Profil
Pierre S. Adjété
Pierre S. Adjété
Né à Lomé, PSA a fait ses études au Togo, au Gabon et au Canada. Économiste, administrateur et essayiste, PSA est un partisan assumé du «Grand Pardon» et un adepte de l’Éthique dans l’espace public; il est un acteur engagé dans des initiatives citoyennes et républicaines.




« Deux choses en particulier m’indignent en ce moment : les inégalités sociales –avec les privilèges instituées d’un côté et les humiliations de l’autre- et la non-considération de l’apport possible des personnes qui vivent ces humiliations à l’intelligence commune du monde » Vivian Labrie, mars 2011

« Le problème de l’incompétence c’est qu’elle nous maintient dans une double ignorance : l’ignorance de nos erreurs et insuffisances, l’ignorance de nos propres habiletés et capacités à nous améliorer. » Pierre S. Adjété, mars 2011


J. Leinne
J. Leinne
Jusqu’à ce qu’il ne réponde de la manière la moins sectaire et la plus républicaine possible, il faut continuer à appeler le Togo par son nom : les deux solitudes. Elles se manifestent à plusieurs niveaux, mais toujours nourries par la même racine du mal togolais : la division nord-sud. Ses conséquences sont énormes dans la vie sociopolitique du Togo, en plus d’être presque un tabou dans les réflexions comme dans les politiques publiques, alors que la solution à ce mal difforme constitue en soi un programme gouvernemental de rééquilibrage social, de paix politique et d’équité citoyenne. Voilà qu’au croisement de ce silence et de cette inaction, désire s’élever une tentative légaliste de braderie de la dignité des citoyens, une humiliation de trop actuellement en cours au Togo, une attaque en règle contre la Liberté au détriment d’un remède stratégiquement mieux songé au persistant mal politique togolais.

Au plus fort de ses tournées africaines de conquête du pouvoir en 2005, c’est l’argument d’appartenance aux deux rives de cette réalité marquante de la vie politique togolaise, les solitudes du nord et du sud, que Faure Gnassingbé avait servi aux chancelleries africaines et à certaines capitales occidentales, tous les jours d’après le 5 février 2005 –date officielle du décès du président Gnassingbé Eyadema, tous ces jours d’après ses premières erreurs initiales de conquête du pouvoir et les vives pressions qui en résultaient. La réalité de la division politique togolaise demeure ainsi un fait difficile à occulter dans les considérations analytiques de ce pays.

Il est donc indéniable qu’au-delà des relations et des amitiés individuelles, le Togo demeure profondément divisé, puisque son chef d’État lui-même a fait la promesse d’en guérir le pays à la suite de son propre père. Sous tous les angles d’ailleurs, les marques de cette division sont perceptibles dans les institutions et les responsabilités publiques, de façon réelle et effective mais souvent de manière informelle et tout aussi poignante. Désormais, l’une des deux solitudes togolaises désire gagner du terrain, élever encore plus de barricades autour de ses privilèges non-républicains au lieu d’être à l’écoute; elle désire s’imposer par des lois idéologiques et défensives, prendre assise et ainsi donner son aise à la division établie et au pouvoir de la répression continuelle d’une partie des citoyens par l’autre partie détentrice de la gouverne publique et des forces de l’ordre, au prétexte avoué que son pouvoir est contesté trop longtemps. Une telle perspective, en plus de ce que l’on connait déjà de l'histoire politique récente du Togo, peu glorieuse, est en tout point dommageable pour le tissu social et constitue une menace sérieuse au présent et à l’avenir de ce pays.

En effet, la manifestation nouvelle des deux solitudes, particulièrement les actes solitaires de la gouvernance togolaise mettent sérieusement en danger la nation elle-même. Il est donc urgent d’agir, parce qu’il est trop tard pour être pessimiste pour le Togo, trop tard pour rebrousser chemin et revenir sur les durs pas de la réconciliation, après tant de sacrifices et d’investissements consentis par les uns et les autres, après tant de promesses et d’engagements, après tant d’années d’efforts de vivre ensemble finalement; agir pour ne pas perdre le peu de terrain parcouru et gagné vers la nation promise.


Une loi uniquement oppressive et rien de plus

Il est donc trop tard de penser et d’admettre qu’une partie du Togo ne pourra gouverner l’autre partie que par la négation des libertés fondamentales, la répression et la force, au point d’instituer tous ces mécanismes d’humiliation à travers une loi, sans aucune gêne ni retenue : l’insoutenable loi fixant les « conditions d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique ». En réalité, une loi sur les conditions du libre choix de ses propres chaînes modernes, les conditions d’être mis aux amendes ou aux arrêts; un ensemble de conditions qui auraient pu être loufoques si seulement elles n’étaient pas honteusement dramatiques et omnipotentes au XXIe siècle; une loi dont le scénario met en scène toutes les modalités pratiques et cyniques pour être dominé, condamné, bastonné, pourchassé, emprisonné, traqué, déporté –pour ce qui est des personnes identifiées comme des « étrangers », délogé, écroué pour délit d’opinion et comme aux tristes temps de l’esclavage, de la colonisation, de la domination d’une race sur une autre, d’une ethnie ou groupe de personnes sur d’autres ethnies et groupes de citoyens d’un même pays.

C’est bien cela le sens véritable et répulsif de la loi relative aux « conditions d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique »; une loi uniquement oppressive et rien de plus. C’est en cela que cette loi soulève notre profonde indignation. Elle soulève aussi notre réprobation collective parce que dans le Togo que nous connaissons tous, la fragilité politique toujours persistante commande aux gouvernants togolais d’être précautionneux et non-arrogants sur toutes les questions de Liberté, comme le font tous les gouvernements respectables à travers le monde.

L’identité éthique du gouvernement togolais est loin d’être établie auprès de ses propres citoyens. Des élections controversées aux dialogues infructueux, des détentions arbitraires aux procès politiques nombreux, des droits humains amoindris aux jeunesses urbaines et universitaires délaissées, le Togo est loin d’être un modèle de gouvernance ouverte, transparente et partagée pour que les ayants cause à la Liberté individuelle et collective subordonnent leur devoir de vigilance à la seule et soudaine volonté de leurs gouvernants; des gouvernants dont tous les bulletins de notes les avaient toujours gardé dans la zone des reléguables en ligues mineures de la démocratie. La persistante fragilité politique du paysage togolais est donc une réalité que le gouvernement tarde toujours à adresser de manière créative et avec les plus grandes valeurs républicaines. Il est donc évident que la faiblesse politique actuelle du Togo souffrira encore et davantage de cette loi uniquement déloyale et perfide, en plus d’être en tout point arrogante et totalitaire, si celle-ci venait à être adoptée et promulguée en l’état.

Le défi togolais tel qu’il se pose à la gouvernance politique du pays est celui de générer un modèle autre que celui de la répression facile ou de l’uniformisation, à tout prix, de la pensée des citoyens. Le défi togolais est d’asseoir un modèle sans cesse renouvelé de communication et de confiance, sans tromperie ni faux-fuyants comme dans la tentative actuelle que d’aucuns identifieraient très aisément comme une « intolérable braderie de la dignité humaine » dans ces moments où, faute d’imagination, « ce sont nos dirigeants eux-mêmes qui nient ou bafouent les conditions de notre vivre-ensemble » sur un si minuscule territoire comme celui du Togo. Il appartient toujours aux gouvernants du Togo de constamment apporter la preuve de leur compétence à assumer le Togo autrement. Il est même de la responsabilité du chef de l’État togolais de proposer, plusieurs fois plutôt qu’une, des véhicules politiques suffisamment larges et confortables pour embarquer, sinon accommoder les plus farouches de ses adversaires; c’est à ce niveau que réside son devoir quotidien du Togo.

C’est donc tout le Togo qui perdrait en dignité à adopter une législation qui attaque si froidement les citoyens –sans aucune raison que la peur de l’autre et de la propagation des nouvelles aspirations des peuples à la liberté, au droit à la citoyenneté et au respect; un droit pour chaque Togolaise et chaque Togolais de se sentir libre et universellement humain, où qu’ils se trouvent, comme d’autres citoyens du monde. C’est justement parce que cette loi sur les « conditions d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique » ne passerait aucun test de dignité, de légitimité et de légalité ailleurs en démocratie, qu'elle n’est nullement nécessaire à la construction de la nation togolaise et au devoir que cet objectif supérieur impose aux dirigeants de notre pays et à chacun de nous.


Ad Valorem


Rédigé par psa le 16/03/2011 à 19:19



Stephane Hessel, Indignez-vous et Engagez-vous
Stephane Hessel, Indignez-vous et Engagez-vous





Notre ami Pascal Bodjona a cru bon devoir publier in extenso, le fameux projet de loi qui fait problème sur la confiscation de la Liberté. L’intention dans cette démarche relayée par le site gouvernemental togolais serait de recueillir, informellement, les avis des citoyens opposés à cet intriguant projet de loi sur « les conditions d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique ou dans les lieux publics ». Nous avons ainsi sous la main, le document soupçonné et incriminé; heureuse initiative.

La lecture du projet de loi est moins réjouissante : elle confirme en tout point les craintes soulevées abondamment, et conduisant au constat qu’il est inutile –et vraiment inutile, d’en dire un seul bien. Du début à la fin de ce projet de loi, c’est une volonté de contrôle, plus modestement une « apologie du statu quo » qu’en dirait Jacques Attali, sinon une « Éloge à la frontière» aurait clamé Régis Debray pour ne pas dire « le culte de la régression », si l’un comme l’autre étaient versés dans les cache-misères alambiqués des affaires togolo-togolaises.

Des trente articles de ce projet de loi, les vingt-huit qui en font le corps transpiraient suffisamment un tel recul en droits humains que l’on se surprend à se demander : « Comment le Togo a pu en arriver là? » que son propre gouvernement se doit de penser et de traduire en loi une telle peur de ses propres concitoyens, sans que cela ne soit la traduction d’un malaise plus profond.

Comment en arrive-t-on à éprouver le besoin d’une telle inimitié de ses propres citoyens et même croire que personne ne devrait s’en apercevoir? Jugez-en seulement par les deux articles conclusifs du corps de ce projet de loi. Non seulement les citoyens étaient-ils passés au tordeur jusque là, mais les étrangers –terme abominable en soi que plus personne de moindrement respectable n’utilise sauf à l’extrême droite, les associations y sont carrément sacrifiées, parce tout doit y passer, et tout le monde au Togo doit être comprimé, compressé, concassé:
Article 27 : Tout étranger qui se rend coupable des infractions prévues aux articles 20, 21, 25, 26 et 27 ci‐dessus est puni de la peine complémentaire d’interdiction du territoire, conformément aux dispositions du code pénal. L’interdiction du territoire, qui ne peut être inferieure à dix (10) ans, court à partir du jour de l’expiration de la peine d’emprisonnement.
Article 28 : Les personnes reconnues coupables des différentes infractions définies par la présente loi, ainsi que les associations et organisations qui ont pris l’initiative de ces rassemblements, sont solidairement responsables du paiement des dommages et intérêts dont le montant couvre tout le préjudice subi.

Il est donc inutile de faire une analyse juridique de ce texte d’une autre époque, d’un autre temps; un temps qui n’a plus aucune raison d’exister aujourd’hui si ce n’est le désir de la répression gratuite et le dénie de Liberté aux siens propres. Le Togo actuel est loin d’être un modèle de démocratie vivace, de justice indépendante ou d’équité administrative, pour qu’un quelconque crédit soit accordé aux délais de soixante douze heures, aux verrous et cadenas divers qui se réapproprient tous les droits comme dans le totalitaire article 17 : « Nonobstant l’acceptation expresse ou tacite, si des éléments nouveaux objectifs surgissent et sont de nature à présager des menaces graves à l’ordre public, d’atteinte à l’intégrité des personnes ou des biens, l’autorité administrative peut, à tout moment, interdire la réunion ou la manifestation. » Lorsque l’on ne donne rien et que l’on peut tout reprendre à tout moment, sans aucune retenue, on voit clairement que le projet de loi est une pure moquerie et une grossière contrefaçon de la Liberté.

Quant à la proposition de Pascal qui est de recevoir des suggestions, la meilleure à lui faire c’est qu’il ait le courage de laisser tomber une telle initiative qui dessert le Togo totalement et irrespectueusement. À vrai dire, aucun pays au monde n’en est plus à écrire de telles choses, horriblement honteuses. C’est avec grande retenue que l’on ne se permet même pas des comparaisons entre cette loi et celles qui ont pu exister à certains moments de l’histoire de l’Afrique; des lois à vous priver de vous-même après vous avoir dépossédé de votre dignité... C’est tout dire!

Toutes ces mesures effroyablement étouffantes, et pourtant gaiement étalées, de l’article 1 à l’article 28, sont la parfaite illustration, la réponse à cette question dramatique et prémonitoire posée il y a quelques jours seulement, la veille même de la présentation de l’avant projet de loi au conseil des ministres togolais, par nul autre que ce Jacques Attali : « Que se passe-t-il quand tout avance autour de soi et qu'on s'efforce de rester immobile ? » et il répond « On finit par être arraché, désarticulé, emporté par le courant, éparpillé en lambeaux flottants », avant d’argumenter sur l’objet de ses préoccupations, c'est-à-dire un certain déclin de la France. Qu’importe ! C’est le cas du Togo politique à travers cette loi : un pays qui ne sait pas où sont ses repères, où se trouvent son devoir d’unité –sans unanimisme, un pays qui à mal à lui-même au point que ses dirigeants gouvernent en révélant leur souffrance interne, dans chacun de leurs actes publics.

Le projet de loi fixant « les conditions d’exercice de la liberté de réunion et de manifestation sur la voie publique ou dans les lieux publics » est l’image parfaite de la révélation du mal togolais, la révélation d’une incapacité, d’une négativité, d’une douleur, d’un malêtre, d’un malavoir même, la révélation d’un désaveu de soi. Du coup, l’ami Pascal pense qu’en termes de privation de Liberté, deux suretés valent mieux qu’une : informer et attendre pour être autorisé, sachant qu’à tout moment tout droit de manifester peut vous être retiré et votre itinéraire changé valent mieux que la demande d’autorisation en vigueur actuellement. Il est ainsi proclamé Urbi et Orbi : « Nous passons d’un régime d’autorisation à un régime de déclaration, en ce sens que les organisateurs ont juste l’obligation de déclarer leur manifestation à l’autorité compétente et ils ont aussi la possibilité, en cas d’interdiction, de recourir au juge administratif ». Juste l’obligation de déclarer… Juste recourir au juge administratif au Togo… Pourquoi pas alors ne pas laisser Juste la Liberté libre au Togo ? Ce pays s’en porterait probablement mieux !

Lire et imaginer que rien ni personne d’entre nos gouvernants au Togo n’a trouvé matière à se retenir et à convaincre ses camarades et collègues devant un tel excès rajoute à la réalité du négatif et de l’incompréhensif togolais. En vertu de cela, tout le Togo, tout le devenir du Togo « est interprété à l’aune du nombril » des uns et des « fausses certitudes» des autres. Et pourtant, si le projet de faire du Togo une nation doit encore exister, cette loi ne devrait nullement voir le jour pour être appliquée aux citoyens togolais. À l’heure où même la monarchie marocaine se décrispe, le Togo ne peut se permettre un tel raidissement, un tel désaveu du Togo et de sa soif d’une nation, carrément « dans les lieux publics » du village global. Ce projet de loi est réellement malsain au Togo; il met en danger le projet beaucoup plus noble de la nation togolaise. Un tel renoncement politique est inacceptable et peu recommandable.


Mot à Maux


Rédigé par psa le 11/03/2011 à 01:11



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