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Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




Cette image a fait le tour du monde. Prise sur le vif, elle ne doit rien au hasard. Que dit-elle du président, de son équipe? De la façon dont tout cela entrera dans l’histoire? Une réussite historique ou un échec calamiteux? À ce moment, les dés sont jetés. Rien n’y peut sauf nous révéler les dessous de la puissance. Pendant les quarante minutes les plus fondamentales de son mandat, le président Barack Obama n’est que celui que montre la photo: assis pratiquement dans un coin, presque comme un stagiaire à qui on aurait demandé de ne pas prendre trop de place. Le pouvoir est humilité avant tout autre chose.


Power is humility
Power is humility
Mettez-les face à face. D’un côté, les gigantesques nuages de fumée s’échappant des Tours jumelles de Manhattan, encore sur pieds pour quelques dizaines de minutes. De l’autre côté, une salle anonyme, des visages attentifs, saisis, presque pétrifiés par ce qui est en train de se passer devant eux. Les deux images signalent respectivement le début d’une ère et, peut-être, sa fin. La «photo de la Situation Room», comme on l’a appelée, a atteint presque immédiatement le statut de ces icônes qui marquent les esprits et qui font éclater ce que les mots ne savent pas dire.

En réalité, les images du 11 Septembre 2001 sont tellement nombreuses que des dizaines de livres ne suffisent pas à en faire le tour. Or, dix ans plus tard, que répond à ce déferlement de clichés? Sur le plan de la représentation, rien. Rien, de la mise en œuvre de l’opération Geronimo, rien de la mort d’Oussama Ben Laden, de l’identification de son cadavre, de sa disparition au large de l’Arabie saoudite. Des attentats contre les Tours jumelles, on a tout vu, ou presque, y compris les victimes terrifiées se jeter dans le vide. Ici, tout est laissé à l’imagination.

Bien plus: c’est de cette seule image que l’opération menée contre Oussama ben Laden tire en quelque sorte sa réalité. Sans elle, tout cela pourrait tout aussi bien n’être jamais arrivé. Or, comme dans beaucoup des images les plus fortes, tout se passe en réalité hors champ. Pour «voir», pour comprendre, il ne reste donc que les reflets sur des visages, que l’on est forcé de scruter. Celui du président Barack Obama, bien sûr, tendu et absorbé. Ceux du chef du Pentagone, Robert Gates, et du vice-président Joe Biden, tempérant leurs émotions sous une carapace d’expérience et de professionnalisme, même si, derrière l’ordinateur ouvert, Biden jouerait nerveusement avec le rosaire qu’il sort dans les moments de pression. Le visage de Hillary Clinton, surtout, le plus fascinant de tous, pétri d’une sorte d’effroi incrédule.

En prenant ce cliché, l’ancien photo-reporter qui est aujourd’hui le photographe officiel de la Maison-Blanche, Pete Souza, est assuré d’intégrer le panthéon des preneurs d’images. De lui, on connaissait déjà ces portraits de Barack Obama d’une intensité frappante et, souvent, d’une rare intimité. Le président en contre-jour devant une fenêtre, semblant contempler face à lui le travail qui l’attend et mesurer les attentes que le monde avait placées en lui lors de son élection. Ou la main d’Obama touchant celle de sa femme, Michelle, sur un bateau au large de la Nouvelle-Orléans. Le président endormi sur un banc lors d’un voyage en Russie. Ou encore la fille du couple, Sasha, se cachant derrière un sofa du Bureau ovale pour faire peur à son président de père...

Jamais peut-être un photographe officiel n’avait noué pareille complicité avec un président américain en exercice. Pete Souza est le double d’Obama autant que sa mémoire. «Nous sommes comme un vieux couple. Je ne le vois plus», rigolait récemment le président. Chaque jour, Souza prend, avoue-t-il, entre 500 et 1100 clichés de tous les faits et gestes présidentiels, dont seule une petite partie est admise pour publication, après avoir passé le filtre du service de presse de la Maison-Blanche. Il faut dire que depuis John Kennedy, aucun président n’avait été aussi photogénique et télégénique, à l’exception peut-être de Bill Clinton. Et depuis la même époque, aucun n’avait de la même manière activé les imaginaires. Pour Souza, c’est presque devenu une obsession, suggère-t-il. Partout où se trouve le président, il veut être présent. Au point, souvent, de frustrer les 3 ou 4 adjoints qui partagent sa tâche, en s’engouffrant comme seul témoin extérieur dans la moindre briefing que tient le président.


Mon voisin, Ousama Ben Laden
Mon voisin, Ousama Ben Laden
C’est donc tout naturellement que le photographe se glisse dimanche dernier dans la « Situation Room », où se réunissent les membres du Conseil national de sécurité, ces responsables civils et militaires qui vont suivre en direct l’opération Geronimo. Personne ne fera attention à lui, personne ne tient la pose, personne ne joue de jeu particulier. Des images, le photographe en prendra des dizaines au cours de 40 minutes que durera la mission militaire dans la ville d’Abbottabad, à des milliers de kilomètres de là. Il est le seul à ne pas fixer du regard les écrans, tandis que se joue sans doute la scène la plus importante de leur carrière pour tous les participants.

Que sont-ils en train de voir, ces hommes et ces femmes les plus puissants de l’Amérique et du monde, lorsque les immortalise le photographe? Est-ce le moment où l’un des quatre hélicoptères Black Hawk ultra-perfectionnés de l’armée, équipés pour la première fois d’un dispositif pour les rendre invisibles aux radars, menace de partir en vrille, et que le sort balance entre une réussite historique ou un échec calamiteux? Sont-ils au contraire en train de vivre ces minutes «qui duraient comme des jours», selon les mots de John Brennan, le conseiller à la sécurité nationale (il apparaît debout, à droite de la photo), qui ont précédé la localisation de Ben Laden? Ce mot désormais fameux: «Visual on Geronimo», lancé par l’un des membres du commando, et qui mettra fin à une traque de dix ans?

Selon les experts, les 15 personnes que montre la photo (pour certains uniquement le bras ou une partie de la tête) ne suivaient pas directement les images de l’attaque retransmises à partir des caméras que les militaires portent sur leur casque, mais bien celles qu’offrent les avions sans pilote (drones) survolant la scène. Mais une chose est sûre, et c’est elle, sans doute, qui contribue à rendre cette image pareillement saisissante: à ce moment, les dés sont jetés.

Rien n’y peut. Le président des États-Unis et ses proches sont réduits au simple rôle de spectateurs. Dans cette salle, qui semble minuscule par rapport à l’importance des enjeux qui s’y jouent, cette photo dévoile les dessous de la puissance tout autant que les désarrois et la solitude de celui qui détient le pouvoir de décision. Quoi qu’il puisse arriver, quel que soit le nombre d’hélicoptères qui tombent en panne et quel que soit le cours des événements dans le «compound» (résidence entourée d’une enceinte) où l’on n’est pas encore sûr de la présence de Ben Laden, il est trop tard pour faire marche-arrière. Malgré son titre de commandant en chef de l’armée, Barack Obama ne peut pas intervenir directement. Pendant les quarante minutes les plus fondamentales de son mandat, le président n’est que celui que montre la photo: assis pratiquement dans un coin, presque comme un stagiaire à qui on aurait demandé de ne pas prendre trop de place.

Si la Maison-Blanche a autorisé la publication de cette image particulière, à l’exclusion de presque toutes les autres, c’est pourtant aussi qu’elle correspond à la vision que l’on souhaite donner de l’événement. Quoi de plus rassurant qu’un président qui pallie un certain manque d’expérience en restant constamment à l’écoute de ses conseillers en matière de sécurité? La logique aurait voulu que Barack Obama occupe la place centrale, ou alors l’extrémité de l’image, où sont placés Robert Gates et Joe Biden, deux hommes précisément choisis pour leur expérience.

Un jour d’histoire… Une image pour l’histoire
Malgré tout, se peut-il que cette photographie en dise davantage qu’elle ne devrait? Qui est, tout au fond, cette femme dont on ne voit que la tête et qui semble être la seule personne âgée de moins de quarante ans présente dans la pièce? La Maison-Blanche l’a identifiée comme étant Audrey Tomason, la directrice pour le contre-terrorisme au sein du conseil national de sécurité. Malaise: pratiquement personne n’a jamais entendu parler d’elle, ni des raisons pour lesquelles elle a été autorisée à participer à une réunion d’une telle importance. Un rôle revêtu du secret absolu, comme c’est souvent le cas dans les milieux du renseignement? Certains lient son poste à des questions relatives au camp de détention de Guantanamo, où la jeune femme (dont le nom réel n’apparaissait pas), n’a pas forcément joué le beau rôle. D’autres, ou les mêmes prévoient que cette photo sera la dernière pour elle à la Maison-Blanche, tant sa carrière risque d’être compromise par le succès planétaire rencontré par cette photo.

Et Hillary Clinton? De manière assez peu convaincante, la secrétaire d’État prétend ces jours qu’elle ne se souvient pas du moment exact, la «milli-seconde» auquel cette photo a été prise. C’est une quinte de toux qui expliquerait le fait qu’elle mette sa main devant la bouche, et non le caractère cru des images qui sont en train de défiler. Ce visage traversé d’émotions est pourtant conforme à cette image que veut donner d’elle même une Hillary Clinton, celle mettant en avant une sensibilité féminine et davantage axée sur l’humain que sur la géostratégie.

Sur le clavier de l’ordinateur qui est posé devant la secrétaire figure la seule zone floutée du cliché pris dimanche dernier par Pete Souza. Une carte, semble-t-il, ou alors une photographie. Les services de la Maison Blanche sont passés par là et ont répandu leurs gros pixels. C’est la seule limite avouée pour cet exercice de transparence. De transparence très maîtrisée.//// Luis Lema


Un jour d’histoire… Une image pour l’histoire

Ad Valorem


Rédigé par psa le 07/05/2011 à 05:37



Jean Paul II sera béatifié dimanche à Rome. Après les scandales de pédophilie, l’Église catholique attend de cet événement un regain de crédibilité. L’homme avait toujours pratiqué un catholicisme de combat, militant et conquérant, qu’il a fortifié dans sa lutte contre le communisme. Jean Paul II était un diplomate, et était obligé de traiter avec des dictateurs.


Santo Subito Jean Paul II : Imparfait et Saint
Jean Paul II sera béatifié dimanche, seulement six ans après sa mort, et malgré les nombreuses zones d’ombre qui pèsent encore sur son pontificat. Comme celui de Mère Teresa (1910-1997), qui a eu lieu en 2003, son procès en béatification a battu tous les records de vitesse. L’usage veut en effet que l’on respecte un délai de cinq ans avant d’entamer la procédure qui conduit à la proclamation d’un nouveau bienheureux. Alain Vircondelet, maître de conférences à l’Institut catholique de Paris, vient de publier un livre sur la béatification du pape polonais («Saint Jean-Paul II», Plon, 270 p.). Il en analyse les enjeux stratégiques et politiques.

Quelle est l’importance de cette béatification? Que peut-elle apporter au catholicisme?
Jean Paul II était le grand joker de l’Église. Il a su rassembler les foules, s’en faire aimer, il a manifesté une exemplarité de foi telle qu’elle est susceptible de devenir un modèle. La béatification est une manière très légitime de montrer l’accomplissement de cette œuvre pastorale si riche et de féconder davantage le terreau catholique qui a subi et subit toujours de violentes attaques de par le monde, notamment dans sa confrontation à l’islam et à la violence laïque. Cette béatification a une dimension stratégique évidente.

Quels sont les avantages politiques pour l’Église catholique?
L’Église peut recouvrer une dimension spirituelle et morale au-dessus de tout soupçon. Elle a été très meurtrie par les affaires de pédophilie, qui ont beaucoup altéré sa dimension éthique et morale. Or Jean Paul II apparaît comme un homme d’une grande intégrité dans sa foi. Il y a chez lui une dimension spirituelle tellement affirmée et accomplie qu’elle vient comme renforcer cette Église qui tout à coup se trouve attaquée. Cette béatification va revivifier l’Église de l’intérieur.

On a l’impression que la béatification de Jean Paul II intervient très tôt. La distance historique manque pour établir un dossier sérieux.
Cette béatification a répondu d’abord à l’injonction populaire «santo subito». De nombreux catholiques ont regretté qu’elle ne soit pas intervenue plus rapidement. La procédure a paru rapide et pas sérieuse aux yeux de beaucoup de monde, mais elle a été réalisée dans le respect absolu des règles de la Congrégation pour la cause des saints. Aucune étape n’a été escamotée ni franchie de manière désinvolte. Mais il est vrai que le procès a été mené avec beaucoup de dynamisme. La réputation de sainteté de Jean Paul II était tellement avérée que le dossier était assez aisé à conduire.

Tout de même, on a le sentiment d’une certaine précipitation à vouloir fabriquer un saint.
On a rarement vu dans l’histoire de l’Église un pape qui a eu un impact aussi puissant auprès des fidèles. Il avait à la fois l’autorité morale et un capital de sympathie extrême. Les fidèles ont la certitude que Jean Paul II est un saint homme. Et l’Église a besoin de retrouver des moteurs puissants en ces temps de persécution.

Santo Subito Jean Paul II : Imparfait et Saint
La personnalité de Jean Paul II présente plusieurs zones d’ombre. Il a couvert des scandales sexuels, notamment les abus commis par le Père Marcial Maciel, le fondateur des Légionnaires du Christ, sur des séminaristes et sur ses propres enfants. Tout indique que Jean Paul II était au courant et qu’il a freiné l’instruction du dossier.
Jean Paul II n’était pas un ange, et il ne s’est jamais considéré comme tel. Il a au contraire honoré son humanité avec les parts d’ombre et de lumière qui sont en tout homme. Mais sa démarche allait vers la lumière. Concernant l’affaire Maciel, Jean Paul II semblait effectivement être au courant puisque l’un des fils naturels du Père Maciel l’avait alerté personnellement. Mais le pape avait fait des Légionnaires du Christ son cheval de bataille parce qu’ils travaillaient à la reconquête chrétienne qu’il souhaitait. C’est là qu’apparaît la part stratégique et politique de Jean Paul II. Il a sans doute estimé qu’il valait mieux taire les crimes de Maciel pour éviter à l’Église de perdre sa crédibilité. Jean Paul II était un guerrier de Dieu, il avait une volonté militante et épique. Les problèmes du Père Maciel étaient secondaires par rapport aux défis planétaires qui l’occupaient: il voulait réunir les deux Europes, occidentale et orientale, et étendre le catholicisme au monde entier.

Il a aussi entretenu des liens avec des dictateurs et réduit au silence des théologiens de valeur.
Il faut voir d’où vient Jean Paul II. D’une Pologne ultra-catholique, où la pratique religieuse serait semblable aujourd’hui à celles d’intégrismes. Il a vécu toute sa jeunesse dans un contexte religieux très sévère, où l’Évangile était pris à la lettre. Il a toujours pratiqué un catholicisme de combat, militant et conquérant, qu’il a fortifié dans sa lutte contre le communisme. Jean Paul II était un diplomate, il était obligé de traiter avec des dictateurs. Il savait bien que certains chefs d’État d’Amérique latine étaient des voyous, des escrocs et des assassins. La théologie de la libération n’était pas dans le droit fil de sa pensée. Selon lui, elle représentait un danger. Il a fait des choix qui sont peut-être contestables. Sa formation et son éducation l’ont poussé à régler les problèmes qui se présentaient d’une certaine manière.

Les zones d’ombre de Jean Paul II sont tout de même assez prononcées. Comment peut-on le considérer comme un saint?
Ce qui ressort de ce pontificat, c’est qu’il a rendu les catholiques fiers de leur religion. Jean Paul II a été un modèle immense, il a régénéré le peuple catholique. Et tous les saints ont leur part d’ombre. Le fait d’être saint ne signifie pas être un homme parfait. Un saint n’est pas non plus un être divin. Il est saint parce qu’il est homme. Jean Paul II a toujours tenté d’avancer vers la vérité. Il l’a fait avec puissance, ardeur et violence. On ne demandera pas à un saint d’être un ange. C’est peut-être une dimension moderne de la sainteté: l’imperfection des hommes. Il faut toutefois préciser que Jean Paul II n’est pas encore saint, il est bienheureux. Le fait de le proclamer bienheureux n’engage pas l’infaillibilité papale. Celle-ci sera engagée lors de la canonisation.///////Propos recueillis par Patricia Briel, Le Temps.



Diplomatie Publique


Rédigé par psa le 28/04/2011 à 22:22



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