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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Un pays qui se meurt déjà. Un pays où le dialogue politique n’existe plus. Un pays où les manifestations politiques sont réprimées dans le sang. Un pays où le centre des transactions commerciales de sa capitale part en feu. Un pays triste… Un pays tout de même.


Autochtones canadiens le 11 janvier 2013 dans les rues d'Ottawa
Autochtones canadiens le 11 janvier 2013 dans les rues d'Ottawa


Hier encore, on parlait du dialogue. Dialogue politique sincère, franc et de bonne foi, partout, au lieu du silence et du mépris des adversaires. Dialogue des dirigeants politiques avec les autochtones du Canada. Dialogue des dirigeants politiques avec l’opposition du Togo.

Hier, j’étais sur l’Île Victoria pour donner mon appui à la Chef autochtone d'Attawapiskat Theresa Spence. On sait le sous-développement dans lequel vivent les Premières Nations du Canada, malgré la richesse du pays. D’ordinaire inflexible, le Premier ministre canadien Stephen Harper est subitement devenu conciliant ces derniers temps, acceptant de recevoir les Chefs amérindiens. Subitement, la situation des Autochtones canadiens est devenue une priorité pour le gouvernement. Un gouvernement canadien de Stephen Harper réputé têtu, très têtu même. Mais depuis hier, il semble qu’il se serait engagé à écouter et à agir autrement. L’avenir, tu nous diras…

Hier, de Lomé, les nouvelles n’étaient pas bonnes. Des arrestations et de la violence pour étouffer les fameux Derniers Tours de Jéricho, manifestations de l’opposition togolaise prévues sur l’ensemble du territoire ces 10, 11 et 12 janvier 2013. Marché de Kara en feu le 10, violentes répressions des manifestants les 10 et 11 janvier et, très tôt ce samedi 12 janvier, le Grand Marché de Lomé la capitale, le poumon économique et le centre de toutes les transactions commerciales de la population vraie et innocente –le vrai monde ou la masse populaire comme on disait le siècle dernier, tout ce symbole vient d’être ravagé par le feu. Ici, au Togo, plus de dialogue. Pas de dialogue cent fois; pas de dialogue sans foi. Sang! Feu!

Et comme un malheur ne vient jamais seul, pas de services de pompiers respectables, ni à Kara à 450 km de Lomé et réputé fief politique du président togolais. Lomé la capitale, bastion de l’opposition au gouvernement n’a pas plus de services d’incendie respectable. Les secours sont même venus du pays voisin, le Ghana. Triste! Triste Togo!

C’est dans cette désolation que le choix de la bonne foi et du dialogue politique va devoir s’instaurer, avec ou sans d’autres développements à feu ou à sang. Hier effectivement, je parlais « Du Togo pour la prospérité ». J’écrivais :
« Cinquante ans déjà que tout un pays, le Togo, vit à l’ombre de son drame politique fondateur : l’assassinat le 13 janvier 1963 de son premier président de la République Sylvanus Olympio (…) Et depuis, le tout Togo politique y est figé, sacrifiant même sa prospérité pour déifier deux solitudes, une division continue et un deuil quasi éternel. Cinquante ans plus tard, il est grandement temps de bâtir un consensus national autour de cette problématique : une vocation au pardon telle que celui-ci s’imposerait à la permanente logique de la confrontation. Aujourd’hui, plus personne ne peut valablement dire que l’on ne sait quoi faire. Masques et illusions… À bas! »

Tout y est, tout était déjà dit, puisque j’écrivais aussi en appelant à autre chose que la confrontation permanente : « Au Togo, plus personne ne peut valablement dire aujourd’hui que l’on ne sait quoi faire ni par où passer pour faire avancer le pays, encore moins aplanir les divergences et redémarrer tous les enthousiasmes vecteurs du développement partagé. Les portes du Grand Pardon sont restées ouvertes et ne demandent qu’à être franchies dans la bonne foi. »

Quoi faire maintenant? C’est bien ce que dit « Du Togo pour la prospérité ». Assumer le Togo autrement, courageusement, respectueusement. C’est bien ce que disait déjà, en novembre 1990, le Grand Pardon et son « Appel pour un renouveau démocratique au Togo » :
« Nous en appelons au patriotisme de tous les Togolais. Qu’ils comprennent qu’il n’existe pas de douleur ni de souffrance qui résiste indéfiniment au temps, que près de trente ans après les dramatiques événements de 1963, l’heure a sonné de tendre les uns vers les autres, les paumes ouvertes de la réconciliation. Nous demandons au Gouvernement, et particulièrement au Président de la République d’admettre qu’en dépit des déclarations officielles, la réconciliation n’a jamais été effective dans notre pays. En conséquence, nous adjurons le Chef de l’État de tout mettre en œuvre pour qu’intervienne au plus vite une véritable union et réconciliation entre les enfants du Togo. Pour ce faire, il doit se surpasser et faire les premiers pas »

Le Grand Marché de Lomé, Assigan-mé, le cœur du Togo économique n’avait pas besoin de bruler pour que l’évidence du dialogue vrai soit comprise de tous et de partout.


Silence


Rédigé par psa le 12/01/2013 à 07:55



Norodom Sihanouk, l’un des monuments de l’histoire de l’Asie du XXe siècle, s’est éteint lundi à l’âge de 89 ans. L’ancien roi dieu est resté vénéré dans son pays après en avoir maintenu l’unité malgré des décennies de guerre, lui qui rêvait d’être couronné à Cannes comme acteur de cinéma dans les films de sa… Monica. Prince des contradictions et des drames shakespeariens, par deux fois déjà il abdiqua : au profit de son père Norodom Suramarit d’abord puis de son fils Norodom Sihamoni ensuite. Désormais, c’est pour la vie qu’il tire sa révérence, le lendemain même du Sommet de la Francophonie, une institution qu’il contribua à fonder avec certains leaders africains. Norodom Sihanouk : une Histoire jamais achevée, une neutralité qui toujours penchait à gauche au point de mourir à Pékin.


Mort du Prince des Contradictions
Norodom Sihanouk, ancien roi du Cambodge, surnommé par son peuple Samdecheuv (monseigneur papa) laisse, à 89 ans, un pays dont il a traversé toute l’histoire contemporaine mouvementée et dramatique. Le prince s’est éteint au petit matin à Pékin. Il séjournait fréquemment dans la capitale chinoise, où il se faisait soigner.

Un destin hors du commun que celui de Norodom Sihanouk, seul monarque au monde à avoir abdiqué en faveur de son père afin de pouvoir se lancer sans entraves dans la politique. Le Théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine en avait superbement dressé le portrait à travers L’Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge. Cette épopée shakespearienne de huit heures, écrite par Hélène Cixous, révèle tous les antagonismes de ce prince à la voix haut perché, aussi chanteur et acteur d’un kitsch inégalé: impulsif, capricieux, romantique, dont l’orgueil aveugle entraînera la perte de son pays. Monarque volatil certes, mais aimant sincèrement son peuple et doté d’un sens politique aigu.

Il a 18 ans lorsqu’il est installé sur le trône en 1941 par le gouvernement de Vichy qui voit en ce coureur de jupons une marionnette manipulable à souhait. Mais le jeune play-boy ne tarde pas à se révéler un redoutable politicien. Alors que la guerre coloniale française déchire les entrailles du Vietnam, Sihanouk obtient en 1953 l’indépendance du Cambodge, sous protectorat, sans qu’une goutte de sang ne soit versée. Deux ans plus tard, débarrassé de son statut de roi, il fonde le Sangkum Reastr Niyum, mouvement d’inspiration socialiste.

Prince des contradictions, il régnera pendant quinze ans en endossant les habits ancestraux du roi dieu, adulé par son peuple (des paysans pour plus de 80%), mais de plus en plus critiqué par les intellectuels aussi bien de gauche que de droite. Liquidations et emprisonnements seront le lot de ces opposants politiques envers lesquels il ne se montre guère compatissant.

Fidèle à la tradition de ses aïeux, il rend lui-même justice au cours d’audiences populaires durant lesquelles les citoyens peuvent exposer leurs litiges d’ordre personnel ou avec l’administration. Chaque année, il préside dans un faste royal la cérémonie du Sillon Sacré où il conduit deux bœufs pour invoquer les divinités afin que les récoltes soient abondantes. Avec le temps, le séducteur, amateur de caviar et de champagne, marié à six reprises et père de 14 enfants, se stabilise auprès de Monique, un mannequin d’origine italo-vietnamienne. Il réalisera de multiples films et chansons à l’eau de rose, se mettant en scène avec Monique dans des paysages idylliques du Cambodge.

Les années 1960 seront aussi ¬celles des réalisations d’urbanisme grandioses, des constructions d’hôpitaux, d’écoles et des campagnes massives d’alphabétisation. Une politique qui témoigne d’une sincère volonté de développer le pays. Mais plus que tout, le prince veut faire du Cambodge la «Suisse de l’Asie». Doté d’un sens de l’humour et de l’ironie certains, il répond en 1964 dans une interview accordée au journaliste suisse Jean Dumur: «Certains observateurs disent que notre neutralité penche un peu à gauche», soutenant que le socialisme khmer (tel qu’il l’entend) n’est pas marxiste, mais national et inspiré de la doctrine du bouddha. Et d’ajouter qu’il n’y a «aucun motif de craindre la Chine… qui a promis fermement d’intervenir à nos côtés en cas d’invasion d’un pays voisin ou des USA».

Ami des Chinois, il l’est aussi des Français. Il a surtout une admiration sans mesure pour le général de Gaulle qu’il accueille avec faste en 1966 à Phnom Penh. ll sera l’un des pères fondateurs de la francophonie – avec Habib Bourguiba, Léopold Sédar Senghor, Diori Hamani – et du Mouvement des non-alignés – avec Nasser, Nehru, Tito, Sukarno.

Mais le «prince Sihanouk» va entamer un dangereux jeu d’équilibriste défendant bec et ongles une neutralité sur un territoire convoité aussi bien par les Américains que par les puissances communistes. Marquant son hostilité envers la Thaïlande et le Vietnam du Sud, il n’hésite pas à fustiger la politique de Washington lors d’interminables discours à la radio. Tandis qu’il autorise – avait-il vraiment le choix? – un passage dans son pays pour les troupes nord-vietnamiennes communistes vers le sud, la fameuse Piste Ho Chi Minh. S’ensuivent les bombardements des B52 sur le Cambodge, puis le coup d’État pro-américain de 1970. Humilié, il s’allie avec le diable – les Khmers rouges. Une complicité qui lui vaudra une étiquette de complice de ce régime qui a fait près de 2 millions de morts entre 1975 et 1979.

Le reporteur et écrivain suisse Bertil Galland, grand connaisseur de l’Asie, a rencontré à multiples reprises Sihanouk. «Il m’avait reçu en 1972 à Pékin, raconte-t-il. Il était entouré par les dignitaires khmers rouges. Au moment de mon départ, il m’a raccompagné à ma voiture et il m’a fait comprendre qu’il était coincé, car il ne lui était plus possible de rester neutre. Il acceptait donc d’être instrumentalisé par les Khmers rouges. Mais personne, à ce moment-là, ne pouvait imaginer qu’ils allaient pratiquer une telle politique.» Retenu en otage durant le régime de Pol Pot, Sihanouk allait perdre 25 membres de sa famille proche.

En 1991, après plusieurs années d’activisme international, il revient au pays en héros, fort d’avoir obtenu la signature des accords de paix de Paris. Et en 2004, Norodom Sihanouk abdique une nouvelle fois, en faveur de son fils Sihamoni, invoquant son âge et des raisons de santé. Il rêvait d’être couronné à Cannes comme acteur, mais c’est dans l’histoire qu’il rentrera par la grande porte. ////////// Carole Vann

Silence


Rédigé par psa le 17/10/2012 à 01:15



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