Profil
Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Dans quelques jours, on fêtera le 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin. Le dernier secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique raconte comment il a vécu la fin du communisme, ses succès et son échec personnel. «On ne saurait porter directement au crédit de Mikhaïl Sergueïevitch Gorbatchev les événements de 1989: il ne les avait pas préparés et n’en saisit que vaguement l’importance à long terme. Mais il en fut la cause permissive et précipita le cours des événements. Ce fut bien la révolution de M. Gorbatchev.» Le verdict est de l’historien Tony Judt qui conclut par ces lignes le chapitre sur «La fin de l’ordre ancien» dans sa monumentale Histoire de l’Europe ( * Tony Judt, «Après-Guerre, une histoire de l’Europe depuis 1945», trad. de l’anglais par Pierre Emmanuel Dauzat. Ed. Hachette Littératures, Paris, 2007.). Mikhaïl Gorbatchev accède au poste de secrétaire général du Parti communiste de l’Union soviétique en 1985 et lance aussitôt la politique de glasnost (transparence) et de perestroïka (restructuration). A l’été 1989, il déclare sans ambiguïté que l’Union soviétique ne s’immiscera plus dans les affaires intérieures de ses États satellites de l’Europe de l’Est. Il sonne la fin d’un empire. L’effet domino sera fulgurant. Politicien toujours engagé et par ailleurs fondateur de la Croix-Verte internationale dont le siège est à Genève, Mikhaïl Gorbatchev explique dans une interview exclusive à Le Temps (Frédéric Koller) comment il a vécu ces événements.


Boris Vallejo
Boris Vallejo


La chute du mur de Berlin est associée à l’effondrement du communisme en Europe. Avec le recul pensez-vous qu’un autre scénario aurait été possible?
Il est difficile de me souvenir des détails, mais ce n’était pas si inattendu. De grands changements étaient en cours en Union soviétique et en Europe de l’Est. Il y avait un grand problème non résolu depuis la guerre: celui d’une Europe divisée qui concernait en particulier les Allemands. L’idée d’un changement s’est imposée, par une union monétaire, puis une confédération de deux Etats allemands. Mais ce devait être graduel. Or les passions se sont exacerbées et les Allemands ont pensé que c’était tout de suite ou que l’occasion serait perdue pour l’unification. En décembre, Hans Modrow [premier ministre est-allemand de novembre 1989 à mars 1990] m’a téléphoné pour me dire: «Ici, hormis les bureaucrates, tout le monde souhaite une unification immédiate.» En janvier 1990, nous faisions la chronique quotidienne des manifestations à l’Est et à l’Ouest pour une réunification immédiate. J’ai réalisé que, dans ce cas, il fallait que nous changions notre politique, celle des nations victorieuses de la Deuxième Guerre mondiale. Aucun leader de ces nations n’était enthousiaste à l’idée d’une rapide réunification. C’étaient les Allemands qui la réclamaient. Margaret Thatcher était contre. François Mitterrand, mon ami, m’a dit: «Nous aimons tellement les Allemands que nous voulons pour eux deux Allemagnes!» C’était son style… Il n’empêche, la chose à retenir c’est que, bien qu’il y ait eu des disputes, tous ces leaders sont parvenus à un accord sans trop de frictions pour une unification allemande. La pomme était mûre, il fallait la cueillir. » Une alternative à cette voie? Oui, cela aurait été possible. Si Erich Honecker, le président de la République démocratique allemande (RDA), avait entamé deux ou trois ans plus tôt le processus des réformes pour démocratiser le pays. Les gens le voulaient. Dans tous les autres pays, le changement était en marche. L’URSS, qui était la forteresse du socialisme, changeait. Honecker, en cette occasion, n’a pas agi. Auparavant, nous voulions que les leaders des pays de l’Europe de l’Est nous suivent. Cette fois-ci nous avons dit: nous voulons la perestroïka. Nous allons la réaliser mais c’est vous qui décidez ce que vous voulez pour votre pays. Nous n’interférerons pas. A deux reprises, des leaders de ces pays ont fait appel à nous pour intervenir…
Lesquels?
Je ne les mentionnerai pas. Nous leur avons dit d’agir au mieux, selon leurs besoins. À vous de décider. Nous ne sommes pas intervenus.
Le 7 octobre 1989, à l’occasion du 40e anniversaire de la RDA, vous rencontrez Honecker. L’épisode s’est imposé dans les mémoires comme le «baiser de la mort». Que lui avez-vous dit exactement?
Cette fameuse bise n’avait aucune signification particulière. Nous avons eu une longue conversation et j’ai compris qu’il ne saisissait pas ce qui était en train de se passer. Le soir même, il y a eu un défilé à la torche de jeunes gens qui demandaient le changement en chantant «Gorbi, aide-nous!» J’étais à côté de Honecker. Il chantait seul de son côté, il ne comprenait pas, et j’en étais désolé.

Gustave Courbet
Gustave Courbet
Aux Etats-Unis, on pense que c’est l’intransigeance du président Ronald Reagan qui a précipité la chute du communisme. Qu’en pensez-vous?
Ils ne le disent plus. J’ai visité il y a quelques mois le Musée Ronald-Reagan en Illinois. Là, tout comme dans l’establishment américain, on comprend peu à peu que c’est parce que l’URSS changeait avec une nouvelle génération de dirigeants que les choses ont évolué. Sans ces changements, Reagan aurait pu exécuter toutes les danses qu’il voulait à Berlin, le Mur serait toujours là. Un des premiers problèmes que nous voulions régler en tant que nouveaux leaders était de normaliser nos relations avec les Etats-Unis. Et nous avons eu un certain succès. Par ailleurs, parmi les proches de Reagan, certains avaient compris que Gorbatchev et ses réformes leur offraient une belle occasion. Reagan avait la réputation d’être un guerrier de la Guerre froide. Au début de son second mandat, dans son entourage, on s’interroge sur son héritage. Allait-il rester dans l’histoire comme un guerrier ou un faiseur de paix?
Quelle fut l’importance de la course aux armements dans l’effondrement de l’URSS?
Ce n’était certainement pas le principal facteur. Cela n’a rien à voir avec la dynamique qui mènera à la chute de l’URSS. La course aux armements a engendré des pertes majeures pour nos deux nations et nos deux économies. Les Américains et les Russes ont payé 10 000 milliards de dollars chacun pour cette surenchère, et il y avait une réelle menace de guerre nucléaire. Mais ce sont bien les luttes internes concernant le futur de l’union qui sont à l’origine de la chute de l’URSS. Il faut se baser sur les faits et non sur des concepts issus de l’imagination.
Quel était votre objectif en 1989?
Jusqu’au dernier moment j’ai pensé que l’union de nos républiques pourrait être préservée. Des erreurs ont été commises. La République de Russie était dirigée par des gens qui agissaient contre les principes de la perestroïka, contre une nouvelle forme d’union où toutes les républiques seraient égales. Ces gens étaient comme des animaux, assoiffés de pouvoir, ils ont ruiné le pays, ruiné l’union, ruiné l’économie et leur propre futur. En tant que politicien j’ai peut-être perdu, mais les politiques que j’ai défendues ont permis de réaliser toutes les transformations nécessaires jusqu’en 1991. La perestroïka avait atteint un point de non-retour. J’ai perdu, mais la perestroïka a gagné.
Le concept de «perestroïka» évoluait au fil des événements. En aviez-vous une définition précise?
L’idée de la perestroïka était de mettre un terme au système totalitaire, d’évoluer vers la démocratie, l’économie de marché, la liberté d’expression et de la presse, l’ouverture vers les autres pays. Tout cela s’est réalisé. Ceux qui voulaient un menu, comme au restaurant, des spaghettis, un second plat, ceux qui voulaient que la perestroïka soit une liste, se trompaient. Nous avons bougé graduellement dans la direction qui nous semblait la bonne. D’un point de vue tactique, oui, nous avons fait des erreurs, il a fallu adapter notre trajectoire. Dans un pays comme la Russie avec l’industrialisation que nous avions entreprise, il y avait énormément de défis.
La «perestroïka», c’était des réformes économiques et politiques simultanées. A l’inverse, la Chine mène des réformes économiques avec de vagues promesses politiques. Que vous inspire le modèle chinois, cette antithèse de la «perestroïka»?
Ce que font les Chinois est super! A présent ils ont la Chine nouvelle, et ils ne savent pas très bien quoi faire. Ils devraient y réfléchir plutôt que de s’auto-congratuler. Je plaisante, bien sûr. Plus sérieusement, vous savez que les Chinois ont en fait commencé par une «réforme politique». C’était la Révolution culturelle, elle a duré une décennie, même Deng Xiaoping est parti en camp de rééducation. Ensuite seulement ils ont entamé leurs réformes économiques, mais pas à pas. La Chine est un pays très différent. Nous avions besoin de la perestroïka pour un peuple très éduqué.
Que pensez-vous de la façon dont Vladimir Poutine et Dmitri Medvedev dirigent aujourd’hui la Russie? Assiste-t-on à un retour en arrière avec ce néo-autoritarisme assumé?
Souvenez-vous que la priorité numéro un du pouvoir actuel était de remédier au chaos légué par Boris Eltsine, un homme tant célébré par l’Occident comme un vrai démocrate. Son legs: chaos dans l’économie, chaos dans l’armée, chaos dans l’éducation, chaos dans la démocratie. Dans tous les domaines, c’était la désintégration. Nos amis à l’Ouest semblent incapables de pardonner à Poutine d’avoir sorti le pays de ce chaos. La Russie a pu se redresser – bien sûr avec une petite aide de Dieu. Dieu s’est dit, OK, aidons un peu ce Poutine! Et le prix du pétrole a commencé à grimper sur le marché international…
La première présidence de Poutine a consisté à consolider le pays. Désormais le pays est stabilisé. Le temps est venu de renforcer la démocratisation des institutions du pays. Mais retenez cela, nous ne sommes qu’à mi-chemin sur la voie de la transition démocratique. Nous affrontons certains problèmes qui ne peuvent pas facilement être réglés par un système démocratique. C’est pourquoi le pouvoir doit parfois user de méthodes autoritaires. On doit dire franchement et ouvertement que si ces méthodes autoritaires peuvent parfois se justifier, elles ne doivent en aucun cas devenir la règle. Nos dirigeants ne doivent pas recréer un système totalitaire. Je ferai de mon mieux pour que le point de vue démocratique l’emporte et que la société civile continue à se développer.
Vous seriez sur le point de créer un nouveau parti politique. Qu’en est-il?
Nous avons besoin d’un parti politique fort et indépendant, capable de critiquer le gouvernement. C’est à l’agenda. Mais il y a un problème: j’ai 78 ans.
Gorbatchev est très populaire à l’Ouest et très impopulaire en Russie. Comment gérez-vous cela?
Dans le passé c’était vrai. A présent, je n’en suis plus si sûr. Je suis une personne libre. Comme citoyen russe, de quoi de plus aurais-je besoin? Le pouvoir? Je l’ai eu. Maintenant je me contente de mon rôle critique et d’aider les jeunes.


Une évocation de la Femme au perroquet de Gustave Courbet
Une évocation de la Femme au perroquet de Gustave Courbet

Benoît XVI a célébré dimanche 25 octobre à Saint-Pierre de Rome la messe de clôture de la deuxième assemblée spéciale pour l’Afrique du Synode des évêques. Un Synode résolument pastoral, qui s’est voulu à l’échelle de l’Église universelle.


La basilique Saint-Pierre du Vatican le 25 octobre 2009 à l'occasion de la dernière journée du Synode pour l'Afrique.
La basilique Saint-Pierre du Vatican le 25 octobre 2009 à l'occasion de la dernière journée du Synode pour l'Afrique.
Kikongo, swahili, yorouba, guèze, mais aussi français, anglais, italien, portugais… et le latin pour l’Évangile. Les langues qui ont résonné ce dimanche dans la basilique Saint-Pierre durant la célébration de clôture du Synode, présidée par le pape entouré de 294 concélébrants, ont été à l’image de ce synode : diverses mais en communion. « Nous nous sommes parlé ! » Au fil des 236 interventions, l’évidence s’est en effet imposée. Une « collégialité affective et effective » a émergé, soulignée par Mgr Edmond Djitangar, évêque de Sarh (Tchad) et l’un des deux secrétaires spéciaux. Et ils en avaient besoin, les évêques d’Afrique, ou plutôt des Afriques.

« Confiance ! Lève-toi, continent africain ! » leur a dit Benoît XVI ce dimanche, leur rappelant « la prédilection de Dieu pour ceux qui sont privés de liberté et de paix, pour ceux qui sont violés dans leur dignité de personnes humaines. » C’est bien en souffrant dans leur chair que ces évêques voient des enfants-soldats à qui on donne des kalachnikovs, qu’ils voient leurs diocèses se vider de millions d’émigrants qui vont mourir dans ces cimetières à ciel ouvert que sont devenus la Méditerranée, le Sahara ou la grande forêt du Congo, qu’ils voient une partie des élites africaines participer au pillage de leur pays, qu’ils voient des familles entières décimées par le sida. Tout cela, ils ont pu le partager entre eux et le dire au monde. Car ce Synode a été véritablement universel.

Le Saint-Père, en passe de devenir pour beaucoup un « guide de l’Afrique », a été présent à la plupart des sessions. Le cardinal Péter Erdö, archevêque d’Esztergom-Budapest et président du Conseil des Conférences épiscopales d’Europe (CCEE), a souligné, pour La Croix, plusieurs analogies : « En Hongrie comme en Afrique du Sud, la transition vers la démocratie s’est accompagnée d’une “dictature des libérateurs”. Et les violences du Rwanda reposent sur des fondements assez proches des drames de l’ex-Yougoslavie. »

L’un des cris majeurs de ce Synode a été l’appel à la « sainteté » des dirigeants, en particulier catholiques. Edem Kodjo, ancien secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine (OUA), ancien premier ministre du Togo, et professeur de patrologie à l’Institut Saint-Paul de Lomé, était auditeur à ce synode. « Nos gouvernants, trop souvent, ne sont pas à la hauteur, a-t-il confié. L’Église a le devoir d’appeler à plus de justice, plus de solidarité, plus de recherche du bien commun. À plusieurs reprises, j’ai hésité à poursuivre la vie politique : je ne sais pas tuer un adversaire. Chez nous, les chrétiens ne sont pas suffisamment préparés à la politique. » Notamment lorsque celle-ci est traversée par des réseaux occultes en lien avec des sociétés secrètes.

Au déjeuner de samedi, qui a rassemblé les pères synodaux autour de Benoît XVI, celui-ci a esquissé le difficile chemin en ligne de crête de l’Église : « Le thème “Réconciliation, justice et paix” implique certainement une forte dimension politique, mais rien n’est possible sans une profonde purification du cœur qui doit résulter de la rencontre avec Dieu. Sans réalisation politique, cette nouveauté de l’Esprit ne peut se réaliser. Pour éviter la politisation, le danger serait de se retirer du monde. Les pasteurs doivent donc donner une parole concrète, mais spirituelle. » (…)

L’islam a également traversé de part en part les travaux. « Nous avons été écoutés sur le caractère positif possible d’une rencontre avec l’islam », se réjouit l’évêque de Laghouat (Algérie), Mgr Claude Rault. Mais l’exigence de réciprocité a également été exprimée avec vigueur, notamment par Mgr John Onaiyekan, archevêque d’Abuja (Nigeria). « Nous nous sommes expliqués sur une relation possible de partenariat ; c’était nouveau », précise Mgr Rault.

Curieusement, des thèmes largement présents au fil des interventions épiscopales ont peu été repris dans le message ou dans les propositions. Ainsi de l’« impérialisme culturel occidental » ou du « débauchage » de nombreux catholiques par des nouvelles Églises indépendantes. Trois questions essentielles – le célibat des prêtres, l’autofinancement des diocèses et l’inculturation de la liturgie – n’ont fait l’objet que d’allusions. Enfin, beaucoup de pères synodaux ont déploré que, parmi les 73 journalistes accrédités au Synode, rares étaient les Africains. /////Frédéric MOUNIER


Diplomatie Publique


Rédigé par psa le 25/10/2009 à 21:54



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