamentale et recherche appliquée » (??) « il ne doit pas y avoir de fossé entre l'université et la recherche, il ne doit pas y avoir de fossé entre l'université et l'entreprise, il ne doit pas y avoir de fossé entre la recherche militaire et la recherche civile...»

À Bordeaux, Sarko en écho… système de la connaissance.
Puis Sarkozy s'accroche à son texte. C'est très technique. Il parle des laser petal et mégajoule. Il nous assure que la France est désormais leader mondial dans la technologie du nucléaire par fusion. Ouf ! On est rassuré. « C'est donc un programme majeur que vous engagez ici... Ça prouve quoi ? Ça prouve que la France est toujours capable d'avoir des projets scientifiques et industriels de grande envergure. » Il lève les yeux... « je voudrai bien qu'on m'comprenne bien. Nous venons de sortir d'une crise qu'est sans doute la plus importante depuis un siècle ». Les doigts serrés, la mine grave, Sarkozy regarde l'assistance. Il nous ressort la crise de 2008. C'est sa Grande Guerre à lui, son Chemin des Dames, sa bataille de la Marne. Qu'importe l'objet du déplacement ou l'assistance... Il faut rappeler et marteler qu'on a failli tous y passer s'il n'avait pas été là.

Surtout, il enchaîne sur cet aparté, cette petite diatribe contre l'immobilisme. Sarkozy ne pensait plus au nucléaire petal ou au laser megajoule. Il parlait à ces récalcitrants de 15 ans, ceux-là même à qui il a imposé l'abaissement de la responsabilité pénale et qu'il juge aujourd'hui irresponsables de manifester.

« La réponse d'un pays à la crise n'est pas le recroquevillement, n'est pas la rétractation, n'est pas l'absence d'ambition. La réponse d'un pays à la crise, c'est l'innovation, c'est la recherche, c'est l'ouverture, ce sont les réformes, ce sont les projets... c'est ça qui s'passe ici... voilà. »

Rapidement, il reprend son texte : « alors autour du laser mégajoule et de la route des lasers, vous êtes en train de créer un écosystème de la connaissance... » Les mains se rapprochent, le regard est toujours vissé sur le texte, il trébuche à nouveau : « Nous voyons ici jouer l'effet cluster, l'effet d'entraînement... mais qui eut il y a quelques années seulement qu'autour de ce soute... de ce site militaire, un pôle de compétitivité ? » ... Il continue à lire son texte, puis le regard se relève, il connaît le sujet, il comprend enfin quelques lignes : « au 1er janvier, mesdames et messieurs, mes chers compatriotes, 90% des universités françaises seront autonomes... Qui l'eut dit ? Qui l'eut cru ? » Le poing presque levé et toujours serré, Sarkozy marque une pause. Il tient son trophée. Juppé s'endort quasiment. Sarkozy triomphe et se moque : « Qui aurait pu imaginer qu'en trois ans... en trois ans... le système universitaire français aurait évolué vers l'autonomie sans drame, sans querelle théologique ? Bien sûr... il y a eu quelques grèves - on est en France -, quelques incompréhensions - on est en France-, quelques occupations, on est en France. Mais, en France, on peut le dire au monde entier, notre système universitaire a brillamment passé l'épreuve de sa mutation


On le sait trop bien. C'est désormais la concurrence pour se chiper des universitaires. On applaudit. En septembre dernier, l'UNEF a dénoncé la hausse des frais de scolarité.

Puis Sarkozy embraye sur un mot de félicitation pour le président de l'université de Bordeaux I, et... son plan Campus. Cinq milliards d'euros, il répète deux fois le montant, pour créer 10 implantations « aérées, écologiques, gaies » dont les travaux commenceront avant la fin du quinquennat. « Il n'y a pas de fatalité. On ne peut pas bien étudier l'avenir dans des bâtiments qui ont à peine de quoi refléter le présent. » La formule claque.

« Alors, peut-être ces chiffres vous font tourner la tête... parce qu'on me dit, 'mais il y a des déficits', parce que la France est endettée, mais mesdames et messieurs, trop souvent dans le passé nous avons fait le mauvais choix, le choix de ne pas avoir le courage de remettre en cause des dépenses de fonctionnement et de sacrifier par facilité des dépenses d'investissement. La question n'est pas que l'emprunt est mauvais, la question est pourquoi décidons-nous d'emprunter. Emprunter pour investir, c'est un emprunt qui prépare l'avenir, qui permet de créer de la richesse, qui permet de créer de la croissance, et qui permet de remettre la France dans la compétition internationale. Et vous comprenez mieux ainsi les moyens, les réformes, l'un avec l'autre et le refus des vieux clivages. »

Il ajoute : « Nous sommes dans un nouveau monde. Il nous faut de nouvelles idées. » A Bordeaux, Sarkozy voulait jouer à Kennedy, même si les manifestations de la semaine le ramenait à Devaquet ou Nixon. Au choix.

Il se compare ensuite aux chercheurs : « vous les chercheurs le savez... les grandes découvertes scientifiques ont été souvent à l'origine marquées par le refus du consensus. (...) On ne peut pas rester immobile. »

Sarkozy annonce ensuite une « étape II » de modernisation des universités, remercie à droite et à gauche. Il lui reste quelques secondes pour quelques phrases, reprises plus tard par tous les médias à l'affut d'une allusion, fusse-t-elle modeste, aux emballements sociaux des dernières heures.

« Je ne suis pas un obsédé de la réforme, mais j'ai la responsabilité de conduire la cinquième économie du monde, dans un monde qui bouge. Notre pays ne peut pas rester immobile. Nous n'avons plus les moyens d'attendre pour décider. Nous ne pouvons pas mettre la poussière sous le tapis. Nous ne pouvons pas fermer les yeux... devant les déficits, et les retards qui sont les nôtres. Notre devoir, c'est d'agir, d'agir dans l'intérêt général. D'agir avec justice, mais d'agir. Au fond, je crois que la pire des injustices, c'est l'immobilisme... Celle qui consiste... cet immobilisme... à conserver les injustices parce qu'elles sont anciennes... Je vous remercie. »

L'homme qui s'exprime ainsi, si maladroitement, est celui qui nous a expliqué que l'immigration depuis 50 ans était responsable de la montée de l'insécurité (à Grenoble, le 30 juillet), qui a plombé les comptes publics d'une grosse vingtaine de milliards d'euros de cadeaux fiscaux depuis 2007, qui a saccagé l'éducation nationale, les forces de l'ordre ; et qui cherche désormais à sauver la fiscalité avantageuse du patrimoine de quelques-uns maintenant qu'il est acculé à abandonner son bouclier fiscal./////////////SarkoFrance

Mot à Maux


Rédigé par psa le 16/10/2010 à 23:01
Tags : Carla Bruni Laser Sarkozy Notez



Les sociétés dans lesquelles nous vivons représentent encore ce qui s’est fait de mieux jusqu’à présent. L’ancien ministre français de l’Éducation nationale, Luc Ferry, le proclame dans un livre peu orthodoxe « La Révolution de l’amour. Pour une spiritualité laïque » (476 p). Pour Luc Ferry: «Nous aimons plus que jamais» simplement parce que : « Une vie de mortel réussie est préférable à une vie d’immortel ratée ». Toute une leçon de vie! Interview avec Robert Solé pour Le Temps.


Louis Runemberg, Harem, 2001
Louis Runemberg, Harem, 2001

Votre livre porte un titre inattendu: «La Révolution de l’amour». Enfin, pas tout à fait inattendu pour ceux qui vous ont suivi puisque vous avez déjà publié, en 2007, «Familles je vous aime». Selon vous c’est l’amour, désormais, qui anime non seulement notre vie intime, mais notre vie intellectuelle et politique. À l’humanisme des Lumières aurait succédé l’humanisme de l’amour…
Luc Ferry: L’amour existe depuis toujours, mais l’invention du mariage d’amour est, sur le plan sociétal, l’événement majeur des deux derniers siècles en Europe.

– Qu’est-ce que le mariage d’amour?
Luc Ferry : C’est le mariage choisi par les enfants et non pas imposé par les villages et les parents. Ce mariage d’amour est né de l’émancipation de l’individu que le salariat a induite, sans le vouloir, par rapport à l’emprise des villages. Cet éloignement par rapport au village, c’est aussi, curieusement, ce qui a permis en Europe la laïcité. Car c’est aussi un éloignement par rapport au poids social des religions. La laïcité n’est pas née en France de l’histoire des idées. Elle est née de l’histoire de la famille moderne et de l’histoire du salariat. On s’est arraché au village, on a pris une distance par rapport au curé.

– La conséquence de tout cela, nous dites-vous, c’est qu’aujourd’hui plus personne n’est prêt à mourir pour Dieu, pour la patrie ou pour des idées, alors qu’on ne renoncerait à aucun sacrifice pour ses proches, ses enfants.
Luc Ferry : L’invention du mariage d’amour a eu pour conséquence l’amour des enfants comme jamais dans l’histoire de l’humanité. Au Moyen Age, la mort d’un enfant était moins grave que la mort d’un cochon ou d’un cheval. Montaigne écrit à un de ses amis une phrase que je cite: «Mon cher ami, j’ai perdu deux ou trois enfants en nourrice.» Mais cet amour des proches, loin de pousser à l’individualisme et au repli sur soi, a pour conséquence, au contraire, l’ouverture au collectif et au politique.
Ce qui se passe aujourd’hui est passionnant: nous vivons la liquidation de toutes les figures traditionnelles du sacré, au sens étymologique du terme. Le sacré n’est pas le religieux opposé au profane. Des valeurs sont sacrées quand je pourrais me sacrifier pour elles, donner ma vie pour elles. Dans l’histoire de l’Europe, il y a trois figures du sacré collectif. On est mort pour Dieu, ce sont les guerres de religion, la Saint-Barthélemy et autre; on est mort pour la patrie (la dernière guerre mondiale a fait 53 millions de morts), et on est mort pour la révolution (en gros, le communisme a fait 120 millions de morts dans le monde). Je prétends que, sous l’effet de l’histoire de la déconstruction au XXe siècle, ces trois figures du sacré ont été liquidées en Europe.

– Pour vous, Dieu n’existe pas, mais vous défendez l’idée de transcendance. Qu’est donc cette transcendance sans Dieu?
Luc Ferry : Quand vous aimez vraiment quelqu’un, que ce soit sous la forme de l’amour passion, ou que ce soit l’amour des enfants, vous vous vivez dans l’amour l’épreuve de la sacralisation de l’autre. Il devient sacré au sens où vous pourriez à la limite donner votre vie pour lui s’il était menacé.
Vous faites donc l’épreuve d’une transcendance de l’autre, mais cette transcendance vous ne la ressentez pas dans le ciel des idées ou dans la religion, vous ne la ressentez nulle part ailleurs qu’en vous-même. Partout, dans toutes les langues, elle est là, cette métaphore du cœur. C’est cela que j’appelle, en suivant Husserl, la transcendance dans l’immanence. C’est une transcendance laïque en quelque sorte.

– Si notre vie est fondée sur l’amour, comme elle ne l’a jamais été, et si Dieu est plus absent que jamais, le deuil de l’être aimé devient insupportable…
Luc Ferry : Oui, nous aimons plus que jamais. C’est le tragique de la condition de l’homme moderne. Le grand thème de la philosophie grecque a été de dire que la vie bonne est la vie qui accepte la mort, qui a vaincu les peurs, et qui est capable de vivre au présent. Le sage est celui qui n’a plus peur de la mort et celui qui est capable de se réconcilier avec l’être. Spinoza, Nietzsche reprendront cela. Vous trouvez là la première grande définition de la spiritualité laïque, la première grande définition de la vie bonne qui ne passe ni par la foi ni par Dieu.
Après la guerre de Troie, Ulysse va mettre dix ans à rentrer chez lui car il a crevé l’œil d’un cyclope, fils du terrible dieu Poséidon. Lequel va essayer de lui faire oublier le sens de sa vie, le sens de son voyage, qui va de la discorde et de la guerre à l’harmonie et à la paix, à Ithaque. Ulysse met le pied sur une île où se trouve une divinité sublime, Calypso. Elle tombe, raide, folle amoureuse de lui. Si tu restes avec moi, lui dit-elle, je te donnerai la jeunesse et l’immortalité. Promesse chrétienne avant la lettre. Ulysse refuse cette promesse alors qu’il a vu la mort de près et visité les enfers. Il quitte la nostalgie et renonce à une fausse espérance, pour choisir le présent. Il pense qu’une vie de mortel réussie est préférable à une vie d’immortel ratée. C’est le début de la philosophie.


Silence


Rédigé par psa le 15/10/2010 à 03:00
Tags : Amour Luc Ferry Vie Notez



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